18/11/2012

555. Le silence joyeux

Le silence joyeux d'automne,
Où le froid net rit de plaisir,
Contient un pétillant désir
A la fois vif et monotone.
Le cri d'un canard se cantonne
Au bas d'un buisson déchiré
Par le vent clair. Les bois, les prés,
Qu'un gel mince et brillant peinture.
Semblent jouir et s'enivrer
De cette étreinte de froidure.
Le ciel pur est du bleu sacré
Des printemps d'Hellade ! Nature,
Qu'il est beau ton désir mouvant !
Les silences, le froid, le vent,
Tout ce qui séduit ou harcèle,
Vient servir la vie éternelle
De l'univers gonflé d'ardeur !
— Nature sans repos ni peur,
Qu'il est beau le désir panique
De la forêt chantant, tanguant,
Forte comme un voilier fringant
Qui fend les flots de l'Atlantique !
Rien ne meurt, tout va s'élancer
Bientôt, à nouveau, de la terre
Où les germes sont entassés
Comme une dormante panthère.
— Car, quel que soit l'épuisement
De l'automne, et ses longues pauses,
Le printemps, en qui tout repose,
Se prépare éternellement !

Les Forces Eternelles


554. Accueil au soleil - Canicule

ACCUEIL AU SOLEIL

Puisque chaque matin tu viens chez moi, cher hôte,
Que nous pouvons rêver et vivre côte à côte,
Qu'autour de toi je peux jeter mes bras ouverts,
Je ne me plaindrai plus du blessant univers.

Soleil débordant, dieu clair, dieu véritable,
Assieds-toi sur ma chaise, approche de ma table
Où mon désir t'attend, où ton couvert est mis;
Je n'ai pas d'autre espoir et pas d'autres amis.

Voici des fruits posés sur une assiette blanche ;
Ils sont à toi, prends-les ; que ta grâce se penche
Sur la prune au suc vert, sur le rose brugnon :
Bois-les, mords-les, ils sont ta part, cher compagnon.

Tu dis : « Délos sur l'onde est une rose bleue,
Les dauphins écailleux dont scintille la queue
Sont des vases d'argent roulés aux flots amers,
Et moi je suis la nef flamboyante des mers.

Je ris au fond des deux, je luis, je coule, coule,
Je suis seul et je suis l’héroïsme et la foule,
L'Iliade c'est moi, Troie enflammé c'est moi,
Et je suis l'éternel anneau des douze mois !

Je suis, je suis ; le reste est vapeur, est fantôme,
Est ombre et vanité sous mon illustre dôme ;
"Je n'ai pas de voisin, je n'ai pas de pareil.
Je suis le fort, le doux et l'unique soleil.

Je brille, je m'entends briller, je m'émerveille.
Je suis le miel divin des célestes abeilles.
Je n'ai pas de témoin, aucun humain n'osant
Pénétrer mon regard qui brûlerait son sang. .

Et le soleil me dit : « Humble sœur, tu t'affliges
De répandre sans but ton rêve et tes vertiges •
Lève les yeux, vois-moi, je suis si beau, si pur,
Pour le vide infini, pour le désert d'azur... .

CANICULE

Le blanc soleil du plein été.
De sa bouche au souffle argenté
Poursuit sur la torride allée
Des feuilles de rosiers brûlées.

L'air papillotant de chaleur
Semble arracher des étincelles
Aux lourds feuillages que harcèle
L'immense clarté sans couleur.

Les voix des oiseaux se sont tues,
L'espace semble agoniser;
Mais voici qu'elle vient danser,
— Brusque sorcière inattendue, —
La pluie alerte, ample, pointue,
Sur tous les chemins harassés ;
Puis elle se meurt; l'étendue
Disperse dans la paix du soir
Cette calme odeur d'arrosoirs...

Les Forces Eternelles

553. Quand le soleil - Calme soir

QUAND LE SOLEIL..

Quand le soleil descend dans un azur limpide
Et rapproche de nous son lumineux réseau,
On entend se lever sur le soir clair et vide
Le brouillard du chant des oiseaux.

