01/04/2011

170. "La douleur"

Les larmes des cieux
 
Quand la douleur est vaste, ardente, sans mélange,
Quand elle aveugle ainsi qu'un ténébreux soleil,
Elle est dans l'eau qu'on boit et dans le pain qu'on mange,
Et dans les rideaux du sommeil !
Comme l'odeur du sel sur les routes marines,
Comme les chauds parfums de Corse ou d'Orient,
Elle emplit le poumon, étourdit la narine,
Et griffe ainsi qu'un diamant !
Les arceaux de l'azur, le fier tranchant des cimes,
La longueur des cités et leurs hauts monuments,
Ne sont qu'une eau rampante et qu'un grisâtre abîme
Auprès de son envolement !
Douleur qui me comblez, chantez, voix infinie !
Attachez à mon cou vos froids colliers de fer;
Qu'importent l'esclavage et la dure agonie,
Je vois les mondes entr'ouverts !
J'ai vu l'immensité moins vaste que mon être;
L'espace est un noyau que mon coeur contenait;
Je sais ce qu'est avoir, je sais ce qu'est connaître,
J'englobe ce qui meurt et naît !
L'ange qui fit rêver Jésus sur la montagne,
Qui lui montra le monde et tenta son esprit,
M'a, dans les calmes soirs des verdâtres campagnes,
Tout soupiré et tout appris !
Serai-je désormais l'ermite magnanime
Qui vit de son secret, par-delà les humains ?
Pourrai-je conserver, dédaigneuse victime,
La solitude de mes mains ?
Pourrai-je, quand résonne, ô Printemps, ta cadence,
Ivre du seul orgueil et des seules pitiés,
Ecouter la secrète et chaste confidence
Qui va des soleils à mes pieds ?
O Douleur! je comprends, arrêtez vos batailles:
Au travers de mes pleurs j'entrevois vos projets;
Un chaud pressentiment m'éblouit et m'assaille;
C'est dans ce feu que je plongeais !
Je sais,-moi qui vous tiens, vous respire, vous touche,
Moi qui vis contre vous et qui bois votre vin
Dans un dur gobelet collé contre ma bouche,
Quel est votre dessein divin;
Vous préparez la vie avec vos sombres armes,
Le corps que vous brisez rêve d'éternité,
Hélas! les purs sanglots, les tremblements, les larmes
Aspirent à la volupté !