25/11/2012

620. "Les Forces Eternelles". Présentation
















** Avec ce message se termine la mise en ligne d'une très large sélection des poèmes du recueil "Les Forces Eternelles" dans lequel la Comtesse de Noailles évoque largement les rivages du lac Léman et cette partie du Chablais, qui va d'Evian à Thonon en passant par les coteaux de Neuvecelle où elle vécut durant son enfance et son adolescence.
** L'identification de la source des illustrations est possible en cliquant sur l'image correspondante. Elle n'apparait pas à l'écran sauf exception. Pour l'essentiel elles proviennent du site DeviantArt
** Le travail de mise en ligne a été réalisé à partir des ressource librement disponibles sur l'Internet et publiées par le site Internet Archives
** Le lecteur pourra également consulter Wikisource, la bibliothèque libre.
** Enfin, je revevrai avec intérêt et reconnaissance les commentaires et les demandes de corrrection, car je m'excuse par avance des erreurs qui peuvent demeurer dans les textes mis en ligne : laclaud74@gmail.com

619. Les Forces Eternelles. Tables















Les Forces Eternelles
Table des poèmes publiés dans ce blog

Remarques.
1. Un même message peut rassembler plusieurs poèmes
2. Actuellement, la table ci-après n'est pas interactive

I. La GUERRE (non publié)

II. AME DES PAYSAGES

522. Étranger qui viendras
523. Le paysage est calme
524. Les biches
525. Le flot léger de l'air
526. La paix du soir
526. Matin d'été
527. Le cri des hirondelles
528. L'esprit parfois retourne
529. Une heure d'été
530. Jour de juin
531. Le ciel est d'un bleu
532. Matin de printemps
533. Eté, je ne peux pas...
534. Joviale odeur de la neige
535. Contentement
536. La naissance du printemps
537. Vers écrits en Alsace pour un jardin de Savoie
538. Ode à un coteau de Savoie
539. Salutation
539. Scintillement
540. Mélodie matinale
541. Poésie des soirs
542. Le ciel gris, ce matin
543. Charme d'un soir de mai
543. Azur
543. Vent d'été
544. Les nuits d'été
545. L'Automne
546. Automne, ton soleil
546. Pluie printanière
547. Matin de mai
548. Éveil d’une journée
549. L'orage
550. Matin frémissant
550. Midi
550. Le ciel mêlé du soir
551. Buée
551. Pour oublier la morne houle
551. La noble nuit est …
551. Éclosion
552. Pluie tiède
552. L'aube point faiblement
553. Quand le soleil
553. Calme soir
554. Accueil au soleil
554. Canicule
555. Le silence joyeux

III - POEMES DE L'ESPRIT

556. Dans l'adolescence
557. Une Grecque aux yeux allongés
558. Contemplation
559. La Grèce, ma terre maternelle
560. Nuit d'été, obscure
560. Tu n'as pu croire à rien
560. Pensée dans la nuit
561. Je croyais être
562. Les espaces infinis
563. Deux êtres luttent
563. Le printemps éternel
564. Espérance
564. Consolation
564. Plus je vis, ô mon Dieu
564. Se peut-il, univers
564. Interrogation
564. Le sommeil
565. Minuit
566. Certes, vous fîtes bien
566. Appel
566. Lassitude
567. Tout noble cœur
568. Le voyage
569. Renonciation
570. Les poètes romantiques
571. Méditation
572. Rêverie, le soir
573. Novembre
573. Toi seul es vrai
574. Il est des morts vivants
575. Je veux bien respirer
575. Tentation
575. Prière au destin
576. Une fière habitude
576. Offrande du batelier
577. Quoi ! Tu crains de mourir
578. Sagesse
578. Ferme tes nobles yeux
578. Mon esprit anxieux
579. Tu dis que tu consens
580. L'univers n'est pas
580. Que suis-je dans l'espace ?
580. Il pleut. Le ciel est noir
581. Étonnement
581. Mélodie
581. Chant d'Espagne
582. Promeneuse
582. A Jean Moréas
582. Ma sagesse déjà
583. O Mort, vous rendez tout

IV. — POEMES DE L'AMOUR

584. Epigramme votive
584. Attends encore un peu
585. Le chapelet d'ambre
585. Le plaisir
586. La douleur est pressée
587. Quand enfin votre esprit
587. Chant de Daphnis
587. Chant de Chloé
588. Ce ne sont pas les mots
588. Solitude
589. Ainsi, lorsque j’étais une enfant
589. Le silence
590. Le reproche
590. Le noble éther des nuits
591. Parques ! Nul coeur ne sait ...
592. Tranquillité
593. Tristesse de l'amour
594. Confession
594. Libération
595. Si nous vivions un jour
596. Toute heure signifie
597. Similitude
597. Non, l'univers n'est pas
598. C'est après les moments
598. Il n'est pas un instant
599. Lorsqu’un jour sonnera
600. Si le clair de lune
601. Paroles dans la nuit
602. La nuit
602. Ces pudeurs de l'esprit
602. Tu m'aimais moins.
603. Le chant du faune
604. Le chant de Praxô
605. Le conseil
606. Dans cette oppression
607. Je t’aime et je te hais
607. Ce regard est le tien
608. Repose-toi, tais-toi …
608. L'être ne recherche
609. L'adolescence
609. Mes yeux t'écoutent
609. Séparation
610. Lorsque je souffre encor
610. Continuité
611. Puisque nos sorts furtifs
611. Complainte
612. C'était la solitude
612. S'il est quelque autre chose au monde
613. Le passé
613. Ceux que la joie enivre
614. Prédestination
614. L'attrait
615. Nous avons attendu
615. Vous étiez rêveur
615. Quand l’automne argenté
616. La nature et le poète
617. Ceux qui ont accueilli
617. Détresse
618. L'amour ne laisse pas





618. L'amour ne laisse pas


















L'amour ne laisse pas que longtemps on l’oublie,
Au front qui fut distrait il met un joug plus dur,
Il gît au fond des corps comme au fond de l'azur,
Ainsi qu'une suave et persistante lie.

