07/04/2015

753. Marcel Proust à Evian (2)

Après avoir lu mon billet 751, Catherine Perry, professeur de Littérature, spécialiste d'Anna de Noailles, enseignante à l'Université "Notre-Dame" aux USA (Indiana), m'adresse le message ci-après :
"Pour ajouter à votre beau texte sur Proust à Evian, je vous suggère cet extrait de lettre de Proust à sa mère, au sujet d’Anna de Noailles et Dreyfus"

[Evian] Dimanche 1 heure 1/2 [10 sept. 1899]
 Ma chère petite Maman,
[...] Comme j’entrais dans le pavillon de Constantin [Brancovan] pour fumer avant le dîner j’ai entendu des gémissements. C’était la petite Noailles (la poétesse) qui passait en sanglotant de toutes ses forces, en gémissant d’une voix entrecoupée, "comment ont-ils pu faire cela, comment ont-ils osé venir le lui dire, et pour les étrangers, pour le monde, comment a-t-on pu ?" Elle pleurait avec tant de violence que c’était attendrissant et que cela me l’a réhabilitée. […]

752. Marcel Proust à Evian (1)

Le 25 août 1899, Marcel Proust rejoint ses parents, le Docteur et Madame Adrien Proust, qui séjournent au Splendide et Grand Hôtel des Bains. Le Docteur, inspecteur général des Services Sanitaires, s'intéresse au thermalisme, son épouse soigne son embonpoint en allant, chaque matin, boire trois verres d'eau. Son fils hésite entre l'annexe du Beaurivage, l'Hôtel d'Amphion, « la minceur des murs n'arrêtera pas le bruit» et le Splendide, dont les travaux d'embellissement n'ont pas treize mois et où il trouve les « qualités de solitude et de silence ».
Il a vingt-huit ans, fume exagérément, a des crises d'asthme depuis dix-huit ans. Il travaille son premier roman, « Jean Santeuil », reste seul à l'hôtel, le 9 septembre, après le départ de ses parents, fréquente le prince Antoine Bibesco, le prince Constantin de Brancovan et sa sœur, future Anna de Noailles, dans leur villa Bassaraba, Monsieur et Madame Bartholoni dans leur maison de Coudrée, l'écrivain Henri Bordeaux, le pianiste Léon Delafosse, le comte Clément de Maugny, assiste au mariage, le 18 septembre, de la sœur du baron Joseph Vitta avec l'explorateur Edouard Foa, à la villa La Sapinière, où Auguste Rodin achève dans le hall d'entrée L'été et l'hiver, fait le tour du lac, visite le château de Coppet, sur la rive suisse entre Genève et Nyons, où Madame de Staël a vécu.
Il quitte Evian le 8 octobre, écrit vingt et une lettres durant ces six semaines. En septembre 1900, sur la route de Venise, il s'arrête quelques jours au Splendide, avant sa fermeture annuelle. En 1902, il projette de retourner à Evian, «dans son grand désir de revoir le beau lac», mais il n'arrivera pas à quitter Paris. Dans sa correspondance de 1899, il relate quelques faits de sa vie évianaise, notamment son émotion pour la nouvelle condamnation par un conseil de guerre, à Rennes, de l'officier Dreyfus. Il en restera blessé durant tout son séjour.

751. Anna de Noailles et Marcel Proust


La première visite de Proust à la Villa Bassaraba eut lieu en août 1893. Il fut présenté par Louis de la Salle et Robert de Montesquiou qui venaient passer trois semaines à St Moritz.
Montesquiou avait lu des vers de Proust et désira manifestement les montrer à Anna de Noailles, alors âgée de seize ans et qui écrivait ses premiers vers.
Proust fut rapidement accepté comme membre du cercle littéraire Brancovan-Noailles qui se réunissait chaque été à Amphion. Mais Proust connaissait déjà bien le lac Léman Evian et ses environs car ses parents passaient régulièrement à l’Hôtel Splendide d’Evian leurs vacances d'été
Proust et le cercle Brancovan-Noailles étaient des Dreyfusard passionnés. Le docteur Adrien Proust, père du romancier était quant à lui un anti-Dreyfusard tout aussi passionné. Au moment du verdict en septembre 1899, Proust se rappellera avoir trouvé Anna de Noailles dans sa chambre de la Villa Bassaraba, pleine de rage et en sanglots.  
En août 1903, la famille Proust passa ses dernières vacances à Evian. Le docteur Proust était malade et il devait mourut en novembre. Ce dernier séjour fut marqué pour Marcel par un voyage à Chamonix et à la Mer de Glace en compagnie d’Anna de Noailles et de ses amis.
A Evian, souffrant déjà de problèmes de santé, on pouvait le voir en manteau, au milieu de la foule d’estivants sur l’omnibus de l’hôtel. Proust, généreux en pourboires, était très populaire auprès du personnel de l'Hôtel Splendide. Le liftier du grand palace d'Evian, détesté parce qu'il était juif et dreyfusard, a d'ailleurs été évoqué dans la "Recherche".
En septembre 1905, Proust séjourna pour la dernière fois au Splendide avec sa mère malade.
Evian, Amphion, le lac et les paysages environnants apparaitront fréquemment dans l'oeuvre de Proust rédigée après cette date.
 

 De haut en bas :
-la Villa Bassaraba à Amphion,
- l'hôtel Splendide à Evian
- Marcel Proust devant l'hôtel Splendide
Je remercie vivement Pascal Mazzuchetti, l'un des lecteurs de ma page Facebook, de m'avoir fait connaitre ces photos.