Toutes ces voix ruées sur l'heure du silence
Démêlent, semble-t-il, un écheveau soyeux.
Un cri tire, un cri perce, un autre cri s'élance
Et raye le satin des cieux.

Et l'azur peu à peu se gonfle de lumière
Comme une fleur explose avant que de finir.
Crépuscule ! Seconde aurore, plus austère,
Plus pesante de souvenirs.

Que j'aime ta douceur méditative et sage,
Qui porte la fatigue et la somme du jour,
Vaisseau aérien dont le lent abordage,
Indulgent à la vie, indulgent à l'amour.
Verse sa cargaison de fruits meurtris et lourds...

CALME SOIR

Six heures du soir en été,
Paix, silence, immobilité.
Des écharpes de soleil dorment
Dans l'herbe épaisse, sous les ormes.
Le temps est dans l'ombre arrêté :
C'est un moment d'éternité.
Un magnolier que le soir creuse
Donne son odeur somptueuse.
Les jardins ont, tout engourdis,
La fixité du paradis.
— O calmes cieux, tièdes pelouses.
Mon fiévreux esprit vous jalouse ;
Repliement de l'air et des prés,
Laissez-moi ne rien désirer;
Que je sois, comme vous, unie.
Longue, stable, sage, aplanie,
Captive sous le frais réseau
Du vert parfum des bois, des eaux.
—  Oui, rien ne bouge, rien ne change
Dans ce soir tiède, mol, étrange.
On croirait que tout est dissous.
Qu'il n'est plus de temps, plus de nombre,
Qu'il ne fera plus jamais sombre.
Si, détournant son œil si doux,
Le mouvant soleil, tout à coup,
N'avait mis ce rosier dans l'ombre...

Les Forces Eternelles

552. Pluie tiède - L'aube point faiblement

PLUIE TIEDE

L'été contre mon cœur s'appuie
Et je défaille de désir,
De désir ou de nostalgie ;
On ne sait comment définir
Cette heureuse et triste magie.
— La languissante et chaude pluie
Est comme un amoureux chagrin ;
Ce n'est pas ce gai tambourin
Du printemps qui gicle et ruisselle,
Ce dur ressort de sauterelle
Frappant le sol ; ce jet aigu
De légers astres exigus,
Ce sont les larmes de l'espace,
Du mol espace que harasse,
A la fin des jours chauds d'été,
L'insoutenable volupté...

L'AUBE POINT FAIBLEMENT...

L'aube point faiblement, tous les coqs ont chanté ;
Le bourgeon bleu du jour éclot de tous côtés,
La nature a sa grâce intime et reposée.
Un vent léger transporte un parfum vif, amer.
Le jour, tout ruisselant d'éclat et de rosée,
Est frais comme un poisson qu'on arrache à la mer !
Le monde a revêtu la faible teinte verte
Qui semble un vol léger butinant la forêt,
A chaque instant on voit ce verdoyant secret
Enfler et chuchoter sur le branchage inerte ;
Et le montant soleil a posé sur mon cou
Sa belle main forte et cuisante,

On entend dans les bois, — comme un cœur dont les coups
Ont une langueur hésitante, —
Le charmant hoquet du coucou.
Sur le bord frissonnant des eaux et du rivage,
Les canards, égayés, suscitent en nageant
Le rire éparpillé des petits flots d'argent,
Où tremblent, verts îlots, leur pétillant plumage.

— Le plaisir, le bonheur, le franc contentement.
Divinités des airs, des lieux et des moments.
Sont partout répandus. Le feu du soleil noie
Les gazons veloutés de joie !
Et le chant de l'oiseau, vague, immatériel.
Qui dans les noirs rameaux s'ouvre comme un calice,
Communique à l'espace un débordant délice.
Et parfume l'azur comme un astre le ciel !

Les Forces Eternelles

551. Buée - Pour oublier - La noble nuit - Eclosion

BUEE

Allègre humidité de la terre qui germe !
On croirait, tant le bois, noir encor, semble gai,
Que le sol crépitant devine qu'il renferme
La multitude heureuse et vive des muguets.

