10/02/2012

464. Conte triste. 01



01. Après avoir mis en ligne (messages 366 à 371) la  nouvelle "Pendant l'absence" , je propose une lecture de la seconde nouvelle publiée, intitulée "Conte triste avec une morale" (messages 443 à 463)


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463. Conte triste. 02

Conte triste avec une moralité

Ce sont les pensées qui viennent comme posées sur des pattes de colombes qui apportent la tempête. Nietzche

02. Le danger de l'amour n'est pas prévisible: il se compose dans le mystère, c'est-à-dire dans la clarté quotidienne, et non dans les ténèbres où, se défiant de lui, on pourrait le surveiller; les secrets collaborateurs qui concourent à sa viabilité, et peut-être à sa perfection, ne sont pas d'espèce surprenante, - au contraire, leur présence est souvent bénigne et coutumière. Aussi naturellement que de légères nuées se groupent pour faire éclater la pluie, un visage habituel, un ciel d'été charmant, les battements d'un cœur qu'on était en droit de tenir pour mesurés, entrent soudain dans la confection de la catastrophe, - je veux dire du bonheur. Car la destinée, qui exige que l'être humain agisse, ne l'arrache pas à la quiétude aimable par des menaces, des roulements de tonnerre, un grand fracas de déluge et les couplets du chant de la Carmagnole, mais le séduit et le convainc pleinement par des artifices d'une délicatesse inouïe, comparables aux effluves d'un radieux silence.
Au seuil des paradis, à l'entrée de tout bonheur, aux portes des chambres heureuses, ne croyons-nous pas voir toujours cet énigmatique ange italien, qui a le doigt posé sur les lèvres, le regard engagé dans le splendide avenir, et sous sa longue robe aux plis pesants, un pied qui déjà, - mais à peine, - se soulève, car le fallacieux promeneur sait bien que la persuasion et l'insistance sont immobiles: là est son charme, sa dangereuse magie.
Cet ange si doux, cet ange si coupable, il est pour moi le symbole de la tentation, riche en promesses de paix éblouissante et de tumultes engourdis. Est-il nécessaire d'indiquer que cette présence enchanteresse masque un affreux cortège de malheurs sordides ou, plus simplement, que sous des nuances si plaisantes habitent déjà la décomposition et le squelette? ou, encore, que, pareille aux volubilis bleus qui fleurissent les balcons rouillés des villas Borromées, elle se fane, s'évanouit, et nous révèle qu'elle cachait le fer sous la fleur; ainsi faisaient les héros grecs.

462. Conte triste. 03

03. Mais il n'est pas, pour poignarder, que le fer aiguisé d’Harmodius et d'Aristogiton; un lamentable aspect des choses suffit aussi à laisser évader le souffle de la vie.
Quittons à présent l'amère vision angélique pour une aventure tout humaine, dont elle ne voulait que nous donner l'avant-goût. Madame L que nous appellerons Christine, avait une trentaine d'années; si on lui eût demandé de raconter l 'histoire de son enfance et de sa jeunesse, sans doute, malgré sa joviale humeur, l'eût-elle fait avec rêverie et mélancolie, parce que tout ce qui concerne leur passé confère aux femmes un ton de sincère noblesse, de gravité et de poésie. Leur mémoire, douée des habiletés d'un jardinier japonais, choisit et compose aisément un bouquet pittoresque, où d'agréables détails suscitent l'approbation, et, réellement, chacune de ces anciennes petites filles se présente à nous avec des souvenirs qui l'honorent. Mais Christine possédait une santé sans défaut, aussi vivait-elle quotidiennement, activement, sans laisser monter en elle ces arpèges du temps aboli, si dangereux, puisque tout aussitôt ils appellent une neuve musique qui leur réponde. Ce jeu de harpes dans l'esprit, tel que l'on nous représente les suaves harmonies dont s'environne le trône de Dieu, est bien certainement le démon - responsable de la plupart des passions nostalgie qui tend les bras au Désir, dont elle se veut recouvrir
Christine, de corps dispos, n'entendait point ces chants intérieurs; avec confiance et ingénuité elle s'abandonnait à la force des jours, qui la portaient sans recevoir d'elle aucune impulsion. Elle était extrêmement jolie pour ceux qui la déclaraient telle, et le paraissait moins à ceux à qui elle ne plaisait pas. Si naïve que semble cette affirmation, c'est toute l'histoire de la beauté des femmes. Elles s'étonneraient de savoir combien est aléatoire ce qu'elles croient être évident, inscrit sur les prunelles humaines comme sur les tables de la Loi. Ah! si on leur disait que cette beauté qu'elles promènent avec un religieux sentiment de certitude et de précaution est niée légèrement par tous ceux qui l'apprécient différemment, elles en laisseraient choir de surprise leur charmant visage, précieuse porcelaine toujours soumise à l'expertise masculine, qui seule peut leur en confirmer l'indéniable valeur.

461. Conte triste. 04

04. Une secrète insécurité trouble les plus sûres d'elles-mêmes: aussi y a-t-il chez les femmes, au moment même de leur orgueilleuse ivresse amoureuse, une gratitude qui est comme l'apaisement d'être rassurées. En étant si craintives elles se montrent sagaces: la beauté, plus indéfinissable que l'arome, est pleine de déceptions pour les cœurs difficiles; c'est pourquoi le visage de l'enfance et celui de la tragédie sont seuls sans défauts; ils échappent au jugement, car ils ne se soucient pas de nouer des relations avec les humains, mais dans leur candeur ou leur détresse, ils ne se présentent qu'à la destinée.
La charmante Christine, si elle ne plaisait pas, eût pu déplaire à cause de quelques grâces acquises, qu'on devinait préparées par sa mère, qui, les tenant de sa famille, l'en avait revêtue à l'âge de la bonne tenue, qui est, pour les filles, celui de l'afféterie et de la séduction étudiée. Ainsi possédait-elle certaines intonations de voix, certains gestes de peur simulée, de politesse ou de surprise, qui par leur feinte faisaient songer au petit doigt arrondi de la gouvernante lorsqu'elle soulève à table et porte à ses lèvres, avec délicatesse, un verre de vin coûteux: sa dégustation, discrète et réfléchie, vise à nous renseigner sur ses passions et sa retenue; c'est une porte accessoire, à peine visible, mais ouverte sur l’âme ...
Deux grandes affections mettaient un poids solide dans la vie banale et gracieuse de la jeune femme. Elle aimait son mari, elle aimait une amie d'enfance. Sa personne salubre et sage se contentait du bienfait d'un double sentiment chaleureux. Elle devint veuve. La douleur qui l'accabla pesa sur elle comme une maladie, dont chacun, et elle-même, savait bien qu'elle guérirait ... Au bout de quelques mois de ce violent malaise ressemblant à une grippe qui aurait choisi de tourmenter l'âme, Christine, languissante mais convalescente, se louait de son courage, de sa sensibilité, de son énergie. Il ne restait du défunt que les mérites de la survivante. Loyale et saine, Christine porta sa solitude conjugale comme ses robes de deuil, avec une gravité qui semblait la vouer corps et âme aux sombres couleurs, mais qui ne rompait pas avec l'élégance. Elle savait ce qu'on doit aux morts, - et, si l'on est actif, c'est peu de chose ! - elle savait ce que l'on doit à soi-même, et elle eût cru manquer à un devoir décent en négligeant sa personne.

