08/04/2011

217. "L'air brûle, la chaude magie"


L'air brûle, la chaude magie
De l'Orient pèse sur nous,
Nous périssons de nostalgie
Dans l'éther trop riche et trop doux.
On entrevoit un jardin vide
Que la paix du soir inclina,
Et là-bas, la mosquée aride
Couleur de sable et de grenat.
La dure splendeur étrangère
Nous étourdit et nous déçoit:
Je me sens triste et mensongère:
On n'est pas bon loin de chez soi.
Ce ciel, ces poivriers, ces palmes,
Ces balcons d'un rose de fard,
Comme un vaisseau dans un port calme,
Rêvent aux transports du départ.
Ah ! Comme un jour brûlant est vide !
Que faudrait-il de volupté
Pour combler l'abîme torride
De ce continuel été!
Des œillets, lourds comme des pommes,
Epanchent leur puissante odeur;
L'air, autour de mon demi-somme,
Tisse un blanc cocon de chaleur...
Dans la chambre en faïence rouge
Où je meurs sous un éventail,
J'entends le bruit, qui heurte et bouge,
Des chèvres rompant le portail.
-Ainsi, c'est aujourd'hui dimanche,
Mais, dans cet exil haletant,
Au coeur de la cité trop blanche,
On ne sent plus passer le temps;
Il n'est des saisons et des heures
Qu'au frais pays où l'on est né,
Quand sur le bord de nos demeures
Chaque mois bondit, étonné.
Cette pesante somnolence,
Ce chaud éclat palermitain
Repoussent avec indolence
Mon coeur plaintif et mon destin;
Si je meurs ici, qu'on m'emporte
Près de la Seine au ciel léger,
J'aurai peur de n'être pas morte
Si je dors sous des orangers.

216. "L'enchantement de la Sicile"

Sicily, Segesta, Temple in the mountains. April 2011

Célestes horizons où mollement oscille
La bleuâtre chaleur qui baigne la Sicile,
Malgré nos froids hivers et mes longs désespoirs
Je n'ai rien oublié de la douceur des soirs:
Ni le dattier debout sur son ombre étoilée,
Ni la fontaine arabe, au marbre soufre et noir,
Qui fait gicler son eau rigide et fuselée,
Ni l'hôtel du rivage aux teintes de safran,
Ni la jaune mosquée ombrageant ses glycines,
Ni les vaisseaux, taillés dans un bois odorant,
Et qui passent, le soir, sur la mer de Messine...
-Ah! comme je connais, Palerme, ta splendeur,
Le tropical jardin, les caféiers en fleurs,
Les sonores villas par la chaleur usées,
Et le bruit de satin des pigeons du musée !
Musée où je voyais l'Arabie et ses ors,
Ses pots de blanc mica, ses légers miradors
Imprégner de santal l'air où sa paix infuse,
Tandis que, tel un dieu embrasé, fascinant,
Qui darde sur les cœurs son désir et sa ruse,
Le grand bélier d'argent du port de Syracuse
Avait je ne sais quoi d'avide et de tonnant...
Mettant sur mon regard mes deux mains comme un masque,
J'abordais la chaleur de midi. Dans les vasques,
Le pompeux papyrus condensait sa fraîcheur.
Une voiture avec un baldaquin de toile
Menait à Baïra, dormant sur la hauteur
Parmi des ronciers blancs et des chants de cigales,
Comme un mauresque hospice enduit d'un lait de chaux...
Montréal et son cloître ouvrait à l'azur chaud
Sa cuve où grésillaient les bananiers d'Afrique.
L'église, ruisselant de fières mosaïques,
Elançant ses piliers, minces comme des mâts,
Où l'or se suspendait en lumineuses grappes,
Ressemblait, par l'ardent et monastique éclat,
A vous, sainte brûlante, ô Rose de Lima,
Que l'on voit alanguie auprès d'un jeune pape...
Des muletiers passaient en bonnet espagnol;
La fleur de l'aloès reflétait sur le sol
Le miracle étonné d'un calice de braise.
Des enfants transportaient des paniers, où les fraises
Bondissaient, retombaient, se mouvaient, rouge essaim,
Comme un jet d'eau pourpré qui pique le bassin.
Un marchand grec, coiffé de noire cotonnade,
Repoussait de ses cris et de ses sombres mains
L'assourdissant troupeau de hargneuses pintades
Qui mordait son fardeau et barrait le chemin;
Effronté, laissant voir son torse nu qu'il cambre,
Un jeune homme, allongé sur le jaune talus,
Regardait de ses yeux scintillants et velus
Le sublime soleil abonder sur ses membres
Comme un flot de liqueur coule d'un flacon d'ambre...
L'horizon tressaillait d'un vertige or et bleu.
-Et puis toujours, là-bas, je voyais, pure et vaste,
La mer au grand renom, qui touche dans ses jeux
Les Cyclades, dormant sur des vagues de feu,
Le rivage d'Ulysse et celui de Jocaste,
L'herbe où des bergers grecs préludaient deux par deux...
-Et je songeais,-puissante, éparse, solitaire,-
Mêlée au temps sans bord ainsi qu'aux éléments,
Attirant vers mon coeur, comme un étrange aimant,
Tous les rêves flottant sur l'amoureuse terre;
J'attendais je ne sais quel grave et sûr plaisir...
Mais déçue aujourd'hui par tout ce qu'on espère,
Ayant tout vu sombrer, ayant tout vu fléchir,
O mon coeur sans repos ni peur, je vous vénère
D'avoir tant désiré, sachant qu'il faut mourir !