Un turbulent oiseau, dont la voix étincelle,
S'exténue en cris vifs, acharnés, diligents,
Comme s'il lui fallait, pour que le jour ruisselle.
Dans l'espace alourdi percer des trous d'argent...

POUR OUBLIER LA MORNE HOULE.

Pour oublier la morne houle
Humaine, affairée et frivole,
Écoutons respirer la foule
Des belles choses sans paroles.

Calme du soir, fraîche candeur !
— Que j'aime ces abords des bois
Où gît, invisible et sans poids,
La masse immense des odeurs...

LA NOBLE NUIT EST.

La noble nuit, est sans langueur,
Toute pure, calme, frétée
Pour naviguer sans bruit ni heurt
Sur la nette et froide senteur
Qui comble la nue argentée.
Ah ! cette cristalline odeur,
Méditative et solennelle,
Dans cette vide immensité
Où mon esprit déploie une aile,
Cette froide odeur, d'où vient-elle,
Cette odeur de la nuit d'été ?
— Rien que le vent et les étoiles.
Ce sont deux puretés égales.
Et sur cet océan d'acier
Composé d'ombre et de silence,
Mon rêve lentement s'avance
Comme un vaisseau dans des glaciers...

ECLOSION

Amère odeur des primevères,
Arôme inquiet, ingénu,
Posé sur le sol triste et nu
Du pauvre printemps qui s'avère,
Je sais votre effluve inconnu.
Votre odeur de froid et de terre.
Ce parfum timide, frileux,
Puisé dans l'abîme argileux
Où tout commence, où tout s'achève.
— Et voici qu'un subit oiseau
Jette une note étrange et brève.
L'espace est encor baigné d'eau.

Le ciel est gris. Pourtant le rêve
Que rapporte chaque printemps
Vient de naître en ce simple instant
Où la faible fleur, qui décide.
Avec son arôme ténu.
Que le bonheur est revenu,
A, dans le soir humide, acide,
Perçu le cri neuf, entêté,
D'un humble oiseau ressuscité...

Les Forces Eternelles

550. Matin frémissant - Midi - Le ciel mélé du soir

MATIN FREMISSANT

Les pétales du vent, balayeur de rosée.
Flottent en clapotant sur le naïf jardin.
Ah ! Que je sois aussi la plante reposée
Que réjouit le rire onduleux du matin !

L'oiseau, fleur sans lien dont le pétale est aile,
S'élance avec un cri provocant et hardi,
Et revient, tout baigné de luisant paradis,
Répandre sur les bois de célestes nouvelles.

Des ruisseaux de soleil sont dans l'herbe épanchés,
Leur aveuglant éclat se déplace et vacille,
Et ces blancs diamants dont la lueur fourmille
Sont sveltes et tremblants comme un jet d'eau couché.

— O beauté du matin, ô naissance des choses,
Fibre, pulpe, liqueur du citron vert encor !
Délicat univers qui toujours recompose
Son antique, son neuf, son éternel essor !

C'est à cette bonté précise et continue
Que je confie un cœur à qui tout fut amer,
Recueillez-moi, vapeurs et rayons de la nue,
Secondez-moi, murmure inlassable des mers !...

MIDI

Voici le cri du coq, brouillard chantant qui jette
Sur le jour ébloui un halo de bonheur.
Je le connais aussi, oiseau fou de conquête.
Ce rauque acharnement à s'arracher le cœur !

Comme la mer montante, en sa grande espérance,
Tente de submerger l'univers dédaigneux,
Ta trépidante voix et mes rêveuses transes
Déchaîneront en vain leur appétit des cieux!
Nous ne pouvons nous taire ! Hélas, il nous affame
Ce ciel tout argenté d'épineuse chaleur !
— Midi, fruit brasillant qu'on absorbe par l'âme,
O Châtaigne d'azur qui lacérez le cœur !

LE CIEL MELE DU SOIR...