460. Conte triste. 05

05. Sa vie continua donc, soigneuse et précise, sans beaucoup de changement; elle visita plus fréquemment son amie d'enfance, et accepta de passer chez elle l'été qui s'annonçait. Mme de T***, que nous appellerons Isabelle, avait les mêmes qualités que Christine: pureté certaine imagination médiocre, façons inculquées par une mère sensible et gracieusement surannée.
Le trouble-romanesque n'avait pas visité celle-ci plus que celle-là; elles eussent pu échanger leurs images, étant toutes deux belles, aimables jumelle, « le cœur, pareilles à deux camélias frais et nets, aux découpures identiques. Monsieur de T, .dont le nom sera Julien, demeurait fidèlement épris de sa femme. Il avait perdu en M. L *** un ami sûr et qu'il avait regretté; mais, à la suite de cette absence qui ne devait point avoir de terme, le chagrin de chacun s'était fait si léger qu'il ne nécessitait pas de compensation. L'existence pleine et vaine de ces trois personnes agréables se poursuivit comme auparavant: raisonnable, affairée, reposante, un peu mêlée de littérature et d'art, sans néanmoins que ces dangereux éléments s'installassent au foyer. On les laissait pénétrer par distraction, par mollesse, comme on laisse ouverte trop tard, une nuit d'été, la fenêtre sur le jardin, où pourtant rôde la chauve-souris. On s'approche un peu de l'espace, on contemple la prodigieuse nue : c'est une seconde d'interrogation, de désarroi, de stupeur intriguée, de surprenant plaisir; mais on s'en éloigne bientôt, on retrouve l'étroit réconfort colorié de la chambre, et l'on sait bien que le rôle assidu et prépondérant d'une fenêtre consiste à être fermée. Les invités de la nuit sont rares, qui ne s'arrachent pas brusquement à son énigmatique rendez-vous !
Donc la vie menaçait de rester paisible, étale, lorsqu'il advint quelque chose d'incroyable. Il n'advint rien. Mais c'est, sans doute, à ce moment où rien n'advenait que l'ange évoqué au début de ces pages traversa le salon où Julien se trouvait avec Christine, cependant qu'Isabelle, dans la pièce attenante, recevait le, curé du voisinage.

459. Conte triste. 06

06. Un doigt posé sur les lèvres, les yeux dilatés par la vision du splendide avenir, son pied nu à peine soulevé, l'ange furtif était là de toute évidence, puisque, subitement, Julien, sans autre raison, s'aperçut que Christine n'était plus seulement « la femme qui était l'amie de sa femme » mais une créature soudain révélée, mystérieusement respirante, suave, terrible et qui se taisait. Qui se taisait !
Ah ! Si les mots ont une part puissante de responsabilité dans les passions de l'amour, si leur torrent a entraîné jusqu'au délire et jusqu'à la mort les esprits submergés par leurs grondements écumeux, qui dira la foule immense des propos tenus par le silence? Se taire ! L'homme qui se tait énonce ce fait : « Je viens seulement de m'apercevoir de votre présence. Je vous parlais parce qu'à mes yeux vous n'existiez pas; mais, dès cet instant, je vous vois, aussi je me tais; vous m'entendez bien? » Et la femme, en se taisant, déclare: « Nous nous taisons et je l'admets; je vous ai tout à coup bien compris. Que ne vous exprimiez-vous plus tôt! Doutez-vous de ma réponse ?
C'est sur ce mode que se taisaient le monsieur et la dame que venait de contempler malignement l'ange des destinées funestes. Que s'était-il passé d'autre? Rien que d'habituel. Dans le salon, aux baies ouvertes, d'une maison de campagne, le ciel envoyait, à six heures du soir, ses chaudes bouffées d'air azuré; les hirondelles, comme un peuple d'oiseaux en colère, se pourchassaient en criant sur la piste rose du cirque éthéré, et parfois s’enfonçaient plus avant dans la nue, d'un jet brusque et poignardant comme autant de couteaux légers. Un gramophone, sorte d’important moulin à café, avait, en effet, moulu consciencieusement la musique torréfiée des tangos mexicains; le perfide glissement des tonalités graves aux tonalités aiguës n'avait pas manqué son but, qui est de pousser adroitement, comme un pion sur un damier, le désir et la douleur vague sur le cœur du monsieur distrait et de la dame attentive. Les deux étaient touchés. N'ayant pas l'habitude de songer, chacun sentit que l'autre songeait, et n'ayant pas de choix, d'indication, de cible pour la songerie, ils songèrent l'un à l'autre mutuellement, et se turent. Si insignifiants qu'ils fussent, dès ce moment-là le miracle s'empara d'eux: ils furent la proie du danger, ils appartenaient à l'instinct. Et leur plaisir - et leur malheur - commença.

458. Conte triste. 07

07. Isabelle, dans le vestibule et puis sur le perron, avait salué le curé d'autant plus souvent que cette politesse sans contact était renouvelée chaque fois par l'excellent homme, comme s'il craignait de rompre brusquement un lien qui eût risqué, en son détachement invisible, de faire perdre l'équilibre à sa partenaire. Puis elle rentra gaiement dans le salon où sa destinée venait d'être changée.
Petite minute, seconde indéfiniment divisée, dont le mince tranchant formidable s'était abattu sur Isabelle à son insu, et avait créé cette chose horrible: la transformation! Il faut du temps pour que l'événement s'affirme et se meuve dans sa force devant les yeux enfin décillés ; mais, si terrible que soit la gigantesque certitude, rien n'est plus troublant que ce bref instant spontané où un grain de sable, apporté distraitement par le vent, contenait l'amoncellement des obstacles, et parfois jusqu'à la forme même des tombeaux.
Les deux coupables, qui ne s'étaient rien dit, pauvres gens, - mais qui, percevant chacun la vie de l'autre, se sentaient coupables, - s'empressèrent auprès d'Isabelle, lui parlèrent tendrement comme à. l'ordinaire; c'était se croire libres encore, alors qu'ils étaient dévolus à la joueuse Nature. Quoi qu'ils fissent1 ils tenaient compte l'un de l'autre, ils se conformaient l'un à l'autre, sous le franc regard d'Isabelle, et inconsciemment ils se concertaient pour la servir, comme deux musiciens qui s'appliquent moins à observer leur partition qu'à épier anxieusement, et avec compassion, la surdité du chef d'orchestre
Julien, de jour en jour, puisait de neuves et abondantes délices dans le visage de Christine. La liqueur dorée de l'œil, sombre et long, qui lui semblait intentionnellement beau, déversait sur son cœur un tendre excédant de regard qui l'inondait de muette vanité; les cheveux obscurs jaillissant d'un front clair le laissaient ravi et perplexe, comme devant un paradoxal problème ; toutes les grâces de Christine le comblaient, tel un don fait par elle à lui, volontairement, et il la bénissait. Pour tant de générosité. Christine, se sentant aimée, eut cette immédiate reconnaissance, ce ploiement de l'âme devant le désir des hommes, qui est le témoignage du respect des femmes pour l'amour.