Quand dans les jours parfaits des étés somptueux
On croit pouvoir sans lui connaître l'allégresse,
Il trouble notre joie ou bien notre paresse
Par un doute rêveur, sagace et langoureux.

Vous avais-je oublié, avais-je, folle, et triste.
Un instant échappé à vos constantes lois,
Inexorable Amour ? Avais-je dit : J'existe,
Je respire, je suis, je réfléchis, je vois,

Sans me sentir soumise à vos sublimes ordres ;
Avais-je décidé que j'étais libre enfin
De détourner la joue où vous souhaitiez mordre,
Et de n'assouvir plus votre soif, votre faim ?

Et cependant, Amour, dieu trompeur, dieu fidèle,
Du distrait univers vous le seul protégé,
C'est ma gloire, que nul ne pourra déranger.
D'avoir su déchiffrer tout ce qui vous révèle,
D'avoir fixé mes yeux sur vos mains éternelles,
Et de n'avoir écrit que pour vous prolonger...

Les Forces Eternelles

Illustration : Versailles. Le temple de l'Amour

Source : http://fgintrand.files.wordpress.com/2011/03/temple-de-lamour-versailles2.jpg

617. Détresse - Ceux qui ont accueilli

DETRESSE

La tristesse te pénètre
Au point que tu crois mourir,
O cœur fait pour toujours être
Terrassé par le plaisir !

Cœur savant en toutes choses,
Prodigue sans t'épuiser,
Cœur souffrant que seul repose
L'étouffement du baiser,

Qui saura ton épouvante,
Cœur par les pleurs soulevé,
Toi qui par détresse chantes,
Rossignol aux yeux crevés !

CEUX QUI ONT ACCUEILLI..


Ceux qui ont accueilli le bonheur puissamment,
Sachant que c'est un dieu et qu'il faut qu'on le brave,
Ont dans l'enfer humain connu la part suave,
Et sans crainte goûté l'infini du moment.

Ils ont, dans leur joyeuse et subite ignorance.
Ramassé sur leur cœur la brève éternité;
Scintillants et profonds comme les nuits d'été,
Ils ont, par la prodigue et trompeuse espérance,
Éprouvé leur puissance et leur immensité.

Qu'importe si les pleurs, les regrets, les tortures
Assaillent cet îlot que leur plaisir formait;
Ce qui fut est divin et ne périt jamais ;
Châtiez ces vainqueurs, implacable Nature !

Et c'est votre bonté charitable, ô Douleur,
Votre bonté prudente et qui permet qu'on vive,
D'être parfois dans l'ombre arrêtée et furtive,
De laisser quelque temps s'épanouir le cœur,
De ne pas annoncer que votre règne arrive.
Et de surgir comme un voleur !

Les Forces Eternelles

616. La Nature et le Poète

LA NATURE ET LE POETE


LA NATURE

Ainsi, tu me reviens, ô ma fière transfuge,
Esprit initié, enfant, hôtesse et juge
De mes parfums, de mes rumeurs,
Ton corps semble abattu par d'humaines tempêtes.
Quels plaisirs te nuisaient, toi qui n'étais pas faite
Pour la misère du bonheur ?

Ai-je comblé quelqu'un autant que ta personne ?
Tu semblais le miroir et la conque où résonnent
Et se reflètent mes secrets.
Je te parlais avec ces voix éblouissantes
Qu'ont dans les soirs d'été les sources d'air dansantes,
Et le vert soupir des forêts.

Mon espace sans borne où sont rangés les siècles
S'est offert dès l'enfance à tes yeux de jeune aigle,
Tu savais tout ce qu'on apprend ;
On voyait ma grandeur réduite en tes prunelles,
O toi qui ressemblais aux choses éternelles,
D'où te vient ce regard souffrant ?

Je t'avais faite insigne, éparse et solitaire.
Les rumeurs de la foule et la paix de la terre
Se plaçaient gaiement sous tes mains;
Mon soleil descendait en toi au crépuscule,
Par quelle lassitude ou bien par quel scrupule
As-tu voulu posséder moins ?

LE POETE
Ne me méconnais pas, Nature juste et bonne.
Se peut-il que t'ayant aimée on t'abandonne,
Hélas ! j'ai voulu t'approcher
Plus que ton vaste amour ne le conçoit sans doute,
Ni tes suaves cieux, ni tes flots, ni tes routes,
Ni le vent clair sur tes rochers

N'ont permis à mes vœux d'atteindre ton essence,
En vain je recevais tes hautes confidences
Et ton élan universel;
Éperdue et cherchant où baiser ton visage,
Je voyais s'isoler tes brillants paysages,
J'ai pleuré sur un cœur mortel;

Sur ce si faible appui, dont la chaleur contente,
Je regardais vers toi, suprême confidente
D'un rêve immense et suffocant ;
J'espérais de mourir parmi les cantilènes
Que le désir humain, fougueux et hors d'haleine,
Emprunte à tes grands ouragans !

Je voyais bien tes soirs de juillet, chauds et pâles,
Le croissant délicat qui, dans l'air, s'intercale
Comme une barque peinte en blanc ;
Mon oreille et mes yeux se remplissaient d'extase.
Et je contemplais l'être en qui l'amour transvase
La beauté d'un soir calme et lent.

Je répandais sur lui, qui respire et qui rêve,
Ton infini passé, l'avenir, et la sève
De tes printemps toujours naissants.
Et refermant mes bras sur ce profond mensonge,
J'étais comme un oiseau précipité, qui plonge
Et s'abreuve au fleuve du sang !

Mais, hormis ces moments de suave incendie
Où la bonté de feu joint deux âmes hardies.
Fumantes comme un paquebot,
Aimer est une ardeur plus amère que tendre,
Car toujours se quitter, espérer et attendre
Creuse le cœur comme un tombeau.