215. "L'auberge d'Agrigente"


Dans un de ces beaux soirs où le puissant silence
Répond soudain, dans l'ombre, à l'esprit, interdit
D'écouter cet élan venant des Paradis
Contenter le désir qu'on a depuis l'enfance;
Dans un de ces soirs chauds qui nous fendent le coeur,
Et, comme d'une mine où gisent des turquoises,
Viennent extraire en nous de secrètes lueurs,
Et guident vers les cieux notre pensive emphase;
Dans ces languides soirs qui font monter du sol
Des soupirs de parfums, j'étais seule, en Sicile;
Une cloche au son grave, ébranlant l'air docile,
Sonnait dans un couvent de moines espagnols.
Je songeais à la paix rigide de ces moines
Pour qui les nuits n'ont plus de déchirants appels.
-Sur le seuil échaudé du misérable hôtel
Où l'air piquant cuisait des touffes de pivoines,
Deux chevaux dételés, mystiques, solennels,
Rêvaient l'un contre l'autre, auprès d'un sac d'avoine.
La mer, à l'infini, balançait mollement
L'impondérable excès de la clarté lunaire.
Les chèvres au pas fin, comme un peuple d'amants
Se cherchaient à travers le sec et blanc froment:
L'impérieux besoin de dompter et de plaire
Rencontrait un secret et long assentiment...
La nuit, la calme nuit, déesse agitatrice,
Regardait s'amasser l'amour sur les chemins.
Une palme éployait son pompeux artifice
Près des maigres chevaux qui, songeant à demain,
Aux incessants travaux de leur race indigente,
Se baisaient doucement.
Dans le moite jardin,
Vous méditiez sans fin, ô palme nonchalante !
Que j'étais triste alors, que mon coeur étouffait !
Un rêve catholique et sa force exigeante
M'empêchait d'écouter les bachiques souhaits
De la puissante nuit qui brille et qui fermente...
Et j'aimais ta douceur pudique et négligente,
Palmier de Bethléem sur le ciel d'Agrigente !