457. Conte triste. 08

08. La vénération qu'elles ont pour ce signe seul, qu'elles identifient rapidement avec celui qui en porte la marque éphémère, donne à leur acceptation spirituelle quelque chose de fatal, qui est également quelque chose de fortuit. Se voyant désirée avec une progressive ténacité, elle se sentit passionnément conquise. Quoi qu'on ait dit, la lutte de la femme contre l'homme n'est pas dans le sens de lui échapper, mais de lui appartenir infiniment plus que ne le réclament jamais les faibles mâles. La femme qui ne doute plus du désir qu'elle inspire ne cherche pas à se dérober, mais souhaite d'investir l'homme qui l'aime, de l'envahir, et comme de le traverser. Certes, ce couple innocent n'en était pas à ces divins excès qui, par leur frénésie, parviennent à interloquer la chance, et à la fixer quelque temps. Ainsi s'arrêta dans sa course, aux jours antiques, le soleil, sommé de le faire par un guerrier résolu, doué du sens de l'immédiat.
Bien au contraire, c'est ici que la médiocrité de nos deux héros va s'affirmer. S'ils eussent appartenu à l' espèce puissante, qui a des droits; si, gorgés dès l'enfance d'espoir et de déceptions, ils eussent, comme il convient, repoussé avec une incrédule fierté l'idée du bonheur sans désavantages, que des projets accompagnent; s'ils avaient puisé, sans délai, dans leur conscience instruite, la certitude qu'étant désignés pour l'ineffable agrément ils l'étaient aussi pour la misère, ils eussent limité la catastrophe annoncée par l'ange, et épargné le sort d'Isabelle. Mais, étant simples, probes, prévoyants, ils crurent au bonheur avec une prétention solennelle, et dressèrent les plans de l'avenir.
Louons les êtres passionnés qui, eux, ne croient pas au bonheur ! Tout leur a enseigné l'inégal combat des souhaits avec les circonstances. L'explosion de son ivresse et de sa témérité appartient à l'homme, il est le maître de l'instant, - qu'il s'en saisisse! – mais rien ne lui est concédé du douteux lendemain. Non, les êtres passionnés ne croient pas au bonheur, mais ils croient à la grandeur' de leurs immenses désirs, à la nécessité d'être, fût-ce une seule minute, assouvis; ils ont confiance dans leur .force, dans leur courage à souffrir, dans le malheur qu'on endort et qu'on trahit, et, sans rien espérer de la Fortune, ils parviennent parfois, dans leur sublime détresse, à confisquer tout l'univers au profit de leur indispensable plaisir.

456. Conte triste. 09

09. De tous les moyens dont l'esprit dispose pour s'attribuer une part du divin, pour capturer l'étendue, - et nous pouvons citer les mathématiques, l'astronomie, la science, la méditation, la poésie lyrique, - il n'en est pas de plus certain que celui qui rapproche deux visages haletants et deux corps éperdus. A eux se livre ce qui se refuse aux autres appels. Illusion et réalité après lesquelles il serait juste qu'on mourût !
Rien de tel ne pouvait concerner l'âme de Christine et de Julien. Désignés pour les petites vertus ils agirent avec une droiture soucieuse et avec cette sorte d'honnêteté où se révèle l'extraordinaire présomption des êtres de peu de génie, scrupuleusement occupés d'eux-mêmes, et qui, impardonnable imprudence, croient gagner ainsi à leur cause le narquois, l'ironique avenir !
Convaincus désormais d'être nés l'un pour l'autre, et la pensée de s'appartenir secrètement ne devant pas effleurer leur esprit, qui, n'ayant nul don fastueux à échanger, ne pouvait s'ennoblir à leurs propres yeux que par un mesquin perfectionnement, ils résolurent de patienter, de manœuvrer selon une étroite morale, et de se parfaire. Sans doute uniraient-ils un jour leurs destinées; ce dernier projet, buté au solide obstacle de la présence d'Isabelle, n'avait pas de net aspect eu leurs pensées; ils travaillaient petitement, d'heure en heure, à s'assurer de leurs goûts communs, de la délicatesse de leurs sentiments; ils s'appréciaient, chacun soi-même, et puis en groupe; ils ne se reprochaient rien, se trouvant sans défaut devant leur conscience, où comparaissaient sans cesse leurs désirs dominés par une pure décision. Ils ne doutaient pas que leur labeur de fine menuiserie ne dût leur frayer un chemin aisé, qui les conduirait, intacts, à ce terme magnifique et raisonnable des choses qu'était, pour eux, le bonheur de Julien et de Christine:
Mais restait Isabelle, et c'était l'essentiel. […] Comme au regard de tous ceux que l'amour possède, l'être sans passion paraissait enfantin, léger et comme diminué de vie, de besoins, d'intérêt. Dans leur douce ébriété, les chastes amants, promis l'un à l'autre, se persuadèrent qu'Isabelle ne serait pas lésée grièvement par .le départ, d'ailleurs bien vaguement entrevu, d'un mari qui n'était plus - ô seule et toute-puissante légitimité! - l'homme que l'on aime depuis cinq semaines, et qui semble une loi nouvelle dont se privait l'ordre de l’univers.

455. Conte triste. 10

10. Cependant ils étaient malheureux, sans appuis, sans direction) et Isabelle, bien que tout ignorante, ne laissait pas d'être étonnée par leur perfectionnement. Elle voyait avec surprise se dissiper les défauts de son mari et de son amie, défauts qui, autant que leurs vertus: les constituaient; aspérités qui, en s'égalisant, faisaient hésiter et trébucher la marche habituelle de son esprit. Une gêne pesait sur tous. Christine estimait Isabelle; elle l'estimait d'autant plus que ses scrupules allaient croissant, en même temps que l'emplissait son tendre délire. A force de s'étudier, elle parvint à se reprocher sa légère fourberie et la quiétude de son amie, qui en était une conséquence. Elle crut donc devoir l'avertir des sentiments qu'elle éprouvait, de ceux qu'éprouvait Julien, et des efforts qu'ils allaient tenter pour essayer d'entraver et, s'il se pouvait, d'abolir leur neuf amour.
Etrange minute que celle où une femme vient, par bonté, dire à une autre femme: « Vous n'êtes plus aimée! » Criminelle innocence de la sincérité ! Quel prix attachent donc à leur conscience, à leur salut terrestre, les créatures qui, voulant s'accorder avec elles-mêmes, répandent d'une manière invisible le sang de leur prochain, et s'absolvent par cette pensée salubre: « C'était dur, mais il le fallait ! »
Il faut quoi ? Il faut que la douleur, déesse démente et qui veut prendre sur le globe toute la place, soit sans cesse bornée, réduite, enchaînée. Il faut contraindre le malheur épandu, jusqu'à en faire une boule ronde, sombre et dure, tel un hérisson fermé, qui ne puisse plus s'appliquer et nuire qu'à votre propre cœur, -- dont vous supporterez les tortures avec ivresse, si vous aimez! Il faut obliger l'esprit qui faiblit à composer, fût-il hors d'haleine, un perpétuel décor, nombreux, varié, où se plairont vos compagnons menacés, rassurés, heureux, dupés !
Haïssant le mensonge, fourbe et fuyant renard de la forêt des mots, il vous faut l'accueillir, l'apprivoiser, le manier, le traîner à votre suite, ne le point quitter de l'œil. Il faut qu'indifférent, las, distrait, obsédé, vous aimiez pourtant, d'un abondant amour, ceux qui, attablés à votre forte existence, sont vos convives exigeants et stables.

