13/02/2010

025. "Jeunesse"


Pourtant tu t'en iras un jour de moi, Jeunesse,
Tu t'en iras, tenant l'Amour entre tes bras,
Je souffrirai, je pleurerai, tu t'en iras,
Jusqu'à ce que plus rien de toi ne m'apparaisse !

La bouche pleine d'ombre et les yeux pleins de cris,
Je te rappellerai d'une clameur si forte,
Que, pour ne plus m'entendre appeler de la sorte,
La Mort entre ses mains prendra mon cœur meurtri.

Pauvre Amour, triste et beau, serait-ce bien possible
Que vous ayant aimé d'un si profond souci
On pût encor marcher sur le chemin durci
Où l'ombre de nos pieds ne sera plus visible ?

Revoir sans vous l'éveil douloureux du printemps,
Les dimanches de mars, l'orgue de Barbarie,
La foule heureuse, l'air doré, le jour qui crie,
La musique d'ardeur qu' Yseult dit à Tristan !

Sans vous, connaître encor le bruit sourd des voyages,
Le sifflement des trains, leur hâte et leur arrêt,
Comme au temps juvénile, abondant et secret
Où dans vos yeux clignés riaient des paysages.[...]

Et quand l'automne roux effeuille les charmilles
Où s'asseyait le soir l'amante de Rousseau,
Être une vieille, avec sa laine et son fuseau,
Qui s'irrite et qui jette un sort aux jeunes filles...

- Ah ! Jeunesse, qu'un jour vous ne soyez plus là,
Vous, vos rêves, vos pleurs, vos rires et vos roses,
Les Plaisirs et l'Amour vous tenant, - quelle chose,
Pour ceux qui n'ont vraiment désiré que cela ! ........

(L'Ombre des Jours)

024. "La Jeunesse"


Tout le plaisir de vivre est tenu dans vos mains,
O jeunesse joyeuse, ardente, printanière,
Autour de qui tournoie l'emportement humain
Comme une abeille autour d'une branche fruitière !

Vous courez dans les champs, et le vol d'un pigeon
Fait plus d'ombre que vous sur l'herbe soleilleuse,
Vos yeux sont verdoyants, pareils à deux bourgeons,
Vos pieds, ont la douceur des feuilles cotonneuses.

Vous habitez le tronc fécond des cerisiers
Qui reposent sur l'air leurs pesantes ramures,
Votre cœur est léger comme un panier d'osier
Plein de pétales vifs, de tiges et de mûres.

C'est par vous que l'air joue et que le matin rit,
Que l'eau laborieuse ou dolente s'éclaire,
Et que les cœurs sont comme un jardin qui fleurit
Avec ses amandiers et ses roses trémières!

C'est par vous que l'on est vivace et glorieux,
Que l'espoir est entier comme la lune ronde,
Et que la bonne odeur dit jour d'été joyeux
Pénètre largement la poitrine profonde!

C'est par vous que l'on est incessamment mêlé
A la chaude, odorante et bruyante nature,
Qu'on est fertile ainsi qu'un champ d'orge et de blé
Beau comme le matin et comme la verdure.

Ah ! jeunesse, pourquoi faut-il que vous passiez
Et que nous demeurions pleine d'ennuis et pleins d'âge,
Comme un arbre qui vit sans lierre et sans rosier,
Qui souffre sur la route et ne fait plus d'ombrage

Le cœur innombrable, poèmes, Calmann-Lévy, 1901

023. "La Nature et l'Homme"