214. "Agrigente"


Le ciel est chaud, le vent est mou;
Quel silence dans Agrigente!
Un temple roux, sur le sol roux
Met son reflet comme une tente...
Les oiseaux chantent dans les airs;
Le soleil ravage la plaine;
Je vois, au bout de ce désert,
L'indolente mer africaine.
Brusquement un cri triste et fort
Perce l'air intact et sans vie;
La voix qui dit que Pan est mort
M'a-t-elle jusqu'ici suivie?
Et puis l'air retombe; la mer
Frappe la rive comme un socle;
Tout dort. Un fanal rouge et vert
S'allume au vieux port Empédocle.
L'ombre vient, par calmes remous.
Dans l'éther pur et pathétique
Les astres installent d'un coup
Leur brasillante arithmétique !
-Soudain, sous mon balcon branlant,
J'entends des moissonneurs, des filles
Défricher un champ de blé blanc,
Qui gicle au contact des faucilles;
Et leur fièvre, leur sèche ardeur,
Leur clameur nocturne et païenne
Imitent, dans l'air plein d'odeurs,
Le cri des nuits éleusiennes !
Un pâtre, sur un lourd mulet,
Monte la côte tortueuse;
Sa chanson lascive accolait
La noble nuit silencieuse;
Dans les lis, lourds de pollen brun,
Le bêlement mélancolique
D'une chèvre, ivre de parfums,
Semble une flûte bucolique.
-Donc, je vous vois, cité des dieux,
Lampe d'argile consumée,
Agrigente au nom spacieux,
Vous que Pindare a tant aimée!
Porteuse d'un songe éternel,
O compagne de Pythagore!
C'est vous cette ruche sans miel,
Cette éparse et gisante amphore!
C'est vous ces enclos d'amandiers,
Ce sol dur que les bœufs gravissent,
Ce désert de sèches mélisses,
Où mon âme vient mendier.
Ah! quelle indigente agonie!
Et l'on comprendrait mon émoi,
Si l'on savait ce qu'est pour moi
Un peu de l'Hellade infinie;
Car, sur ce rivage humble et long,
Dans ce calme et morne désastre,
Le vent des flûtes d'Apollon
Passe entre mon coeur et les astres !

213. "A Palerme, au jardin Tasca"

Source non connue

J'ai connu la beauté plénière,
Le pacifique et noble éclat
De la vaste et pure lumière,
A Palerme, au jardin Tasca.
Je me souviens du matin calme
Où j'entrais, fendant la chaleur,
Dans ce paradis, sous les palmes,
Où l'ombre est faite par des fleurs.
L'heure ne marquait pas sa course
Sur le lisse cadran des cieux,
Où le lourd soleil spacieux
Fait bouillonner ses blanches sources.
J'avançais dans ces beaux jardins
Dont l'opulence nonchalante
Semble descendre avec dédain
Sur les passantes indolentes.
L'ardeur des arbres à parfums
Flamboyait, dense et clandestine;
Je cherchais parmi les collines
Naxos, au nom doux et défunt.
Comme des ruches dans les plaines,
Des entassements de citrons
Sous leurs arbres sombres et ronds
Formaient des tours de porcelaine.
Les parfums suaves, amers,
De ces citronniers aux fleurs blanches
Flottaient sur les vivaces branches
Comme la fraîcheur sur la mer.
Creusant la terre purpurine,
D'alertes ruisseaux ombragés
Semblaient les pieds aux bonds légers
De jeunes filles sarrasines !
Je me taisais, j'étais sans vœux,
Sans mémoire et sans espérance;
Je languissais dans l'abondance.
-O pays secrets et fameux,
J'ai vu vos grâces accomplies,
Vos blancs torrents, vos temples roux,
Vos flots glissants vers l'Ionie,
Mais mon but n'était pas en vous;
Vos nuits flambantes et précises,
Vos maisons qu'un pliant rideau
Livre au chaud caprice des brises;
Les pas sonores des chevreaux
Sur les pavés près des églises;
Vos monuments tumultueux,
Beaux comme des tiares de pierre,
Les hauts cyprès des cimetières,
Et le soir, la calme lumière
Sur les tombeaux voluptueux,
Les quais crayeux, où les boutiques,
Regorgeant de fruits noirs et secs,
Affichent la noblesse antique
Du splendide alphabet des Grecs;
L'étincelante ardeur du sol,
Où passent, riches caravanes,
Des mules vêtues en sultanes
Trottant sous de blancs parasols,
Toutes ces beautés étrangères
Que le coeur obtient sans effort,
N'ont que des promesses de mort
Pour une âme intrépide et fière,
Et j'ai su par ces chauds loisirs,
Par ce goût des saveurs réelles,
Qu'on était, parmi vos plaisirs,
Plus loin des choses éternelles
Qu'on ne l'était par le désir !