454. Conte triste. 11

11. Par mille ruses il faut, sans qu'ils s'en aperçoivent, ne les quitter qu'un instant pour aller goûter dans la frénésie et la détresse le seul moment de la vie qui révèle sa nécessité et vaille la peine qu'on vive. Il faut surtout, dans les conjonctures les plus graves, au lieu de faire ce que l'on doit, - car que doit-on, que croit-on devoir, mon Dieu ? - il faut faire ce que l'on peut, humble aveu, modestie décente, et qui plaît aux Moires éternelles: ce que l'on peut, c'est-à-dire ce que peut en nous la Nature !
Enfin, il faut ne pas croire au bonheur, ne pas vouloir l'organiser, ne pas se mettre ainsi en dehors de l'immense décret d'infortune qui régit toute l'humanité. Traqué, blessé, rompu, ou bien même tout joyeux, il faut ne s'approcher que furtivement, et comme en fraude, de la félicité, qui est à. la fois nymphe et cadavre: de là ce sanglot déçu du plaisir. Plaisir, où l'on distingue qu'étreignant une vivante vous pleurez aussi une morte !
Qu'il est beau, au déclin de la vie, de pouvoir se dire: « Tout m'a tenté, et, comme j'étais brave, je n'ai refusé ni le risque, ni la joie, ni le malheur. Différent d'autrui, différent de tous, je semblais leur frère, cependant. Gardant pour moi la douleur, endurant le pire, j'ai ménagé des jours paisibles à ceux qui, sans le savoir, sans m'en remercier, ont vécu confortablement sous ma loi puissante et triste»
Ce n'est évidemment pas ainsi que raisonnait Christine lorsqu'elle vint s'asseoir auprès d'Isabelle. Elle lui parla négligemment d'abord, ensuite trop précipitamment, de quelques futiles événements du jour, - elle essayait d'affermir sa voix, - et puis elle fit l'éloge de la franchise, et interrogea sur ce point les goûts d'Isabelle. Celle-ci mettait aussi la franchise au premier rang des vertus indispensables. Christine hasarda aussitôt qu'elle ne saurait vivre dans la dissimulation, que toutes ses facultés lui enjoignaient de ne jamais mentir, enfin elle avoua qu'elle aimait. Surprise d'Isabelle, bienveillante surprise! Son amie était veuve, était libre, - et, d'ailleurs, quelle femme n'entend avec curiosité, avec joie et contentement, le nom divin de l'amour ? Mais la maladroite causeuse se fit alors un devoir de confier qu'elle aimait Julien, et qu'il l'aimait. Elle énonça ce fait affreux avec le calme malheureux mais implacable des personnes qui se savent agir bien, qui se sont tracé une ligne de conduite et semblent obéir à quelque commandement mystique, issu d'un confessionnal. Isabelle, pourtant, était déchirante à voir.

453. Conte triste. 12

12. On eût dit une personne arrachée à une longue hypnose et qui contemplait l'horreur du réel. Elle venait d'être dissociée de l'habitude : de là son dément regard. En effet, l'habitude n'est-elle pas la torpeur sacrée qui nous baigne de toutes parts ? Climats, croyances, devoirs, relations amicales, politesse, bonté, qu'êtes-vous d'autre que les formes éprouvées du tutélaire usage ?
L'épouse terrifiée, en proie à l'évanouissement, dut être transportée sur son lit; et là, lorsqu'elle rouvrit les yeux, elle se sentit soignée, secourue, encouragée par ses deux bourreaux corrects, consciencieux et sensibles : Christine et Julien. Elle n'eut pas, dans sa douceur, la force ni le besoin de les blâmer; elle faisait partie de la combinaison du sort; elle excédait, il est vrai, cette combinaison, mais pour l'instant elle y tenait un rôle important; elle n'essaya pas de lui donner du tragique; elle se modela sur ses sacrificateurs. Comme l'avaient été son mari et son amie, elle fut loyale, empressée, honnête.
- Que devons-nous faire ?, leur demanda-t-elle.
- M'éloigner de vous deux, balbutia la confuse Christine, réfléchir. Je partirai demain, j'irai habiter Poitiers pendant quelques mois. Je n'écrirai pas à Julien. Puisse-t-il m'oublier, chère Isabelle, et te rendre cet entier bonheur que le hasard a troublé. Si je peux revenir près de vous deux, en retrouvant Julien guéri de notre amour, je serai trop heureuse !
Elle pleurait, et les nobles intentions jaillissaient sincèrement de sa douleur, car les larmes ont l'étrange pouvoir d'être le véhicule persuasif, exaltant, éphémère, de tout ce qui est impossible et inexécutable. Pareils aux fleuves dont parle Pascal, ce sont des chemins qui marchent, mais qui mènent où l'on ne pourra jamais aller.
- Que dois-tu faire? demanda Isabelle, toujours bouleversée, ébahie et sage, en s'adressant à son mari.
- Chère amie, répondit-il, ce n'est pas sans un trouble pénible que j'ai senti mon amitié pour Christine se transformer en une affection plus vive, en un véritable amour, puis-je dire. La pensée de t'être infidèle, de te faire de la peine, eût été indigne de moi comme de vous deux. Aussi allons-nous à présent, en pleine franchise, tenter de rétablir une situation devenue bien cruelle dans les formes du passé, qui fut si heureux ! Toutes les larmes redoublèrent.

452. Conte triste. 13

13. De même que la musique, par ses accents mineurs, indique que l'on se dirige vers les tristes sommets, les verbes ont des temps qui influent sur le tempérament, et le passé défini pénètre immanquablement au plus profond de la mélancolie. Le plan convenu fut exécuté avec simplicité. Christine s'éloigna, vaillante mais accablée, et sembla, en prenant le train pour Poitiers, s'enfoncer dans le désert et affronter sans nulle arme défensive les dangers qui menacent les explorateurs. Isabelle, épuisée mais vaillante, endura le supplice de sentir la noblesse d'âme et l'énergie de sa rivale la diminuer elle-même. De plus, elle se séparait d'une amie qu'elle chérissait tendrement. Elle eut l'impression qu'avec Christine s'en allait le bonheur de sa maison, le bonheur et la paix, et cet équilibre menu, aussi total, baroque et soyeux que la toile de l'araignée à l'angle des murailles. Equilibre mystérieux que n'eût point rompu le secret adultère, mais que rompait l'honnêteté! Julien, héros dans l'embarras, balbutiant et digne, figurait l'Amour, l'amour pour qui l'on souffre, pour qui l'on meurt. Ayant fait surgir des sentiments si vifs, il eût pu, dès cet instant, ne plus être, car une femme réellement amoureuse est quelqu'un qui s'éloigne aussitôt, graduellement et à jamais, de la cause initiale de son vertige. Quel rapport peut avoir avec le pauvre homme, incité par la nature à. un rapide échange, l'incubation solitaire des femmes, leurs puissantes rêveries créatrices, et tout le noble désordre à l'édification duquel, désormais, elles vont s'employer ? Motif indispensable, obligatoire support, l'amant est pourtant moins nécessaire aux femmes que l'amour, toujours autour d'elles latent; sans cela comment supporteraient-elles les grandes intermittences de l'émotion précise ?
Ce qui se passa dès lors tous les esprits clairvoyants l'ont prévu. Julien et Christine, figures agréables mais un peu communes, devinrent, à distance, l'un pour l'autre, flamboyants, immenses, chamarrés. Leur absence de lettres retentissait dans la maison comme des coups de gongs et de cymbales, et à toute heure, alors que le facteur n'aurait fait tinter la sonnerie de la porte que deux fois le jour.