Aussi, ne sois jamais inquiète, ù Nature,
Quand mon esprit, séduit par l'humble créature,
S'éloigne parfois de tes deux,
L'échange que je fais est redoutable et triste,
L'homme est faible et sans but, et ta noblesse assiste
Aux sanglots des voluptueux !

Toi non plus, tu ne peux combler, selon nos forces,
Par ton ciel, ton soleil, tes ondes, tes écorces.
Le désir de l'âme et du corps ;
Mais ta sainte indigence est du moins attentive.
Tandis que si l'amour déçoit l'âme, elle arrive
Aux portes mêmes de la mort !...

Les Forces Eternelles

615. Nous avons attendu - Vous étiez rêveur - Quand l'automne argenté

NOUS AVONS ATTENDU...


Nous avons attendu longtemps ce jour paisible,
Enflammé, trop heureux, où, seuls et clandestins,
Sans avoir à parler, tant l'esprit est visible.
Nous sentions se mêler nos chaleureux destins.
— Mais, cessant de nous taire et cherchant à comprendre
L'ineffable plaisir d'un sort brûlant et tendre,
Nous fûmes submergés d'un étrange malheur.
Pourtant, parfois la joie et la source du rire
Comme au flanc d'un coteau court autour de mon cœur
Hélas ! la passion cherche-t-elle à se nuire,
Ne s'agit-il donc pas de goûter le bonheur
Ensemble, mais de le détruire ?

VOUS ETIEZ REVEUR...

Vous étiez rêveur et tranquille,
Votre cœur ne désirait rien
Que le mol charme aérien
Des jours qui sont comme des îles ..

Moi j'étais encore une enfant
Mais violente, sérieuse,
Et j'ai mis mon bras triomphant
Et mon âme contagieuse
Contre vous. — Ah ! s'il se défend,
Votre esprit solitaire et triste.
Que pourrait-il puisque j'existe,
Et qu'à vos songes j'ai mêlé
Mes jardins, mon ciel étoile,
Le miel de l'air, le sel de l'onde.
Le chant mystérieux des mondes
Emplissant l'immense horizon,
Et mon délire, et ma raison...

QUAND L'AUTOMNE ARGENTÉ...

Quand l'automne argenté et froid comme un raisin
Souffle ses vents légers sur l'été qui s'épuise,
Quand la fraîche saison, à la fois claire et grise,
Comme un printemps plus vif a d'amoureux desseins,

Qu'il est doux de trouver dans des yeux qui fascinent
Ces vertiges puissants dont le cœur se repaît.
Et d'éprouver, tandis qu'une rêveuse paix
Sur la riche saison moelleusement chemine,
La vivace fierté d'un bonheur stupéfait
Qu'enveloppe l'odeur d'un jardin qui bruine...

Les Forces Eternelles

614. Prédestination - L'attrait

PREDESTINATION


Ce qui fut à jamais existe,
Je songe au cœur qui m'a tant nui,
Son amour était comme un triste
Violoncelle dans la nuit.

Il languissait, j'étais vivante;
La tristesse et la volonté
Sont vos deux royales servantes,
Langoureuse volupté !

— En quels siècles, chez quels ancêtres.
Dans quelle ombre, sous quels rayons,
Ont-elles commencé de naître
Ces invincibles unions ?

Nul ne dispose de ses rêves
A travers l'immense parcours
Que fait parmi l'humaine sève
Le savant instinct de l'amour..

L'ATTRAIT

Même sans la suave, insistante saison,
Qui me torture, hélas, de toutes ses essences,
Pourrais-je, mon amour, repousser ta présence,
Je suis la maladie et toi la guérison.

Un équilibre doux, tranquille, sur et sage
S'empare de ma vie à te voir respirer ;
En tous lieux je suffoque, et c'est ton seul visage
Qui me semble aéré !

Je suis le desservant et toi le tabernacle.
Tu me parais unique autant qu'universel.
Se peut-il que l'amour, étant un tel miracle,
De tous les grands bonheurs soit le seul naturel!

Le courage, la gloire et la bonté sublime
Exigent quelque effort dont on est orgueilleux,
Mais l'amour, d'un seul bond, atteint le haut des cimes,
Et s'unit au divin comme un regard aux cieux.

L’amour est humble, fier, jubilant, héroïque,
Il est la charité, car les amants entre eux
Quelle que soit leur grâce, ont la bonté tragique
De la sainte auprès du lépreux. […]

Les Forces Eternelles

613. Le passé - Ceux que la joie enivre -

LE PASSE

Je vis, mais jamais je n'oublie
Les brûlants instants du passé;
Cette immense mélancolie
Quand donc voudra-t-elle cesser ?
— Puissé-je perdre la mémoire
De ces jours violents, bénis.
Où, contente, je pouvais croire
Que mon sort s'était aplani.
Je meurs de ces tendres histoires..
C'est si long ce qui est fini !

CEUX QUE LA JOIE ENIVRE...

Ceux que la joie enivre à l'infini sont ceux
Que la douleur étreint dans la même mesure :
Inconsolables cœurs, heureux ou malheureux,
Ils portent une austère ou brillante blessure.
L'amour, le philtre unique aux humains proposé,
S'efforce d'empêcher ces âmes turbulentes
De rechercher encore, au delà des baisers,
L'océan de l'espace et l'ile de l'attente
Où, large oiseau tremblant, l'espoir vient se poser...
— Nous qui connaissons bien ces grands cœurs frénétiques
Où l'univers se meut sans heurter leurs parois.
Nous savons que l'amour est un refuge étroit :
Alentour, les climats, les parfums, les musiques
S'effacent, assoupis par le fort narcotique
Du sensuel bonheur et du subit effroi...
 — Tous les plaisirs épars que jamais on n'assemble,
Les beaux ciels du voyage, enduits de volupté,
L'étrangère cité sur qui la chaleur tremble.
Les odeurs d'un jardin bues dans l'obscurité,
Les orchestres errants des nuits siciliennes,
La mer, fécond parfum plein do complicité,
Enfin, tous les appels, sont des marchands qui viennent
Déployer les trésors de la félicité,
Dont le faste rêveur vers le désir nous mène...