Le ciel mêlé du soir a les tendres couleurs
Multiples des mielleux et fins pois de senteur
Qui sont bleus, roses, blancs et mauves mollement;
C'est un ample bouquet que ce clair firmament,
Où les oiseaux criant se hâtent et se sauvent
Comme pour regagner de célestes alcôves.
— Splendeur des soirs d'été, que vous brisez le cœur
Par votre calme ardent, vos clartés, vos moiteurs,
Vos conseils de plaisir, vos suspectes promesses,
Qui coulent en eau d'or du soleil qui s'abaisse !
— C'est le soir, cet instant romantique du temps.
Où tout espère et rêve, où le désir attend,
Car l'âme des humains ne sachant pas que faire
De la molle beauté qui pare l'atmosphère,
Croit, en pressant sur soi un autre triste cœur,
Savourer à la fois et tarir le bonheur...

Les Forces Eternelles

549. L' orage


L'hirondelle en criant vole bas et halète,
Les carpes ont coulé leurs ombres violettes
Dans l'étang attristé où leur jeu se bloqua.
L'espace est somptueux et pourtant, délicat,
La nue est remuée, et calme la prairie;
L'orage étend au loin son roucoulant fracas
Empli de passion houleuse, endolorie,
Qui se perd dans les monts altiers, et leur transmet
Cette sombre, puissante et grave rêverie,
Comme un baiser donné par l'espace aux sommets...

548. Eveil d'une journée

Éveil d'une journée heureuse !
L'atmosphère semble mousseuse
De chaleur, d'éclat, de langueur.
La force brusque de mon cœur
Bondit au ciel comme une balle ;
Comme de secrètes cymbales
L'argent des prés, l'argent des cieux,
Se rapprochent en chocs joyeux
Qui scintillent comme des lances !
Dans la verdure, le silence,
— Halètement calme et dispos
Sur qui passent de fines limes, —
Est incrusté de bruits infimes :
Cris légers, bonds légers d'oiseaux,
Rouet aérien des guêpes,
Frais chevrotement d'un ruisseau
Que la menthe rose intercepte.
— O jeune splendeur de l'été
Sûr de soi-même, indestructible,
Si saturé de volupté
Que votre orgueil semble insensible,
Je souffre lorsque vous riez
De toute votre verte force,
Avec les pommiers, les poiriers,
Les rameaux fuselés ou torses ;
Je souffre lorsque je comprends
Que votre éblouissant torrent,
Céleste, écumeux, qui se pâme,
Ne pourra réjouir mon âme
Que pendant quelque temps encor !
— Saviez-vous quel puissant accord.
Mêlé d'ineffable torture,
M'apparente avec la nature,
Par tous les rêves de ce corps
Plus que vous gonflé de verdure,
De plaisir défaillant et fort,
De soleil, d'espoir, do folie?
— L'injuste ferveur qui me lie
A l'univers aveugle et sourd
Est mon triste et blâmable amour.
O solitude nostalgique !
Que peut ce végétal cantique
Qui m'emplit et me méconnaît
Et me fait chanceler ? Je n'ai
De repos, d'oubli, de délices,
Que près de vous, tendre complice,
Indolent et fougueux ami !
— Que vos bras étendus soient mis
Devant l'espace qui m'oppresse.
Guerroyant plaisir des caresses,
Tumulte des regards humains,
Fureur des lèvres et des mains,
Dérobez à mon cœur qui souffre
Le limpide et bleuâtre gouffre,
Puisque l'amour seul peut ôter
La tristesse de la beauté !

Les Forces Eternelles

547. Matin de Mai


Un lilas, tout fleuri, semble épais, rocailleux,
Comme un récif en corail bleu.

Le cri désordonné d'un oiseau déchiquette
La pulpe du ciel qui halète.

L'ombrage des sapins sur le chemin étend
La verte fraîcheur des étangs ;

Leurs délicats bourgeons, aigus comme des flèches,
Sont jaunes comme des flammèches.

Une abeille, volant dans un carré de ciel.
Tisse un morceau de toile en miel.

Les duveteux parfums que la chaleur exploite
S'élargissent, rêveurs et moites.

L'odeur d'un lierre ombreux, par la brise surpris,
S'envole comme une perdrix.

Toute la matinée, exultante, odorante,
A la gaîté de l'eau courante.

Vent bleu, jardin, soleil, cri d'oiseau délirant.
J'absorbe tout en respirant!