451. Conte triste. 14

14. La pauvre Isabelle entendait bien à tout instant que les lettres n'arrivaient pas, et que Christine était absente, tant cette restriction et ce vide emplissaient, la demeure, le jardin, l'espace; elle se crut coupable, bien coupable, en voulant retenir pour soi un homme aussi important que son mari, - que son mari actuel et convoité ! Car c'est souvent la personne.qui souffre davantage, et qui est toute pure, qui s'approche le plus près de la nature mystérieuse et accepte avec magnanimité son injustice.
« J'ai tort, pensait Isabelle, je m'impose, alors que je devrais m'effacer devant le respectable amour de deux êtres dont la droiture m'a été surabondamment prouvée. »
Une brumeuse atmosphère enveloppa ce couple, jadis joyeux. Isabelle et Julien passèrent leurs journées dans l'immense ennui de l'amitié et de la dissimulation. Leur intimité affectueuse se poursuivait, assoupie et douce, ou blessée soudain par de légers sursauts que provoquaient une parole, une intention, et qui voyageaient sur leurs cœurs à la manière incisive des ricochets. Parfois, essayant de rattraper ce qu'ils avaient eu ensemble de commun, ils causaient, ne cédant ni l'un ni l'autre à la tentation du silence, tenant bon, tâchant de se rejoindre dans leurs pensées, ajustant leurs arguments à tour de rôle, avec zèle et précision, comme au bord d'un étang où le poisson s'éloigne le pêcheur à la ligne rallonge une canne à pêche. En vain se donnaient-ils tant de peine. Ils sentaient s'appesantir sur eux l'absence du bonheur, dont ils ne connaissaient la privation que pour l'avoir imaginé dissemblable de celui qu'ils goûtaient ensemble, pleinement, depuis douze années. Ils étaient redevenus pudiques; en s'embrassant, le soir, au moment de se séparer, ils évitaient tacitement, mais avec une précaution peureuse, de familiers baisers, tant la nature retire son assentiment du mariage dès qu'elle le réserve pour d'autres fins.
Christine, dans sa retraite provinciale, éprouva pour Julien des ardeurs religieuses. Ses trente-cinq ans se résorbèrent pour ne lui en laisser que quinze. L'ingénuité d'une écolière s'était installée sur son visage. Une grande componction donnait de la contrainte à ses mouvements, elle parachevait son éducation, emportée dans une entreprise mystique. Son naïf aspect n'eût pourtant pas éveillé la moquerie, car elle avait retrouvé par amour toute la simplicité de l'enfance, et les enfants ne font pas rire. Obsédée silencieusement, elle se figura avec Julien en tout lieu, en toute occasion.

450. Conte triste. 15

15. Elle se voyait avec lui chez le pâtissier, dans le tramway, aux abords de la fraîche rivière, intéressée par la vitrine poétique du marchand d'écaille, soulevant les yeux vers le porche fameux de la cathédrale romane, dont elle ne jugeait pas la beauté, mais où elle attachait son regard en y adjoignant celui que Julien avait laissé en elle. Sa tendresse la portait à croire qu'avec lui elle eût connu, d'heure en heure ! l’allégresse, et qu'à cette plénitude de la joie se serait associée une commodité parfaite. Tout en tressaillant de passion imaginative, elle éprouvait aussi la gravité qui préside à une prise de voile. Habitée par Julien comme s'il eût été peint dans sa tête, elle l'adaptait à toutes choses : elle l'adaptait à l'aube, nourrice du jour, si poignante quand elle infuse la clarté comme un lait à la chambre endormie; elle l'adaptait au cri du coq éclatant dans un lointain jardin; à l'heure terrassante de midi, "quand les arbres fument de chaleur vers le ciel et que l'âme languit déconcertée, sans trouver sa guérison; elle l'adaptait au scintillement de la nuit formidable, et, enfin, à la poésie vétuste, fleurant un peu le moisi, des courtines de son alcôve provinciale. Jamais elle n'avait été plus étroitement jointe à un corps humain, - mais il était absent. Aussi, mal possédée par cette ombre désirée, dépérissait-elle lamentablement.
Seul Julien réfléchissait encore. Bien que son amour pour Christine fût irrité par la séparation, et qu'il en voulût à Isabelle de le frustrer d'une nouvelle révélation amoureuse, il réfléchissait parfois. Ses travaux, ses repas, son sommeil, son journal persistaient comme autant de serviteurs assidus à le retenir dans sa propre gaine, alors que ses deux compagnes avaient fait une évolution illimitée, et flottaient dans des buées. D'une manière confuse, il concevait qu'à son âge, partir pour le bonheur, cela offrait d'inquiétantes difficultés. Le bonheur, pays attirant, certes, d'un appel irrésistible, mais nulle part indiqué! Sans horaire, sans gares, sans trains se dirigeant vers ces ineffables contrées, il ne voyait plus bien le lieu de départ, ni le lieu d'arrivée. C'est pourquoi d'aveuglants obstacles surgissaient devant l'esprit de Julien, car Julien n'était pas impétueux, aussi attendait-il beaucoup de choses du dehors. A la récitation de tels vers romanesques: « Si tu veux, faisons un rêve, Montons sur un palefroi » il eût vraiment cru à la nécessité d'un coursier, et se serait attendri à la pensée de voir Christine en longue jupe d'amazone.