— Car voici deux humains qui se sont reconnus !
Que leur importe un monde éblouissant ou nu ?
Ces deux humbles vivants, resserrés dans l'espace,
Dont les regards, les bras, les genoux sont liés,
Ne cherchent, dans la sombre ardeur qui les terrasse,
Ni les jardins d'Asie et ses chauds espaliers.
Ni le lac langoureux sur qui des barques passent.
Ni ces soirs infinis où l'espoir se prélasse.
Mais le bonheur restreint et sans fond d'oublier...
— Oublier ! Perdre en toi tout l'univers trop tendre,
Engloutir dans ton cœur l'eau d'or des ciels d'été,
Précipiter en toi, pour ne jamais l'entendre,
Le chant silencieux fusant de tous côtés,
Faire de notre amour une tombe profonde
Où parfums, sons, couleurs, s'épuisent, enfermés;
Abolir l'éphémère, envelopper les mondes.
N'être plus, être toi, dormir, mourir, aimer!...

Les Forces Eternelles

612. C'était la solitude - S'il est quelque autre chose au monde

C'ETAIT LA SOLITUDE...


C'était la solitude et sa féconde ivresse ;
Le vent des ciels du soir, plein d'une ample vigueur,
De la nue à la terre élançait ses caresses :
Je recevais avec une avide allégresse
Cet univers dissous qui pénétrait mon cœur !

Et l'espace, et l'espoir, et l'éternité même
Devenaient familiers à mon docile esprit ;
Les astres décelaient d'ineffables problèmes
A cette âme attentive où rien n'est circonscrit.

— Alors, me surprenant, — o toi qui seul existes, —
Amour, iniquité sublime, tu survins,
Chasseur turbulent, voleur jaloux et triste,
Fier de ton indigence et du désir divin.

Tu dispersas l’immense et vivant paysage
Qui sous mon front séduit mettait ses bonds légers ;
Et, pitoyable autant que féroce et sauvage,
Tu fixas dans cet être, à jamais ravagé,
La bonté de tes mains et l'air de ton visage...

S'IL EST QUELQUE AUTRE CHOSE AU MONDE...

S'il est quelque autre chose au monde que l'amour,
S'il est quelque autre attrait, quelque autre récompense,
A travers la multiple et prodigue dépense
Que l'homme fait de soi, en luttant, chaque jour,

Si l'effort, le labeur, la fierté, la justice,
Ont, dans leurs vœux secrets, un but plus convoité
Que celui de l'auguste et triste volupté
Où la force et l'espoir des âmes aboutissent,

Dites-le-moi, Nature, ordre divin des jours.
Triomphale douceur du printemps qui s'élance,
Dites-le, mouvement onduleux du silence
Où les sons assoupis rêvent, puissants et sourds !

Dites-le, nuits d'été où les astres s'empressent,
Et, par leur insistant et net crépitement,
Guident l'être, ébloui d'un immense tourment,
Vers l'orage et la paix des étroites caresses !

Dites-le-nous ! Ouvrez notre humaine prison,
Enseignez-nous ! Sinon, la hantise éternelle
Qui jaillit de l'instinct, que nourrit la raison,
Ne connaîtra jamais, en ses nobles saisons,
Que ce vacillement enflammé des prunelles,
Où l'univers sans but offre aux corps anxieux
La présence terrible et suave d'un dieu !

Les Forces Eternelles

611. Puisque nos sorts furtifs - Complainte

PUISQUE NOS SORTS FURTIFS..


Puisque nos sorts furtifs et toujours en péril
N'ont pas la même route et pas le même toit,
Mélancolique ami, mon compagnon d'exil,
N'entendrai-je jamais de musique avec toi ?

Ne serons-nous jamais roulés au creux des vagues
Que Chopin fait gémir dans ses profonds nocturnes,
Quand sa houle oppressée et son flot qui divague
Semblent un ouragan enfermé dans une urne ?

Ne verrai-je jamais, quand les chants de Mozart
Penchent leur politesse et leurs courtois saluts,
S'élargir lentement ton ténébreux regard
Où le profond désir luit comme un jour élu ?

— Musique aux bras ouverts, mère des convoitises,
Par quel secret soleil, quelle chaleur fatale,
Faites-vous se gonfler, sous vos torrides brises,
Les bouches dont on croit voir frémir les pétales ?

Quel est ce point du cœur que vous venez toucher,
Par qui tout l'édifice humain est chancelant,
Musique, conseillère et pardon des péchés,
Vous en qui le divin au mal va se mêlant !

Quel est votre souhait, sublime envahisseuse,
Pour que les solennels visages de ces femmes.
Pour que leur pureté ait cette audacieuse,
Cette agressive ardeur qui souffre et qui réclame ?

Yeux étonnés d'amour, yeux craintifs, yeux pâmés.
Qui, refusant la lutte, acceptant le hasard.
Et recherchant soudain un autre ardent regard,
S'y couchent comme un corps dans des bras refermés...

COMPLAINTE

Que m'importe la renaissance
De l'allègre et fidèle été ?
J'ai fini mon éternité,
Amour ! mon unique espérance !

Mes regards n'ont jamais cherché
Que ta présence insidieuse ;
L'azur est noir, la mer est creuse
Si soudain ton œil m'est caché.

Ma tristesse contemplative
Guettait tes dangers évidents ;
— Est-il nécessaire qu'on vive
Si le destin devient prudent ?

L'homme s'efforce, endure, pense,
Il veut contraindre l'avenir;
— On ne vit que pour t'obtenir,
Amour ! unique récompense.