Les Forces Eternelles

546. Automne, ton soleil - Pluie printanière

AUTOMNE, TON SOLEIL...

Automne, ton soleil, comme une tiède main.
S'est encor ce matin posé sur mon visage,
Une claire gaieté émanait des chemins
Où les ruisseaux glissaient comme un liquide herbage

Il semblait que l'été, rétrécissant son cœur.
Eût laissé dans l'azur ce cercle étroit et tendre
D'un soleil plus lointain, dont la pâle chaleur
S'isolait dans l'éther sans vouloir en descendre.

— Mais ce ciel délicat, paisible, cristallin,
Ne pouvait pas tromper, triste Automne économe,
Cet amoureux besoin qu'a la race des hommes
De louer ce qui naît, et non ce qui s'éteint !

Le doux parfum des bois dissous dans le silence,
Les jardins, leur dernier œillet, mince et fringant,
L'abeille frappant l'air d'un vol moins arrogant,
M'emplissaient d'une amère et sûre défiance.

— Et pourtant, que m'importe, enfin, ce sol plus nu !
Voudrais-je maintenir l'expansion suprême ?
Ayant tout désiré, ayant tout obtenu.
L'excès dans la douleur et dans le plaisir même,

Ne dois-je pas aimer cette saison qui meurt,
Qui ferme lentement ses ailes fatiguées,
Et qui, sentant faiblir l'éclat et les rumeurs,
Se confie au néant, soumise et subjuguée ?

PLUIE PRINTANIERE

Eau tendre où le printemps abonde,
Pluie industrieuse et féconde,
Dont le clair et piquant tapage
Est en marche dans le feuillage.
Fine habitante des nuages,
Toi qui transmets le ciel au monde,
Viens danser dans mes mains ouvertes,
Abaisse tes pieds diligents,
— ma sauterelle d'argent —
Sur ma joue à tes jeux offerte ;
La nue auguste se dévide
En minces écheveaux liquides.
— Ondée heureuse qui me touches,
Tu peux donc laisser sur ma bouche
La saveur des hautains espaces.
Tout ce que mon regard embrasse
Quand il parcourt la vaste nue
Est dans ta douce bienvenue.
— perleuse et tremblante échelle
Où mon regard va s'élevant
Aussi rapide que le vent,
Je me tiens sur ta passerelle !
Apaise par ton eau légère,
Qui pourtant s'abat en torrent,
La grande soif d'un cœur souffrant
En qui tout émoi s'exagère !
Viens noyer sous ton eau hardie
Mon déraisonnable incendie ;
Éteins ce cœur si brave, et qui
Languit sur ses lauriers conquis ;
Endors ce frémissant espoir
Qui s'irrite et ne peut surseoir,
Et que je sois, humide amie,
Sous ta ruisselante accalmie,
Comme une Naïade endormie...

Les Forces Eternelles

545. L'automne


Le fol, prodigue Automne, aux mains larges ouvertes,
Qui donne et répand tout, et s'arrache de soi,
Mène son ouragan dans un azur inerte ;
Les secs ruisseaux de l’air sifflent, et déconcertent
La méditation dos bois.

Rapide, ventilé, il s'élance, il s'écroule.
Il répond au Destin, soufflant, s'évertuant.
Le feuillage emporté navigue, tangue, rouie;
L'air, comme un océan,
Entraine en bondissant, sur ses venteuses houles,
Ce bouquet au néant !

Tel un bloc glacial de cristal et de jade,
La torpide atmosphère, au sérieux aspect.
Contient paisiblement cette immense escapade.
L'univers tremble aux mains d'invisibles Ménades :
Tant de fougue dans tant de paix !

Offrant à l'ouragan une grâce opposée,
Demi-nue, échappant à son feuillage clair,
La cime d'un bel arbre apparaît dans l'éther,
Lucide et reposée.
Un humide brouillard qui songe, gonfle l'air
De latente rosée.

Dans la forêt cinglant pour un fatal départ.
Les biches aux doux pieds, d'un confiant regard
Consultent, le front bas, la terre resserrée,
Et l'on voit onduler, sous la brise moirée,
Leur robe tachetée, ailée et aérée
De faisan et de léopard !