212. "Les soirs de Catane"

Catane

Catane languissait, éclatante et maussade;
Le laurier-rose en fleurs du jardin Bellini
Portait un poids semblable à de pourpres grenades;
C'était l'heure où le jour a lentement fini
De harceler l'azur qu'il flagelle et poignarde.
Les voitures tournaient en molle promenade
Sous le moite branchage aux parfums infinis...
On voyait dans la ville étroite et sulfureuse
Les étudiants quitter les Universités;
Leur figure foncée, active et curieuse,
Rayonnait de hardie et fraîche liberté
Sous le fléau splendide et morne de l'été...
Bousculant les marchands de fruits et de tomates,
Encombrant les trottoirs comme un torrent hâtif,
Les chèvres au poil brun, uni comme l'agate,
Dans ce soir oppressant et significatif,
Fixaient sur moi leurs yeux directs, où se dilate
Un exultant entrain satanique et lascif.
Comme un tiède ouragan presse et distend les roses,
Le soir faisait s'ouvrir les maisons, les rideaux;
Des balcons de fer noir emprisonnaient les poses
Des nostalgiques corps, penchés hors du repos,
Comme on voit s'incliner des rameuses sur l'eau...
Des visages, des mains pendaient par les fenêtres,
Tant les femmes, ployant sous le poids du désir,
S'avançaient pour chercher, attirer, reconnaître,
Parmi les bruns garçons qui flânaient à loisir,
Le porteur éternel du rêve et du plaisir...
Tout glissait vers l'amour comme l'eau sur la pente.
Le ciel, languide et long, tel un soupir d'azur,
Etalait sa douceur langoureuse et constante
Où gisaient, comme l'or dans un fleuve ample et pur,
Les jasmins safranés mêlés aux citrons mûrs.
L'espace suffoquait d'une imprécise attente...
Elégants, débouchant de la rue en haillons,
Des jeunes gens montaient vers le bruyant théâtre
Que d'électriques feux teintaient de bleus rayons.
Leur hâte ressemblait à des effusions,
Chacun semblait courir aux nuits de Cléopâtre.
Des mendiants furtifs, quand nous les regardions,
Nous offraient des gâteaux couleur d'ambre et de plâtre.
Sur la place, où brillaient des palais d'apparat,
La foule vers minuit s'entassait, sinueuse:
Les pauvres, les seigneurs glissaient bras contre bras;
Un orchestre opulent jouait des opéras,
L'air se chargeait de sons comme une conque creuse;
Enfin tout se taisait; la foule restait tard.
On voyait les serments qu'échangeaient les regards,
Et c'était une paix limpide et populeuse...
Au lointain, par delà les façades, les gens,
La mer de l'Ionie, éployée et sereine,
Sous l'éclat morcelé de la lune d'argent
Comme une aube mouillée élançait son haleine...
Les bateaux des pêcheurs, qu'un feu rouge éclairait,
Suivaient nonchalamment les vagues poissonneuses.
Le parfum du bétail marin, piquant et frais,
Ensemençait l'espace ainsi qu'un rude engrais.
Le ciel, ruche d'ébène aux étoiles fiévreuses,
A force de clarté semblait vivre et frémir...
-Et je vis s'enfoncer sur la route rocheuse
Un couple adolescent, qui semblait obéir
A cette loi qui rend muets et solitaires
Ceux que la volupté vient brusquement d'unir,
Et qui vont, n'ayant plus qu'à songer et se taire,
Comme des étrangers qu'on chasse de la terre.