Parfois j'évitais tes regards.
Je fuyais ; ta force latente
Me rassurait de toutes parts :
C'est une ivresse que l'attente !

J'entendais, dans les calmes soirs,
Bouillonner vers moi l'invisible ;
Qu'il est doux de ne rien avoir,
Alors que tout semble possible !

Il n'est rien pour- moi de réel,
Désir ! hormis toi, dans l'espace ;
Ton haleine éternelle passe
Entre les tombeaux et le ciel;

Sans qu'on te voie ou qu'on te nomme
C'est toi la seule activité,
Compagne unique de l'homme :
Promesse de la Volupté !

Les Forces Eternelles

610. Lorsque je souffre encor - Continuité

LORSQUE JE SOUFFRE ENCOR ….


Lorsque je souffre encor plus qu'à mon habitude
De ces maux accablants à travers quoi je vis,
Et que, ni les beaux cieux éventés, ni l'étude,
Ni mes regards toujours soulevés et ravis,
Ne peuvent rehausser mon esprit, asservi
Par la pusillanime et sombre inquiétude,
Je songe avec horreur à l'instant de ma mort,
A cet instant subit, étranger, sans espace,
Où contre un mur secret le faible corps se casse,
Déjà vidé d'amour, d'espoir et de remords...

- N'éviterai-je pas la hideuse amertume
De sentir, - quand la mort étrangle le mourant,
Le bâillonne, l'aveugle et le remplit de brume, —
Que ton être, qui fut ma force et ma coutume,
A mon esprit terni devient indifférent ?

CONTINUITÉ

Les véritables morts sont les cœurs sans audace
Qui n'ont rien exigé et qui n'ont rien tenté ;
Sous l'azur frénétique où d'autres sont rapaces
Ils n'ont pas bu l'espoir, ni dévoré l'été.

Ils n'ont pas su souffrir comme il convient qu'on souffre,
Sans plus pouvoir manger, dormir, ni respirer,
Pareils à ces poissons livides et nacrés
Qui gisent, arrachés hors du bleuâtre gouffre.

Le bonheur turbulent, qui réjouit les airs
Et jette un cri panique à quoi tout se rallie,
A vu ces cœurs peureux préférer leur désert
Au risque illimité de la mélancolie ;

Cependant tout est vif, continuel et sûr
De ce qui fut ! J'ai vu, sur une antique grève,
Des temples, absorbés par le sable et l'azur,
Prolonger le divin et poursuivre leur rêve.

Ainsi, les corps hardis, dont les vœux exaucés
Mêlent la joie au fiel que les Destins imposent,
Porteront dans la mort et ses métamorphoses
Le plaisir obtenu, qui ne peut pas cesser...

Les Forces Eternelles

609. L'adolescence - Mes yeux t'écoutent - Séparation

L'ADOLESCENCE


Peut-être n'avons-nous aimé que le plaisir.
Malgré la scrupuleuse et l'ascétique vie,
Malgré l'enchantement innocent des loisirs
(Sans tentation nette et presque sans envie,
Tant l'azur, l'horizon, l'imagination
Comblent une excessive et vague passion),
Peut-être n'avons-nous, femmes candides, sages,
Aimé que le plaisir. Peut-être n'avons-nous,
A travers la beauté des calmes paysages
Où le profond bonheur semble enclos et dissous,
Jamais rien aperçu, jamais rien voulu même
Que le désordre ailé des instants où l'on aime !
Bourgeonnement du chant des oiseaux au matin,
Lac où la blanche barque ondule sous sa tente,
Bonté, compassion, rêve, mémoire, attente,
Berline aux gais grelots passant dans le lointain,
Sacrifice accepté, refus de ce qui tente,
Tout ce que nous avons aimé, donné, souffert,
Amour pour les humains, amour pour l'univers,
Notre vie épandue, active, combattante,
Peut-être n'étiez-vous, — ô multiple soupir !
Que la forme infinie et sainte du plaisir...

MES YEUX T'ECOUTENT..

Mes yeux t'écoutent et te respirent,
Mon âme flotte hors de moi-même,
Je ne regrette ni ne désire,
Je t'aime.

Et cependant ce tendre accord
M'est moins doux que lorsque je presse
Ta main aux suaves caresses.
— Désir, spirituel transport,
Geste des âmes par les corps !

SEPARATION

La nuit a son odeur céleste et forestière,
Un vent froid et tranchant l'anime et la parcourt ;
Son vif méandre ainsi qu'une fine frontière
Semble écarter ma main de tes doigts pleins d'amour.

Je ne peux pas répondre à ta douceur plaintive;
La nuit ce sont les cieux et les arbres qui vivent ;
Nos deux rêves humains se sentent chacun seul,
Je ne t'écoute pas, j'écoute le tilleul
Exhaler dans l'éther ses langueurs expansives.
L'immensité nocturne a fasciné mon cœur.
Le silence est un dieu qui voudrait qu'on le suive.
Il flotte dans la nuit des tisanes d'odeurs...

Les Forces Eternelles

608. Repose toi, tais toi - L'être ne recherche

REPOSE-TOI, TAIS-TOI...


Repose-toi, tais-toi, respire seulement,
Pour enchanter mon cœur il suffit que tu vives,
Ton regard a le poids de deux noires olives
Dans ton visage pâle, anxieux et charmant.

Tu goûtes, en fumant, la chaleur catalane,
Dans un blanc cabaret, sur le sol de safran ;
On voit un aloès, un cimetière, un âne,
Et l'enivrant azur du ciel indifférent.

Et voici que, traînant leur guitare enjôleuse,
Deux graves mendiants, suffoqués par Tété,
Implorent de l'hôtesse, avec humilité.
Le vin acide et froid, dont l'odeur est rugueuse.

— Le plaisir tout à coup rend ton œil bondissant,
Tu viens de leur parler dans cette langue obscure
Qui semble mélanger la caresse et l'injure,
Et la fierté courtoise au secret menaçant.