La nature bondit, mais le ciel se résigne.
L'horizon incline au sommeil,
L'étang, compact de froid, semble enclore les cygnes,
Précurseurs de l'hiver, à la neige pareils.

Tout se tait, et pourtant c'est un muet murmure :
Bourdonnement gelé du silence et de l'eau.
Le noir croassement des obliques corbeaux
Fait, dans l'éther uni, une sèche cassure.

Mais, plus que le printemps, plus encor que l'été,
Cette franche saison, pétulante et benoîte,
Avec ses bonds joyeux et ses mollesses d'ouate,
Et ses traînantes voluptés,

Donne aux pauvres humains la timide espérance
Que la nature penche un instant sur leurs vœux
Son grand battement d'aile, expansif et nerveux,
Où l'âme reconnait sa fougueuse indigence.

— Et pourtant, ô brillant et nombreux Univers,
Tous les morts sont couchés au funèbre revers
De ta belle cuirasse !
Tout ce que je respire est perfide et pervers :
Tes paysages d'or, peints de pourpre et de vert,
Ont jailli de ces sombres masses !

Je ne te tolérais qu'avant d'avoir compris,
Terre! astre terni parmi les autres astres,
L'injure sans pitié que tu fais à l'esprit.
Lieu de déception et d'infinis désastres !
Enfant, je m'irritais d'appartenir à toi. 

Je trouvais ton ciel vide et ton contour étroit.
Et je n'aurais jamais consenti la blessure
De nouer à ton cœur les maillons de mes jours,
Si tu n'avais alors, ù tenace Nature ! 

Fière de posséder cet éternel recours,
Fait surgir à mes yeux, comme un soleil auguste
Par qui tout est certain, attirant, simple et juste,
L'explosion suave et vaste de l'amour !...

Les Forces Éternelles


544. Les nuits d'été

La poudre bleue des ciels du soir,
Un balcon que des fleurs étreignent,
Cette paix de l'ombre, où se plaignent
Tous les désirs, tous les espoirs,

Cette odeur de calme et de vide
Que préside, dans un ciel pur,
La lune éternelle et candide,
Clair visage usé, mince et dur.

Cette acre évidence de l'âme
Que ressent, dans les nuits d'été,
Le corps qui soupire et se pâme
Et se meurt de liquidité,

Les cieux que le silence attise,
Tout ce qui stagne, ce qui luit,
Ce moi état nerveux des nuits,
Cette latente et tendre crise,

Le vivace espace, habité
Depuis les premiers jours du monde
Par des siècles de nuits d'été
Que le même désir inonde,

O Nature, cet univers.
Ce réel et cet impossible,
Tout ce qui semble inaccessible.
S'échange par les cœurs ouverts !

Tout ce poids sublime, ô Nature,
Que l'on soutient les yeux levés,
Il est scellé, il est rivé
Au corps triste des créatures !

— Ainsi blessent les cieux d'été... —

Se peut-il que parfois les êtres,
Humbles plantes de volupté
Que l'éternel désir fit naître
Pour la suave avidité

Et pour l'unique récompensé
De l'amoureuse charité,
Aient ignoré vos complaisances,
Sombre Amour incontesté !

Les Forces Eternelles

543. Charme d'un soir de mai - Azur - Vent d'été

CHARME D'UN SOIR DE MAI...

Charme d'un soir de Mai, que voulez-vous me dire ?
Comme un corps plein d'amour vous venez contre moi;
Pourtant à peine suis-je une âme, je respire
Humblement, comme l'herbe et les oiseaux des bois.

Pourquoi m'invitez-vous ? Je me tais, je sommeille,
Je goûte un frais repos, malgré l'immense odeur
Du printemps installé, qui répand à l'oreille,
A l'œil, à l'odorat ses multiples ardeurs.

Forces de la nature, acceptez que je chôme !
Laissez que mon esprit jouisse d'être seul
Avec ses feux voilés, pareils à des fantômes,
Mais retenez un peu, ô nuit, ô lourd tilleul,
Le mol ouragan des arômes !

