19/02/2010

048. "On ne peut rien vouloir"

Tombeau d'Anna de Noailles au cimetière du Père Lachaise
On ne peut rien vouloir, mais toute chose arrive,
Je ne vous aime pas aujourd'hui tant qu'hier,
Mon coeur n'est plus une eau courant vers votre rive,
Mes pensers sont en moi moins divins, mais plus fiers.
Je sais que l'air est beau, que c'est le temps qui brille,
Que la clarté du jour ne me vient pas de vous,
Et j'entends mon orgueil qui me dit : «Chère fille,
Je suis votre refuge éternel et jaloux.
«Quoi, vous vouliez trahir le désir et l'attente ?
Vous vouliez étancher votre soif d'infini ?
Vous, reine du désert, qui dormez sous la tente,
Et dont le coeur vorace est toujours impuni ?
«Vous qui rêviez la nuit comme un palmier d'Afrique
A qui le vaste ciel arrache des parfums,
Vous avez souhaité cet humble amour unique
Où les pleurs consolés tarissent un à un !
«Vous avez souhaité la tendresse peureuse,
L'élan et la stupeur de l'antique animal;
On n'est pas à la fois enivrée et heureuse,
L'univers dans vos bras n'aura pas de rival;
«Comme le Sahara suffoqué par le sable
Vous brûlerez en vain, sans qu'un limpide amour
Verse à votre chaleur son torrent respirable,
Et vous donne la paix que vous fuiriez toujours...»
Et, tandis que j'entends cette voix forte et brève,
Je regarde vos mains, en qui j'ai fait tenir
Le flambeau, la moisson, l'évangile et le glaive,
Tout ce qui peut tuer, tout ce qui peut bénir.
Je regarde votre humble et délicat visage
Par qui j'ai voyagé, vogué, chanté, souffert,
Car tous les continents et tous les paysages
Faisaient de votre front mon sensible univers.
Vous n'êtes plus pour moi ces jardins de Vérone
Où le verdâtre ciel, gisant dans les cyprès,
Semble un pan du manteau que la Vierge abandonne
A quelque ange éperdu qui le baise en secret.
Vous n'êtes plus la France et le doux soir d'Hendaye,
La cloche, les passants, le vent salé, le sol,
Toute cette vigueur d'un rocher qui tressaille
Au son du fifre basque et du luth espagnol;
Vous n'êtes plus l'Espagne, où, comme un couteau courbe
Le croissant de la lune est planté dans le ciel,
Où tout a la fureur prompte, funèbre et fourbe
Du désir satanique et providentiel.
Vous n'êtes plus ces bois sacrés des bords de l'Oise,
Ce silence épuré, studieux, musical,
Ce sublime préau monastique, où l'on croise
Le songe d'Héloïse et les yeux de Pascal.
Vous n'êtes plus pour moi les faubourgs du Bosphore
Où le veilleur de nuit, compagnon des voleurs,
Annonce que le temps coule de son amphore
Pesant comme le sang et chaud comme les pleurs.
Ces soleils exaltés, ces oeillets, ces cantiques,
Ces accablants bonheurs, ces éclairs dans la nuit,
Désormais dormiront dans mon coeur léthargique
Qui veut se repentir autant qu'il vous a nui;
Allez vers votre simple et calme destinée;
Et comme la lueur d'un phare diligent
Suit longtemps sur la mer les barques étonnées,
Je verserai sur vous ma lumière d'argent...
(Les Vivants et les Morts 1907-1913)

047. "La mort fervente"

Le tombeau d'Anna de Noailles,
au cimetière du Père Lachaise à Paris----------------------------------------

Mourir dans la buée ardente de l'été,
Quand parfumé, penchant et lourd comme une grappe,
Le coeur, que la rumeur de l'air balance et frappe,
S'égrène en douloureuse et douce volupté.

Mourir, baignant ses mains aux fraîcheurs du feuillage,
Joignant ses yeux aux yeux fleurissants des bois verts,
Se mêlant à l'antique et naissant univers,
Ayant en même temps sa jeunesse et son âge,

S'en aller calmement avec la fin du jour ;
Mourir des flèches d'or du tendre crépuscule,
Sentir que l'âme douce et paisible recule
Vers la terre profonde et l'immortel amour.

S'en aller pour goûter en elle ce mystère
D'être l'herbe, le grain, la chaleur et les eaux,
S'endormir dans la plaine aux verdoyants réseaux,
Mourir pour être encor plus proche de la terre
Le cœur innombrable, poèmes, Calmann-Lévy, 1901

046. "La mort dit à l'homme"

Une allée du cimetière du Père-Lachaise, à Paris
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Voici que vous avez assez souffert, pauvre homme,
Assez connu l'amour, le désir, le dégoût,
L'âpreté du vouloir et la torpeur des sommes,
L'orgueil d'être vivant et de pleurer debout...

Que voulez-vous savoir qui soit plus délectable
Que la douceur des jours que vous avez tenus,
Quittez le temps, quittez la maison et la table;
Vous serez sans regret ni peur d'être venu.

J'emplirai votre coeur, vos mains et votre bouche
D'un repos si profond, si chaud et si pesant,
Que le soleil, la pluie et l'orage farouche
Ne réveilleront pas votre âme et votre sang.

Pauvre âme, comme au jour où vous n'étiez pas née,
Vous serez pleine d'ombre et de plaisant oubli,
D'autres iront alors par les rudes journées
Pleurant aux creux des mains, des tombes et des lits.

D'autres iront en proie au douloureux vertige
Des profondes amours et du destin amer,
Et vous serez alors la sève dans les tiges,
La rose du rosier et le sel de la mer.

D'autres iront blessés de désir et de rêve
Et leurs gestes feront de la douleur dans l'air,
Mais vous ne saurez pas que le matin se lève,
Qu'il faut revivre encore, qu'il fait jour, qu'il fait clair.

Ils iront retenant leur âme qui chancelle
Et trébuchant ainsi qu'un homme pris de vin;
Et vous serez alors dans ma nuit éternelle,
Dans ma calme maison, dans mon jardin divin

Le cœur innombrable, poèmes, Calmann-Lévy, 1901

045. Amphion : le monument Anna de Noailles

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044. Dédicace et Citations

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Dédicace de l'ouvrage de Louis Perche (message 40)

043. Anna de Noailles par elle-même

montage de l'auteur

042. Anna de Noailles : quatre portraits

041. Un ouvrage plus rare

040. Un petit livre passionnant

Pierre Seghers. 1964

039. Un autre ouvrage de référence

Editions Robert LAFFONT. 1989
ISBN 2-221-05682-5

038. Un ouvrage de référence


Les textes 35, 36, 37 sont extraits de cet ouvrage de référence pour tout connaître de la vie et de l'oeuvre de la Comtesse Anna de Noailles