Et voici que, riant, se lamentant, sans hâte,
Ils commencent pour toi, sur le sombre instrument.
Ce jeu astucieux d'acrobate et d'amant,
D'où le rythme heurté comme un orage éclate !

Et tu ne bouges plus, tu semblés étourdi .
Par cette frénésie implacable, acérée,
Et ton regard se perd dans le long paradis
De cette musique acre, agressive et bistrée...

L'ETRE NE RECHERCHE.

L'être ne recherche que soi
A travers le multiple choix
De l'amour et de ses orages.
Désir, somptueux voyage
Vers notre fascinante image
Qui nous exalte ou nous déçoit !
— C'est à soi-même qu'on veut plaire
Sur le cœur brûlant qui nous plaît,
Où, dans l'ivresse et la colère,
Ne sachant si l'on aime ou hait,
Par la volupté l'on espère
Mourir, — et ne mourir jamais !

Les Forces Eternelles

607. Je t'aime et je te hais - Ce regard est le tien

JE T'AIME ET JE TE HAIS...


Je t'aime et je te hais. Ces tristes mots renferment
La sombre passion qui ne peut s'assouvir,
Les nombreuses saisons mettront-elles un terme
A l'inimitié du désir ?

Souhaiterai-je un jour que tu vives ? Serai-je
Bonne pour toi autant que pour tous les humains,
Et faut-il que ma force en larmes te protège
Quand j'ai peur de tes lendemains !

CE REGARD EST LE TIEN..

Ce regard est le tien, et tu sais que j'en souffre
Parce qu'il est lui-même, et parfois tu voudrais
Savoir comment tes yeux possèdent le secret
De me faire osciller comme au-dessus d'un gouffre,
Par un mystérieux et délectable attrait...

Tu t'amuses, malgré ta gravité native,
A sentir ma détresse en hâte se mouvoir
Entre tous les aimants de ta grâce incisive.
Tu portes en riant cet injuste pouvoir.
Tu sais, sans le comprendre, et demeurant modeste,
Que je suis la victime insigne de ce choix
Que la nature fait pour nous, cruelle et preste :
Ensuite il faut subir l'amour qui nous échoit.
— Et, bien que nous soyons rapprochés par nos rêves,
Par nos mains, par nos voix, nos désirs et nos pas,
Nous sommes étrangers à l'instant où se lève.
Sans effort, dans tes yeux, tel un chant triste et bas,
Ce beau regard de toi que tu ne connais pas...

Les Forces Eternelles

606. Dans cette oppression
























Dans cette oppression qui lentement amène
Le cœur à confesser un amoureux secret,
Dont le désir convient, mais que l'orgueil tairait,
Écoutez-moi, Chimène !

J'ai longtemps redouté les suaves affronts
Qu'inflige au fier esprit une âme consumée,
Et j'affirmais, l'orgueil éclatant sur mon front:
« L'amour, c'est d'être aimée ! »

Je craignais le bonheur par le malheur doublé,
Ce langoureux bonheur dont les femmes expirent,
Et ces cruels désirs qui font se ressembler
La meilleure et la pire !

Plus qu'une autre j'ai vu, fixes ou passagers,
Des yeux voluptueux, battant comme des ailes,
S'efforcer de mêler dans mes graves prunelles
Mon cœur et l'étranger.

Je voyais ces regards pleins de bontés humaines,
Calices débordant de chaude charité,
Et bien que mon exil reconnût son domaine,
Je fuyais ces clartés ;

Mais ce soir mon amour est brûlant et prodigue :
Il donnerait le monde et trouve que c'est peu.
Aviez-vous cet élan, possédiez-vous ce feu,
Quand vous aimiez Rodrigue ?

Je songe à vous, Chimène, et pour mieux m'éblouir
J'entends le frais satin d'un pigeon qui s'envole;
Je vois, sur l'ambre clair du ciel pâmé, bleuir
La montagne espagnole.

La passion, Chimène, et la haute fierté
Veulent qu'on les accorde ou que l'amour périsse ;
Mais songez que peut-être il est quelque beauté
Dans l'entier sacrifice.

Peut-être a-t-on le droit, quel que soit le destin
Qui toujours met l'honneur en regard de l'ivresse,
De laisser consentir un cœur parfois hautain
Aux plus humbles caresses.

L'honneur est un tel bien que l'on ne peut, sans lui,
Ni respirer le jour ni supporter soi-même;
Mais on ne quitte pas l'honneur, on le conduit
Jusqu'au ciel quand on aime.

Aussi, lorsqu'un soupir vaste et silencieux
Animera bientôt la nuit secrète et vide.
Quand les parfums, la paix, le vent, comme un liquide.
Découleront des cieux,

Quand nous serons tout seuls, comme on voit sur la grève
Deux promeneurs errants aborder l'infini,
Quand nous nous sentirons, ainsi qu'Adam et Eve,
Isolés, rapprochés, vaincus, maudits, bénis,

Quand je ne verrai plus de l'univers immense
Qu'un peu du rosier blanc et qu'un peu de ta main,
Quand je supposerai que le monde commence
Et finit sur un cœur humain,

Quand j'entendrai chanter les astres, ces cigales
Dont l'éclat jubilant semble un bourdonnement ;
Lorsque je sentirai que l'amour seul égale
L'ordre et la paix du firmament,

Je jetterai mon front dans ta main qui m'enivre,
Je boirai sur ton cœur le baume essentiel,
Afin de n'avoir plus ce long désir de vivre
De ceux qui n'ont jamais goûté l'unique miel
Et qui ne savent pas que le bonheur délivre ;
Afin d'être sans peur, sans regrets, sans remords,
A l'heure faible de la mort...

Les Forces Eternelles

605. Le conseil


















Myro ou Moïro a vécu à Byzance.
Elle est l'épouse d'Andromaque le Philologue et la mère de Homère le Tragique.
Moïro est l'auteur de poèmes en hexamètres, d'épigrammes et de poésies.