AZUR

L'azur, compact et dur, abonde
Et s'accumule avec furie :
Il semble bâti sur le monde,
— O sublime maçonnerie ! —
Sous cette accablante chaleur
Tout l'univers ploie et suffoque
Comme un cœur sous un autre cœur.
L'azur est brillant de lueurs
Qui s'aiguisent et s'entrechoquent.
Le subit arôme des fleurs
S'élançant avec hardiesse.
Donne, autant que font les caresses,
L'ample surprise du bonheur.
Soudain, dans l'éther qui me noie,
Un parfum plus puissant surgit :
Il pénètre en moi et s'éploie,
Et mon cœur s'enfle et s'élargit
Pour le passage de la joie !...

VENT D'ETE

Le vent largo et léger, moissonneur des arômes,
Les répand dans le pur désert des soirs d'été ;
Les forêts et les lacs sont dans l'air transportés,
Il semble que le ciel et les astres embaument.
Et dans ce soir où rien n'est plus amer ni lourd,
Sous ce dôme étoile qui rêve calmement,
J'ai comme un angélique et doux pressentiment
De bonheur sans amour !

Les Forces Eternelles

542. Le ciel gris, ce matin

Le ciel gris, ce matin, dénoue
Son frais collier de gai cristal :
La pluie est un soleil qui joue
Avec des rayons de métal.

Le printemps, comme une arche, flotte
Sur les eaux nombreuses, et l'air
Dans ses bonds allègres cahote
Un parfum incisif et vert.

Les branchages, à chaque ondée,
Entendent respirer plus fort
Et se tendre le frais ressort
Des pousses fermes et bondées.

A travers ces préparatifs
De feuilles, do graines, de baumes,
Les oiseaux glissent, légers, vifs,
Rapides comme des arômes.

— Gais oiseaux annonciateurs,
Dont le cri bourgeonne et verdoie,
Vous savez, sous l'eau qui vous noie,
Que le sol est gonflé d'ardeur!

Vous baignez, étonnés, timides,
Et pleins de pépiements joyeux,
Dans les rais de la harpe humide
Qu'est le mol éther pluvieux !

Vous hissez vers vos courtes ailes,
Vers vos cols dépliés d'amour,
Les chétives plantes nouvelles
Qui font l'ascension du jour.

Menue, adroite et vigilante,
La pluie est une âme au jardin ;
Sa danse éparpillée argenté
L'atmosphère couleur d'étain.

Pleurs de joie, amoureux baptême,
Tintillement preste et joyeux !
La nue, active et fraîche, sème
Un blé transparent et frileux.

Et puis ce beau jet soudain cesse :
Tout est paisible, frais, câlin ;
Partout des gouttes d'eau se pressent
Comme un fin muguet cristallin.

L'atmosphère est mouvementée :
De courtes brises, dans l'éther,
Clapotent, mollement heurtées
Contre le cap des rameaux verts.

Les vents légers s'enflent, s'abaissent ;
Que de grâces, de politesses !
J'accueille, dans mon cœur ouvert,
Ces salutations de l'air...

Les Forces Eternelles

541. Poésie des soirs

Le soir, saison quotidienne,
Recouvre de son clair argent
L'azur, et reste là, songeant,
Jusqu'à ce que la nuit survienne.
— Le soir a le calme des lacs ;
La molle brise est un hamac
Où, satisfaite, se balance
La tranquille odeur du silence.
— Soudain, cris d'adieux, cris d'amour.
D'oiseaux qui virent et chancellent :
Tragique essaim ! Que quittent-elles
A la rêveuse fin du jour
Ces sanglotantes hirondelles ?
Et voici la nuit peu à peu;
Les blancs pétunias sirupeux
Agglutinent le clair de lune.
Les brises viennent une à une
Et déversent leurs légers flots
Dans ma fenêtre sombre et vague :
Ainsi, aux abords d'un vaisseau,
L'épaule froide et bleue des vagues
Se hausse contre le hublot.
Mais bientôt plus rien ne s'agite.
Tout est rentré dans le repos
Et semble avoir rejoint son gîte.
Je regarde l'immensité...
— Turbulence des cieux d'été,
Emportement des astres, course
Des mondes, tranquille aspect
De ces fortes, célestes sources,
Comme vous répandez la paix
Sur la terre où songent les hommes !
L'espace est naïf, économe,
Avec son clair argent qui luit
Fixement. Le divin problème
Est stable et doux.
Que je vous aime,
O sombre jeunesse des nuits !