449. Conte triste. 16

16. Il ne savait pas que les cavalcades trépidantes sont tout intérieures, que les imaginations qui bondissent se rient des destriers, si bien que la chevauchée fameuse des Walkyries est figurée suffisamment par des cris stridents et rauques, et par le fulgurant éclat des regards. Néanmoins, l'amour de Julien pour Christine avait toutes les nuances que prend le désir chez un homme raisonnable. Il reconstituait perpétuellement devant ses yeux l'image de l'amie de sa femme, gracieuse, pondérée, dont il ne connaissait bien que le visage et les mains, - réserve qui l’émouvait comme émanant• d'une suprême pudeur , dont il savait gré à Christine; et aussitôt son imagination lui représentait cette même personne dans une attitude d'extrême liberté, précédée de gêne,• de confusion, de réticences,: mais qui aboutissait à l'abandon le plus dénoué, à celui du malade devant le chloroforme, du noyé devant la vague, - et il lui savait gré de ce désordre ardent. C'est à cette seconde image qu'il devait d'être faible, de donner moins de prise à la poigne familière de ses travaux, de ses repas, de son sommeil, de son journal, et de répondre avec une patience décroissante aux prévenances timides et soutenues de la pauvre Isabelle.
Tout allait au plus mal pour ces trois âmes de bonne volonté. Un jour de novembre, Isabelle, voyant que la paix et le contentement ne s'installeraient plus au près de sa cheminée, où fumait et marmonnait un triste premier feu, interrogea Julien sur ses intentions, et écrivit à Christine pour connaître le résultat de sa retraite. Aucun des amoureux n'avait contrevenu à la promesse échangée: ils ne s'étaient pas écrits. Pareils à un couple de nageurs qui ne rencontrent ni corde, ni bouée, ni barque secourable au cours de leur excursion maritime, au lieu de se reposer dans l'absence, ils avaient, chacun de son côté, battu l'eau de leurs bras, remué les jambes inconfortablement, afin de se maintenir à la surface d'un élément qui ne leur tendait aucun appui. Ce grand travail de la pensée les avait, à leur insu, engagés l'un l'autre. Quand ils se revirent sous le regard d'Isabelle, qui avait convoqué la voyageuse, ils n'eurent point à se parler, à exposer leurs impressions: ils étaient unis, la distance silencieuse avait scellé leur secrète convention.

448. Conte triste. 17

17. Isabelle consentit au divorce, courut même au devant pour qu'au moins une priorité lui restât. Enfiévrée de chagrin et de fierté, elle ne fit aucune tentative pour imposer sa tristesse, elle dédaigna aussi, dans sa dignité blessée, d'appeler à soi, pour lutter, la gaîté, la salubre gaîté feinte, qui vivifie et aiguillonne ceux qui l'accueillent; elle ne put se décider à ce difficile courage de l'enjouement, qui pourtant sait, seul, parfois, dissiper l'épaisse ténèbre amoureuse. Julien et Christine, voyant que leurs essais de sacrifice avaient échoué, se résolurent à être heureux. Ils s'épousèrent. Isabelle, tombée un jour brusquement de la joie à la détresse imméritée, en était arrivée à ce point de résignation mélancolique où les nuances et l'accentuation ne se perçoivent pas : ainsi, dans les pays du Nord, ne distingue-t-on plus la température au-dessous d'un certain degré de froid. Elle fut donc malheureuse au point mort, ce qui lui donnait l'apparence de l'apaisement et de l'indifférence et la privait de tout concours extérieur.
Les nouveaux époux, satisfaits dans leur conscience et dans leurs goûts, se félicitèrent de partir pour le bonheur, de rajeunir, de naître, pour ainsi dire. Julien connut l'image seconde de ses rêveries, l'impudique image qui avait triomphé de ses habitudes, et pour laquelle il avait sacrifié le repos d'Isabelle. Cette image lui causa des émotions plus tendres que véhémentes, car il l'avait attendue longtemps, et parce qu'elle lui fut offerte tout d'abord au cours d'une impitoyable migraine acharnée sur Christine, qui la jetait, dévêtue, d'un bord à l'autre de son lit, comme se roule sur la grève la nymphe des tempêtes. Il ne contempla donc la volupté pathétique agonie et tiède l'effet de la mort, sur le visage de son amie, qu'après avoir surpris, parmi des traits si chers, les torpeurs de la syncope et les convulsions de la névralgie percutante.
Christine aimait tendrement Julien et lui fut reconnaissante de l'aider à l'aimer passionnément. Elle s'appliqua, avec une attention et un zèle excessifs, avec une dévotion de novice, à connaître le bonheur, qu'elle obtint. Mais à travers l'éclair ineffable de cette ivresse, appelée et perdue presque ensemble, et dont elle pleurait enfantinement le cruel évanouissement, elle percevait qu'un contrat lui assurait la durée, ou du moins le renouvellement nombreux, de ces fêtes brèves et délirantes, dont bientôt le dieu serait absent, tout occupé qu'il est de servir la joie précaire et menacée.

447. Conte triste. 18

18. Elle pressentit avec angoisse qu'elle tomberait des paradis du péché dans l'innocence du fidèle amour. Un jour qu'elle souffrait d'un rhume considérable, qui se prolongeait, elle s'étonna que le bonheur ne pût rien contre l'inflammation des narines et n'exorcisât pas l'éternuement. Elle douta des pouvoirs de Julien. Elle vit qu'il faisait appeler un docteur, elle comprit qu'il y a des cas où les hommes doivent être deux auprès d'une femme; elle le regretta, elle ne s'était pas représenté ainsi le bonheur. La pluie et la neige fondante obscurcirent spécialement cet hiver dévolu à leur agrément, et Julien, bien qu'empressé d'habitude à la satisfaire, laissait la saison agir sans s'interposer.
Bien certainement la jeune femme se fût soumise courageusement à ces contrariétés, si son mari eût bien voulu consentir à lui témoigner sans cesse le stupéfiant plaisir d'être à la première minute de leur mariage. Mais Julien lui-même passait avec les jours, comme tout le monde, comme toutes choses, et bien qu'il lui dît tendrement, un soir de juin: « Il y a six mois aujourd'hui, ma chérie, que j'ai le bonheur d'être votre époux », elle eut la révélation qu'elle n'était pas heureuse, qu'elle ne verrait plus en lui qu'un mari constant, passionné certes, mais non plus ce fou sans politesse et sans retenue, chaque fois méconnaissable, qui s'était pendant des semaines précipité à ses faibles genoux comme s'abat contre un mur de pierre un cheval emballé, et qui semblait, dans sa démence, prêt à toutes les excentricités, dont la fragilité éblouie de Christine recueillait le bénéfice. Un homme attentionné et tendre convenait parfaitement à Christine, mais ce serait le dernier, et elle-même le jugerait ridicule, elle le sentait bien, si, pour lui plaire, il lui répétait encore dans deux ans, comme il l'avait fait si souvent, ce vers destiné par Victor Hugo à Cléopâtre: "Les rois mouraient d'amour en entrant dans sa chambre"; Soupir insensé, prêté par le génie aux amants indigents, et qui enivrait Christine d'orgueil et de sécurité.
Nous avons suffisamment marqué la déception et la douleur qui se saisirent de nos héros, sincères mais impies. A quoi bon les suivre davantage dans la voie de l'absolu où ils se crurent le droit de s'engager, mus par la vision et l'appétit d'un bonheur sans disgrâces ?