Myro, sois déférente envers celui qui t'aime,
Ne crois pas ton doux corps par les dieux achevé,
Sans l'amant ébloui que ton œil fait rêver
Ton être vaniteux ne serait pas soi-même.

Loin du flot qui lui voue un murmurant amour
La rive d'or n'est plus qu'un sable désertique ;
Honore le désir fidèle et nostalgique
Qui fait à ta beauté un infini contour.

Lorsque tes pieds sont joints et tes mains refermées
A l'heure où le sommeil vient encercler ton lit,
Regarde, avant d'entrer dans l'éphémère oubli,
La morte que tu es quand tu n'es pas aimée...

Les Forces Eternelles

604. Le chant de Praxô

Je t'aime. J'ai trouvé le repos sur ton cœur;
Je t'aime et je te crois. Je n'étais pas heureuse,
J'interrogeais en vain la nue immense et creuse ;
Tu me suffis. Je suis ton épouse et ta sœur.

Je t'ai longtemps cherché. Les astres magnétiques,
Le chant des flûtes, l'air, le bruit mouillé des flots,
Promettaient à mon cœur, soulevé de sanglots,
Ton ardeur, à la fois tutélaire et panique !

D'où viens-je ? L'univers n'a jamais délié
Le nœud qui me retient unie au paysage.
Je suis moi-même azur, astre, torrent, feuillage,
Mais cette parenté j'ai voulu l'oublier.

Jadis le brasillant éther des matinées
Me faisait défaillir d'un bondissant amour,
J'ai vraiment retenu dans ma bouche étonnée
La saveur bleuâtre du jour !

Je souffrais cependant. Le chuchotant espace
Ne me répondait pas quand il m'interpellait,
Et mon cœur ressemblait à ces chevreaux voraces
Qui convoitent en vain les raisins violets.

Comment t'ai-je irrité ? J'entends bien ta colère,
Quel fut mon tort ? toi qui donnes le plaisir,
Sans doute as-tu le droit, si j'ai pu te déplaire.
De reprendre la joie et de m'en dessaisir.

Que crains-tu ? Entends-moi, je ne suis pas changeante,
J'ai gardé sans ennui la maison, quand mes sœurs
S'en furent par la route aux nombreuses odeurs
Saluer, loin d'ici, Pindare d'Agrigente.

S'il me faut te quitter, cher faune, je mourrai.
L'univers moite et bleu qui fut mon clair domaine
M'est moins apparenté que la chaleur humaine
Où s'apaisent mes vœux et mon songe effaré.

Que ferai-je sans toi ? Sur les rochers des sables,
Où la mer au doux bruit vient déplier son voile,
Je ne scruterai plus l'avenir ineffable,
Sous le ciel illustré d'étoiles !

Que m'importe à présent le suave chemin
Où l'odorant figuier, au feuillage écarté,
Semblait porter vers moi le ciel des nuits d'été,
Ce n'est plus qu'à travers la bonté de tes mains
Que mon cœur gémissant rejoint l'éternité...

Les Forces Eternelles

603. Le chant du faune

Praxô, j'ai désiré me mêler à ta vie
Parce que l'univers reflète en toi ses jeux,
Et que ton corps naïf, jubilant, orageux,
Me fait, comme le monde, une éternelle envie !

Ce n'est pas tant le feu turbulent de ma chair
Qui voulait s'humecter aux fraîcheurs de ton être.
Mais mon rêve vieilli, par ta grâce, pénètre
Plus avant dans le temps et le divin éther.

Mon âge, plein d'ennui, de saisons, de désastres,
Croyait aimer la mort mais poursuivait l'espoir,
C'est ton regard, levé vers la bonté du soir,
Qui m'accordait avec les astres !

Mais quoi ! Je t'ai captée et ne suis pas heureux !
J'ai vu ton corps dansant et pareil à la source
Arrêter dans mes bras sa palpitante course,
Et ce suave don me rend sombre et peureux !

Moi, faune des coteaux brûlés de Syracuse,
Qui vis pâlir l'azur à la mort du dieu Pan,
Aujourd'hui où ton cœur sur le mien se répand,
Praxô, rêveuse enfant, je souffre et je t'accuse!

Entends-moi, je suis vieux, j'ai l'âge de ces bois.
Le soleil m'a séché, je vais bientôt rejoindre.
Tandis que l'avenir court vers toi pour t'étreindre,
Les sphères dont le chant me touchait par ta voix !

Avant de te connaître en ta fureur céleste,
Je t'aimais sans regrets et te haïssais moins,
Je ne prévoyais pas ta force ardente et leste
Qui prend, dans le plaisir, les mondes à témoin.

Comment donc oublierais-je, âme perpétuelle.
Ce grand accroissement de ton corps vers les cieux,
Et l'appel effaré qui montait de tes yeux
Vers la nuit ordonnée et les lois éternelles ?

Jamais je n'oublierai ton esprit consolé,
Ce tranquille regard possesseur du mystère,
Et cette pesanteur muette et solitaire
Qui s'emparait soudain de ton être comblé.

Autrefois, tu semblais exemplaire et secrète,
L'animale lueur ne brillait point en toi.
Je saurai désormais que ton ardeur est prête
A conquérir la paix qui succède à l'effroi.

Jamais plus tu n'auras ta pudique tristesse
Cet innocent ennui qui parait ta beauté,
Cette errante stupeur que la nature oppresse»
Qui recherche l'espace et non la volupté !

Certes, ma passion pour ta jeunesse heureuse
Avait le pourpre éclat du flamboyant pavot,
Le harcelant soupir de la mer écumeuse,
Le fier hennissement matinal des chevaux ;

Mais ne pouvais-tu donc contrarier sans cesse
Ma colère sans fiel qui ne te nuisait pas ?
M'aimais-tu ? Je ne sais. Tes grondantes caresses
Mordaient à l'univers en enlaçant mes bras.