Les Forces Eternelles

540. Mélodie matinale

L'aubépine avançait une aile de feuillage,
Mousseuse dans l'azur; je contemplais le jour;
On entendait au loin respirer les villages ;
La nature croissait, hésitante d'amour;
Avec précaution sa verdoyante grâce
Semblait timidement s'emparer de l'espace.
Dans ce calme accompli, sans crainte et sans souhait,
Une paix enfantine et muette régnait,
Et l'univers semblait englué de paresse,
Lorsque excessif et brusque un faible oiseau chanta !
Mon plaisir qui rêvait aussitôt éclata.

— O beauté de la voix, ô flèche d'allégresse !
Ni le ciel allongeant ses laiteuses caresses
Dans le furtif labeur des heureuses forêts.
Ni les parfums jetant leurs jubilants secrets
Qui palpitent avec des invisibles ailes,
Ni le bonheur léger du vent frais et mouillé
N'avaient fait tressaillir mon songe émerveillé !
Mais ce cri délicat, cette acide étincelle,
Ce verbe jaillissant, ce doux chant ébahi
Épandait jusqu'aux cieux une âme universelle...

— Et je songe à la voix, aux choses que tu dis,
A l'enivrant péché du désir qui s'exprime ;
Sans doute la parole était au paradis
Le fruit mystérieux, plein d'espoir et d'abîme,
Qui fit le couple humain à jamais triste et fier.
— Je songe, ce matin, dans la tiède atmosphère,
A la Musique avec ses cris dans le désert,
Aux sanglots, aux baisers, à tout ce qui libère
Le grand gémissement du rêve dans la chair...

Les Forces Eternelles

539. Salutation - Scintillement

SALUTATION


Le vent matutinal, des coteaux à la rive
Bondit comme un troupeau d'agneaux qu'on délia.
Du balcon brasillant, suave perspective,
Le lac semble porté par les magnolias
Tant l'azur satiné se mélange à leurs branches ;
Et ce long flot soyeux tout uniment s'épanche
Dans les arbres charnus. Les oiseaux submergés
Se baignent dans les airs et paraissent nager.
Quelle amitié rêveuse et nostalgique lie
Cette franche Savoie à l'ardente Italie?
— Je pense à sainte Claire, à Jeanne de Chantai,
Et, dans ce gai septembre où l'air est de cristal,
Où les parfums ainsi que les rumeurs s'aiguisent,
J'entends sur le coteau, liquides et précises,
Les cloches des troupeaux tinter limpidement.
Et c'est, dans l'herbe verte où scintille l'église,
Comme un humble angélus offert pieusement
Par saint François de Sale à saint François d'Assise.

SCINTILLEMENT

Le frais printemps est revenu,
Sa tiède atmosphère ébahie
Répand ce plaisir vif, ténu,
Qui semble toujours inconnu.
Les bois sont imbibés de pluie ;
Les lourds bourgeons gonflés, mouillés,
Scintillent d'eau et de lumière.
— O verte éponge printanière,
Tu fais ruisseler sur le cœur
La joie humide des odeurs !
Comme des elfes invisibles
Tous ces petits parfums contents
S'en vont s'insinuant, sautant,
Sous les fins herbages flexibles :
Frais piétinement clandestin
Qui rend la Nature attentive !
Les vents légers ont ce matin
Cette odeur d'onde et de lointain
Qu'ont les vagues contre les rives.
— Divine spontanéité,
Jeunesse éternelle du monde,
Verte cosse où mûrit l'été,
Printemps en qui l'espoir abonde,
Ah ! demeurez à peine ouvert,
Ne dépliez pas vos feuillages,
C'est vous la fierté du jeune âge.
Car les étés vont vers l'hiver !...

Les Forces Eternelles