446. Conte triste. 19

19. Apitoyés par leur sort, nous ne leur adresserons pas cette sévère demande : « Comment aviez-vous donc cru que tout cela finirait ? » et nous nous bornerons à conclure par cette moralité :
Il n'est, certes, au pouvoir d'aucun humain de ne pas subir la présence de l'ange silencieux, porteur de paradis, qui, brusquement, à son heure, par caprice divin, met un terme à notre tranquillité et à notre ennui. Christine et Julien furent, en pleine innocence, surpris par ce visiteur subtil qui se dégage des paysages, des saisons débutantes et chaudes, comme aussi de la boîte vernie du gramophone, du midi de la vie, d'une palpitation du regard, d'un soupir soudain éloquent et du vide lui-même. Ils étaient, d'une manière indéniable, sans aucune force contre lui, mais il eût été souhaitable que leurs facultés les eussent inclinés vers la modestie, vers la bonté, si raisonnable toujours, et qu'ils négligèrent gravement. Ah! s'ils avaient été modestes, lui et elle, quelle voix leur eût pu dicter de souhaiter un bonheur tout frais et neuf, comme une primevère qui reluit de ses radicelles carminées à son vert feuillage de velours, et que l'on transplante du jardin de son ami dans son jardin moins orné !
Modestes, ils se fussent aimés dans la discrétion, l'inquiétude, la présence parcimonieuse, le tremblement, le plaisir modique, la pauvreté. Ils auraient volé leurs minutes de joie misérablement, non pas comme vole le voleur réjoui qui pénètre astucieusement ans un splendide verger, mais comme vole, sous l'œil de Dieu, le mendiant courbé, tâtonnant, lequel ramassée à la nuit tombante, au bas des arbres, dans la forêt, les minces branches délaissées qui le chaufferont si peu, si mal, et qui n'appartiennent à personne, car la forêt immense et le terrible amour n'appartiennent à personne. Modestes, ils se fussent reconnus inaptes à aborder le drame, réservé aux grands cœurs, qui ont fait un pacte viril avec la foudre et le silence. Ils ne furent pas modestes, mais, ce qui est plus coupable, ils ne furent pas bons.

445. Conte triste. 20

20. S'ils eussent été bons, ils auraient spontanément, et dans un muet accord, renoncé à la morale apprise dont ils tenaient tout leur confort spirituel et leur fierté, à cette orgueilleuse morale qui ne songe qu'à soi, qui oppose à l'âme sa propre ombre exigeante; - ils eussent créé à leur usage, et surtout aux fins du repos d'Isabelle, un code tout pitoyable, dans lequel il est écrit: « Tu mentiras. »
« Tu mentiras », - est-il écrit dans ce code de la sagesse et de la compassion humaine, - « car là est ton châtiment et ton mérite » Il est difficile et douloureux de mentir, tant l'homme est porté naturellement à une sincérité extrême! Qui ne sait combien il lui est doux de parler de soi avec précision, abondance, exactitude? Et puis l'homme est distrait, et la vérité peut échapper alors au plus discipliné d'entre les vigilants, et causer d'inattendus désastres. L'être humain ne rechercherait pas tant la folie de l'amour si elle n'était pour lui le lieu même de la sincérité. Dire la vérité, c'est le propre de l'orgueil, l'affirmation du contentement de soi. A la passion, à l'étreinte, brève, terrassante, ennemie, - et qu'il convoite comme sa récompense' unique – l’homme préfère encore cette occasion de langueur que le désir épuisé lui fournit, et qui lui permet de parler de soi, de tout dire, de se raconter à l'espace, de se souvenir de sa petite enfance, de prévoir tout son futur. Une double biographie, alternée, chuchotante, entrecoupée de silences contemplatifs. Ô la vérité est observée comme le sont les tableaux de maîtres par le copiste fidèle, monte, tel un chant épanoui, des lèvres des amants apaisés! Ces propos si vrais, qui n'intéressent que deux êtres satisfaits, et parfois ne contentent finalement que le récitateur, car il se peut que le compagnon songe ou sommeille, témoignent néanmoins que l'amour a touché son but, qui est de faire jaillir deux vérités suprêmes: le plaisir et la confession ...
- Ô Mensonge, dieu sans attraits, si difficile à servir, protecteur infiniment bon, ne détournez pas votre visage de la pauvre foule des hommes 1 Venez à leur secours quand, humblement et pleins d'interrogations, ils pressentent votre charité. Veillez particulièrement sur ceux qui, pervertis par la: doctrine rassurante et brutale de la bonne foi, et toujours tentés de vous fuir, ne trouveront cependant qu'en vous la solution profitable !

444. Conte triste. 21

21. Formule de l'intelligence, inspirez les esprits sans promptitude ! Principe de l'activité qui invente et préserve, animez les cœurs lents et négligents! Veillez, Ô mensonge, sur ceux qui mésestiment vos sagaces instructions. Repoussez les plaintes arguments de nos consciences grossières, Maître infaillible de la délicatesse ! Veillez sur la fiancée radieuse, si contente de soi, qui, au dernier soir de sa vie innocente, inspecte dans sa chambre de jeune fille la robe de soie éblouissante, la fière couronne de cire, le voile de tulle brillant, - parure de son triomphe, - tandis que l'enfant de vingt ans qui va être son époux s'est réfugié une fois encore chez sa maternelle maîtresse, chez sa puissante amie, et sanglote de jeunesse contre ce corps accueillant, dont il croit avoir creusé les contours de toute la force de sa tête, de ses genoux, de ses bras, par le poids de la véhémence et de la divine habitude! Couché contre elle pour souffrir et pour oublier, il s'enfonce dans la douceur incurvée de l'épaule et de la hanche, délicieuses calanques de ses siestes heureuses et de son repos perdu ! Ah ! que la jeune fille si fière ne le sache pas !
Veillez, Mensonge, sur les couples vieillis qui, liés par la tendresse chenue, se sentent chacun, - l'homme et la femme, - séduits soudain par un jeune visage, et sont menacés de détruire, dans un moment de stupide espérance, les antiques trésors de leur amitié nécessaire, alors qu'en observant vos règles ils ajouteront à leur vie et n'y supprimeront rien. Veillez bien, Ô Mensonge, sur les amis et les amies, sur l'amante d'un père tentée par le fils, sur l'amante d'un fils tentée par le père, par le frère, - veillez sur cette mystérieuse loi de l'inceste spirituel, sur ce grand drame de la famille humaine et de la parenté, qui est tout logique, puisque l'attrait vertigineux, le choix sans rémission, l'enivrant détail sont partout réfractés!
Ô Mensonge, vous qui êtes, sous un déguisement bien assujetti, la Vérité, ne consentez à retirer votre casque que de temps à autre, bien rarement, en faveur d'un de ces êtres atrocement privilégiés qui habitent les sommets de Prométhée, où la souffrance n'a pas de diminution ! Ne vous départez qu'à bon escient de votre austère prudence.

443. Conte triste. 22

22. Révélez-vous progressivement, et de lustre en lustre, à quelques-uns de ces humains prédestinés qui vous pressentent dans les transes, et qui ne trembleront pas d'épouvante devant votre nudité redoutable qui est l'écorce du monde, qui a l'aspect du primitif chaos en même temps que du terme des choses. Ô Vérité sans voile, vous qui êtes ce qui est, divinité unique, - évidence, logique, destin, fatalité, - vous représentez l'immense arène où tout a combattu et combattra. Je vous contemple avec vénération, ô Vérité limpide: sang des justes, imploration de tous ceux qu'on lèse, soupirs des calomniés, yeux hébétés de celui à qui l'on nuit, regard des novateurs, gémissements de l'espoir motivé et vaincu, angoisse de l'expérience différée, de l'exactitude qu'on méconnaît ...
Ô Vérité, promesse de tous les maux, certitude de l'agonie, annonciatrice de la mort, je vous vénère et je vous loue. Impétueuse, qui construisez l'avenir, niais qui, serrée parmi la foule des causes et des circonstances, ne pouvez avance!" d'un pas sans que l'aient autorisé ce qui vous précède et ce qui vous suit, soyez bénie, esclave au front libre! Puisque nous vous avons évoquée, demeurez encore un instant, ô Vérité sans nul voile, auprès de vos partisans stoïques. Ne nous quittez pas avant d'avoir entendu de notre bouche ces mots d'amour: « Si cruelle que tu sois dans tes cruels moments, je t'aime, parce que le mal que tu me fais est conforme à la compréhension que j'ai de toi. Nécessité, qui est inéluctable et pleine de preuves, je t'aime parce que tu m'as choisie pour le savoir; je te remercie de m'avoir jugée digne. Et quand, en ce moment même, par ta présence persistante, s'écroulerait tout ce qui me favorise et me flatte, tout ce qui me préserve et me maintient, je. n'interromprais pas mon chant d'amour, et je te dirais: « Je t'aime, parce que tu es la Vérité !

