08/02/2012

415. "Tu me donnes enfin la paix"

Tu me donnes enfin la paix
Par cet excès de toi; l’aisance
Se répand en moi; tu te tais
Et tu réponds à mon silence.
Je n’ai plus à questionner,
Plus à perdre, plus à gagner,
Rien à savoir, rien à nier;
Je suis, dans l’ombre où je repose,
Insensible comme les choses

414. "Il est doux d’aimer faiblement"

Il est doux d’aimer faiblement,
Quand, ayant vaincu sa puissance,
L’amour dès son commencement
Ressemble à la convalescence.

Quand on songe à ce qu’eût été
Cette tempête meurtrière,
Et qu’à présent, malgré l’été,
Malgré la chaleur, la lumière,

Malgré la musique, malgré
Ce point fascinant d’un visage,
On a doucement enterré,
Entre l’ardeur et le courage,
Noirs cyprès d’un clair paysage
Le désir dans un tombeau sage

413. "Dans les ténèbres de Vérone"


Dans les ténèbres de Vérone
On entend mourir Juliette.
À Venise, ardente, inquiète,
On voit suffoquer Desdémone.
Envions le cœur qui s’arrête
Quand un excès d’amour l’étonne
Le plaisir n’est que ce qu’on prête,
Mais la vie est ce que l’on donne

412. "J’ai travesti, pour te complaire"

J’ai travesti, pour te complaire,
Ma véhémence et mon émoi
En un cœur lent et sans colère.

Mais ce qui m’importe le plus
Depuis l’instant où tu m’as plu,
C’est d’être un jour lasse de toi !

Je perds mon appui et mon aide,
Tant tu me hantes et m’obsèdes
Et me deviens essentiel !
Je ne vois la vie et le ciel
Qu’à travers le vitrail léger
Qu’est ton nuage passager.
Je souffre, et mon esprit me blâme,
Je hais ce harassant désir !
Car il est naturel à l’âme
De vivre seule et d’en jouir

411. "En ce moment tu ne sais pas"

En ce moment tu ne sais pas
La force que je t’ai donnée.
Quel jour, quelle heure, quelle année,
A ton midi; à ton trépas,
A quel point de ta destinée
Concevras-tu, triste, effrayé,
Que tu n’as pas su voir briller
Ce grand amour de douce louve
Que jamais plus on ne retrouve ?

410. "Vivre, c’est désirer encor"

Vivre, c’est désirer encor ;
Le courage, c’est l’espérance ;
Quand l’esprit se meurt de souffrance,
On sent parfois rêver le corps.

La triste enfance, que harasse
L’énigme oppressante des jours,
A hâte d’appuyer sa face
Au dur visage de l’amour.
Le songeur poursuit dans l’espace
Que parfument les bleus étés
D’aériennes voluptés.
Le désir et l’anxiété
Cherchent un sort qui les délasse.

Moi, j’attends que ta beauté passe…

409. "Un triste orgue de Barbarie"

Evian. Août 2012
Un triste orgue de Barbarie
Enfonce dans l’air du matin,
Comme à coups de couteau qui crie,
Un vulgaire, un pointu refrain,

Et même cela, cela même,
Ce triste chant malade et maigre,
Dans la rue où souffle un vent aigre,
Me fait songer au bleu foyer
De ton regard droit et noyé,
Et m’indique combien je t’aime !

408. "Enfin la première nuit froide"

Enfin la première nuit froide
Plus de vents dansants, amollis.
L’atmosphère est tendue et roide,
Le beau ciel d’argent dépoli
Allonge sa paix où se creuse
Le puits des étoiles neigeuses.
Va-t-il enfin me protéger,
Ce climat soudain sans tendresse,
De ton beau visage étranger
Sur lequel mon amour s’abaisse
Comme ces œillets las, déteints,
Qu’englobent les pleurs du matin ?

407. "J’aime d’un amour clandestin"

J’aime d’un amour clandestin.
Ce que de toi nul n’a aimé :
Le sourd battement enfermé
De ton cœur et de ton instinct.

Nul n’a songé avec douleur
À ces beaux secrets écorchés
Du mouvement intérieur,
Puissant, indomptable et caché !

Mais moi je sais que c’est ton sang
Qui te fait net, pur, précieux,
Et mon rêve en ton corps descend
Comme vers de plus sombres cieux.

406. "Ô suave ami périssable"

Ô suave ami périssable,
Tu ne pourras laisser de traces
Que le temps mobile n’efface
Comme fait le vent sur les sables!

Tes doux jeux, charmants, éphémères,
Sont faits d’écume et d’âme amère.
Et cependant, quoi que tu fasses,
Il restera que je t’aimais,
Que j’ai dit ta grâce à l’espace,
Et penché sur tes yeux ma face
Où le soleil se résumait !

405. "Les vers que je t’écris ne sont pas d’Orient"

Les vers que je t’écris ne sont pas d’Orient,
Je ne t’ai pas connu dans de beaux paysages,
Je ne t’ai vu mobile, anxieux ou riant,
Qu’en des lieux sans beauté qu’animait ton visage.

Tout le tragique humain je l’ai dit simplement,
Comme est simple ta voix, comme est simple ton geste,
Comme est simple, malgré son fastueux tourment,
Mon invincible esprit que ton œil rend modeste.

Mon front méditatif, et qui porte le poids
De sentir s’emmêler à mes pensers les astres,
Te bénit pour avoir appris auprès de toi
Le rêve resserré et les humbles désastres.

Et si ton innocent et rayonnant aspect
Ne m’avait longuement imposé son mirage,
Je n’aurais pas la vive et misérable paix
Qui préserve mes jours des douleurs sans courage…

404. "Ce n’est pas une tendre chose"

Ce n’est pas une tendre chose
D’aimer ! L’instinct dévorateur
Pille l’âme, les yeux, l’odeur,
Et puis, lassé, il se repose.

Et l’on regarde doucement
Ce qui causa tant de souffrance !
Et l’on est bon, l’on rit, l’on ment,
L’on évite tous les tourments
A ce faible et fragile amant,

A cause de l’indifférence…

.

403. "Je ne puis jamais reposer"

Je ne puis jamais reposer
Mon esprit, qui, de loin, contrôle
Le souci qui vient t’épuiser,
L’ennui qui pèse à ton épaule.

Jamais je n’ignore un instant
Que tu respires, parles, rêves;
J’éprouve, triste combattant,
La nécessité d’une trêve !

Ah! j’aurais besoin que parfois,
Dans une calme et longue aurore,
L’univers m’apparût sans toi,
Et ne t'eût pas fait naître encore !

402. "Faut-il que tu sois juste aussi"

Faut-il que tu sois juste aussi,
Étant vivace et délectable ?
Le soleil même, ample et précis,
Délaisse la rose ou l’érable;
Qu’appelle-t-on être équitable ?
Peux-tu nourrir également
Toutes les âmes qui t’appellent ?
Dédaigne leurs tendres querelles :
Être aimé, c’est être clément.
Que l’on vive en ta dépendance !
Quels sont ces vaniteux, ces rois,
Ces cœurs jaloux, ces fronts étroits,
Ces corps dépouillés de prudence
Qui se dirigent sans effroi
Vers cette aride pénitence
De s’être fâchés avec toi ?

401. "C’est d’une adresse humble et savante"

C’est d’une adresse humble et savante
De t’avoir aimé de la sorte,
Car, par mon cœur qui se transporte
En ta force heureuse et mouvante,
Je ne vis plus d’être vivante,
Et ne mourrai pas d’être morte !