Va-t'en, laisse-moi seul. Sur ma flûte d'érable,
A l'ombre d'un laurier que juin vient défleurir,
Je pleurerai ta chair prompte à se réjouir.
Hélas! Cruelle enfant qui me fus favorable,

Pourquoi n'as-tu pas su me haïr ?

Les Forces Eternelles

602. La nuit - Ces pudeurs de l'esprit - Tu m'aimais moins

LA NUIT


Nuit sainte, les amants ne vous ont pas connue
Autant que les époux. C'est le mystique espoir
De ceux qui tristement s'aiment de l'aube au soir,
D'être ensemble enlacés sous votre sombre nue.

Comme un plus ténébreux et profond sacrement,
Ils convoitent cette heure interdite et secrète
Où l'animale ardeur s'avive et puis s'arrête
Dans un universel et long apaisement.

C'est le vœu le plus pur de ces pauvres complices
Dont la tendre unité ne doit pas s'avouer,
De surprendre parfois votre austère justice,
Et d'endormir parmi votre ombre protectrice
Leur amour somptueux, humble et désapprouvé...

CES PUDEURS DE L'ESPRIT..

Ces pudeurs de l'esprit que le désir entame,
Ces terreurs, ces appels, ces suffocations,
Ces plaintifs tutoiements, hardiesses de l'âme,
Ces forcenés plaisirs qui jettent les amants
Dans je ne sais quel pur et saint abaissement
Où l'âme, ange éploré, maudit le corps qui tremble.
C'est cela, mon amour, que nous avons ensemble...

TU M'AIMAIS MOINS...

Tu m'aimais moins quand tu m'aimais
Qu'un jour où tu me fus féroce ;
Puisqu'on n'est rassuré jamais,
Qu'il soit béni ce jour atroce
Où, violent, injuste et sourd,
Vibrant de meurtrière envie,
Tu disais dédaigner ma vie
Et la haïr sans mon amour.
— Quel excès pourrait mieux me plaire,
Parmi tous les désirs humains,
Que ces yeux glacés de colère,
Et ce crime au fond de ta main ?

Les Forces Eternelles

601. Paroles dans la nuit

Le soir est un lac pâle ; un floconneux nuage,
Tendre comme un œillet, fleurit le bleu du ciel.
C'est l'heure inexprimable où le bonheur voyage,
Invisible, certain, obstiné, sensuel.
Il n'est de ciel vivant qu'alentour des visages :
Aimons. Laisse mon front rêver sur tes genoux,
Bientôt ces soirs si beaux ne seront plus pour nous
L'on n'y pense jamais, mais la jeunesse passe,
Et puis le temps aussi, et c'est enfin la mort.
Reste, ne bouge pas. Que rien ne se défasse
De tes yeux sur les miens, de tes doigts que je morde
De tout ce qui nous fait si serrés dans l'espace,
Allégés de souhaits, de crainte et de remords,
Et conformes, enfin, aux éternelles choses
Où tout penche, s'apaise et humblement repose.
Il n'est que de mourir pour échapper au temps,
Et je suis morte en toi. A peine si j'entends,
Dans les confus soupirs de la nuit cristalline,
Le bruit léger d'un train faufiler la colline...

Mais mon cœur que l’amour avait exténué.
Hélas ! sent rebondir sa guerrière cuirasse.
Le vent de l'infini sur mon front s'est rué,
Il n'est jamais bien long le temps qui me harasse.
Est-ce qu'un jour mon cœur pourra n'espérer plus ?
J'ai toujours attiré tout ce que j'ai voulu.
Vivre, aimer, endurer, c'est toujours l'espérance :
Si je ne t'aimais pas du fond de ma souffrance,
Je pourrais, mon amour, croire espérer encor
Un autre triste amant dans un autre décor.
Tu comprends, n'est-ce pas, ce que ces mots expriment,
Puisque l'amour permet que l'on rêve tout haut ?
Ne te tourmente pas, mon âme est un abime
De fidélité triste, immense et sans défaut.
Je suis le haut cyprès, debout sur la pelouse,
Dont la branche remue au pas du rossignol,
Mais qui reste immobile et qui bénit le sol.
Tu rirais de savoir combien je suis jalouse.
Dès qu'un de tes regards semble fixer au loin
Je ne sais quel espoir, par quoi tu semblés moins
Exiger ma prodigue et turbulente offrande.
Mais je t'écoute vivre, et ta faiblesse est grande
Si je compare à toi mon cœur retentissant.
Comprends-moi, l'univers, pensif ou bondissant,
Avec sa grande ardeur céleste et souterraine,
Est toujours de moitié dans mes jeux et mes peines.
Ce conciliabule ébloui où je vis
Avec l'ombre agitée et les matins ravis
M'a donné mon orgueil rêveur et solitaire.
— Rien n'a jailli plus haut du centre de la terre î —
Et parfois, retournant sur toi mes bras chargés
De ce fardeau divin, invisible, léger,
Je te parais, dardant mes yeux mystérieux,
Un monstre lapidant un homme avec les cieux !
Tu ne peux déchiffrer cette énigme qui songe.
Et pourtant, mon esprit, sans masque et sans mensonge,
N'aime que toi, ne veut, ne peut aimer que toi,
Et c'est ce qui me rend souvent chétive et triste ;
Il est beau qu'un amour obstinément persiste
Et qu'il soit comme un ciel d'automne, lisse et coi,
Et qu'il connaisse aussi les misérables transes
Que même un sur désir traine encore après soi.
Mais quoi ! Ne plus goûter la subite présence
D'un bonheur vague encor, d'un brumeux paradis,
Ne plus rêver, d'un cœur craintif qui s'enhardit,
A quelque inconcevable et neuve complaisance...
Hélas ! N'écoute pas tous ces mots que je dis.
Mais j'avais tant aimé l'espérance !

Les Forces Eternelles