442. Poème de l'Amour - Présentation 1


° Une sélection de poèmes de ce recueil a été publiée dans les messages 310 à 330
° Je propose dans les messages 390 à 440 qui suivent une nouvelle sélection qui reprend certains poèmes déjà mis en ligne mais dont l'intérêt me semble important.
° Une présentation de l'ouvrage est également proposée ci-après, extraite de l'ouvrage de François Broche, "Anna de Noailles, un mystère en pleine lumière", pages 378 et 379.

Antonio de la Gandara (1861-1917)
Ritratto della Contessa Anna de Noailles 1909
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Liste des poèmes publiés (ordre décroissant des messages 440 - 390
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Puisque je ne peux pas savoir. 440
Quand ce soir tu t'endormiras. 439
Matin, j'ai tout aimé et j'ai tout trop aimé. 438
La bonté n'étant pas l'excès. 437
Meurt t'on d'aimer ? On peut le croire. 436
Le courage est ce qui remplace. 435
Les volets, les rideaux, les portes. 434
Le silence répand son vide. 433
Le bonheur d'aimer est si fort. 432
Je ne t'aime pas que pour ton esprit. 431
Je ne puis comparer mon mal. 430
En ton absence, je ne puis. 429
Je me taisais, j'avais fait vœu. 428
Ceux qui, hors du rêve et des transes. 427
Jadis je me sentais unique. 426
Je crois que j'ai du te parler. 425
J'ai perdu l'univers puisque tu me suffis. 424
Fais ce que tu veux désormais. 423
Je n'ai pas écrit par raison. 422
Certes, j'aime ce que je pense. 421
Je bénis le sommeil, lui seul peut déformer. 420
Amis parmi tous les amis. 419
Aucun jour je me suis dit. 418
C'est l'hiver, le ciel semble un toit. 417
Automne pluvieux, mélancolique automne. 416
Tu me donnes enfin la paix. 415
Il est doux d'aimer faiblement. 414
Dans les ténèbres de Vérone. 413
J'ai travesti pour te complaire. 412
En ce moment tu ne sais pas. 411
Vivre, c'est désirer encore. 410
Un triste orgue de barbarie. 409
Enfin la première nuit froide. 408
J'aime d'un amour clandestin. 407
Ô suave ami périssable. 406
Les vers que je t'écris ne sont pas d'Orient. 405
Ce n'est pas une tendre chose. 404
Je ne puis jamais reposer. 403
Faut-il que tu sois juste aussi. 402
C'est d'une adresse humble et savante. 401
L'hiver aux opaques parois. 400
Impérieux mais indolent. 399
Azuré, faible, blessé. 398
A quoi veux-tu songer ?. 397
Ce que je voudrais. 396
Je crois à l'âme. 395
Je n'aime pas que tu me plaises. 394
En vain la peur d'un joug. 393
Il faudra bien pourtant. 392
Crois-moi, ce n'est pas aisément. 391
A présent que je t'ai bien connu. 390

441. Poème de l'Amour - Présentation 2


Poème de l’Amour - Août 1924
in François Broche « Anna de Noailles, un mystère en pleine lumière, pages 378 et 379
Le poème de l’Amour, recueil de deux cent vingt deux-pages n’est officiellement mis en vente que le 25 aout, mais les premiers exemplaires circulent déjà depuis un mois. Le 27 juillet Paul Valéry lui a écrit : C’est un feu extraordinaire que le vôtre, dont chaque palpitation consume et réverbère des années. [...J Vous a-t-on dit que ce volume de vers, votre dernier-né, est un événement de notre littérature ?
On commence a le lui dire. Les premiers comptes rendus sortent a la fin de juillet et au début d’août, signés de Gaston Rageot, d’Albert Thibaudet, d’Henri de Régnier. « Un poème intellectuel de la passion », annonce André Thérive dans L’Opinion du 15 août. En épigraphe, Anna avait place ces mots de Catherine de Sienne: « II faut d’abord avoir soif… » — bouleversante et elliptique définition de la passion.
Mais Anna, elle, définit l’amour comme « une passion cruelle et vaine, et elle a sans doute quelques raisons de se montrer aussi catégorique. Finis les débordements lyriques des précédents recueils, oublié le tumulte d’une sensualité gui paraissait ne jamais devoir s’épuiser, enfuis les grands élans, délaissé l’opulent alexandrin : restent des poèmes brefs (ii y en a en tout cent soixante-quinze), d’une simplicité éclatante, souvent octosyllabiques. Certains critiques lui en voulurent de ce qui était considéré comme un changement de genre malheureux: « Deux cent vingt pages de galimatias, de fausse préciosité, de vide et pénible éloquence », écrivait Emmanuel Buenzod; plus nuancé, Fernand Vandérem signalait « les restrictions, mitigations, extinctions de toute sorte qu’a imposées, dans ce recueil. Mme de Noailles a son exubérant et incandescent lyrisme », expliquant qu’il s’agissait là « d’un dépouillement prémédité, d’un appauvrissement volontaire »

Anna de Noailles par Foujita

Ces rares discordances ne pouvaient ternir la gloire d’Anna ou diminuer la place de l’une des œuvres exceptionnelles de notre temps et de notre littérature », selon le jugement de Bédier et Hazard, dans leur Histoire de La littérature française, publiée en cette même année 1924
Après La Gandara , Jacques-Emile Blanche, Helleu, Forain, Rodin, Romaine Brooks, Laszlo, Zuloaga, Hélène Dufau, Foujita immortalise les traits et surtout la silhouette de celle qu’une revue féminine, Eve, vient de sacrer « princesse des lettres », juste devant Colette): « Faites-moi debout afin qu’on dise: « Comme elle est petite et pourtant comme elle a fait de si grands vers » aurait-elle demandé a ce « Japonais admirable », si l’on en croit René Benjamin.

440. "Toujours, à toutes les secondes"


Toujours, à toutes les secondes,
Tandis qu’errante ou sous mon toit
Je suis moins moi-même que toi,
Ton corps lointain se mêle au monde !

Je t’évoque : doux, sans orgueil,
Alternant les bonds et les pauses,
La tristesse comblant ton œil,
Avec précaution tu poses,
(C’est dans mon songe !) sur le seuil
De mon âme amère et déclose,
Ton pas calculé de chevreuil.

Poèmes de l’amour, Fayard, 1924