Nature, je reviens à vous sur toutes choses,
Je vous revois, je vous reprends, je me repose
Comme un promeneur las qui trouve sa maison.
- Je ne veux plus aimer que vos quatre saisons
Qui sont toute la joie et toute l'innocence;
Nature, rendez-nous les matins de l'enfance;
La vie était heureuse et pleine de vigueur,
L'air abondant et vif se donnait comme un coeur;
La route était si grande et pourtant familière!
Au travers des fourrés et des fossés, le lierre
Se traînait pour venir ramper sur le chemin;
L'heure fleurie était à la hauteur des mains.
On était près du champ, du sable, des insectes;
Le buisson de lilas que la rosée humecte
Laissait pleuvoir sur nous ses bourgeons et son eau,
On était un feuillage où chantaient des oiseaux.
- A force de toucher et d'aimer la verdure
On connaissait très bien toutes les découpures
Des plantes qui luisaient au gazon du jardin.
On était attendri de voir que, sans dédain,
Les arbres supportaient autour des branches torses
Les petites fourmis qui couraient sur l'écorce.
Le bois jetait au loin ses parfums et son bruit;
Comme les pépins sont enveloppés du fruit
Nos coeurs étaient vêtus de ta chair odorante.
Tu ne faisais pas peur, Nature aux mains offrantes,
Notre candeur plaisait à ta simplicité;
Tu nous laissais jouer sans crainte avec l'été,
Et mordre tes bourgeons, ton herbe, ton feuillage,
Comme font les chevreaux qu'on mène au pâturage.
Parfois, dans la douceur auguste de ta paix,
Une branche de ronce ou de mûrier rompait
Quand nous avions beaucoup parcouru les ravines;
On ne se faisait pas de mal à tes épines,
On pressait contre soi la haie et le buisson
Pour détacher la feuille où le colimaçon
Avait posé sa ronde et luisante coquille.
On cueillait tes pavots, tes bleuets, tes jonquilles,
On croyait que ton ciel et que ton mois de mai
Avait un coeur soigneux et chaud qui nous aimait,
Et que ton âme simple et bonne était encline
A fleurir et verdir les petites collines;
On vivait confiant et serré contre toi
Comme les nids qui sont au soleil sous les toits...
- Et puis, un jour, j'ai vu comment allait le monde,
J'ai vu que votre tâche était d'être féconde,
Que vous étiez sans coeur, sans amour, sans pitié;
J'ai voulu détourner de vous mon amitié
Pour venir contempler la conscience humaine.
Je pensais qu'elle était un lumineux domaine
Où fleurissaient la loi clémente et l'équité.
- J'ai connu que le mal emplissait les cités,
Que l'homme était sévère et dur aux misérables,
Que vos bois de sapins et vos bouquets d'érables,
Vos tiges de froment, d'orge et de sarrasin,
La feuille du figuier vivace et du raisin
Faisaient plus d'ombre à l'âme orgueilleuse et blessée
Que le plaisir, que le travail, que la pensée...
- Et je reviens à vous, apaisante splendeur,
Bénissant votre voix et votre bonne odeur,
Saluant vos coteaux, vos plaines nourricières,
Les mousses des sentiers et la douce poussière
Que votre haleine fait voleter sous le ciel.
Voyez de quel désir, de quel amour charnel
De quel besoin jaloux et vif, de quelle force
Je respire le goût des champs et des écorces!
- Je vivrai désormais près de vous, contre vous,
Laissant l'herbe couvrir mes mains et mes genoux
Et me vêtir ainsi qu'une fontaine en marbre :
Mon âme s'emplira de guêpes comme un arbre,
D'échos comme une grotte et d'azur comme l'eau ;
Je sentirai sur moi l'ombre de vos bouleaux ;
Et quand le jour viendra d'aller dans votre terre
Se mêler au fécond et végétal mystère,
Faites que mon coeur soit une baie d'alisier,
Un grain de genièvre, une rose au rosier,
Une grappe à la vigne, une épine à la ronce,
Une corolle ouverte où l'abeille s'enfonce...

(Les Eblouissements)

022. "L'empreinte"


Je m'appuierai si bien et si fort à la vie,
D'une si rude étreinte et d'un tel serrement
Qu'avant que la douceur du jour me soit ravie
Elle s'échauffera de mon enlacement.

La mer, abondamment sur le monde étalée,
Gardera dans la route errante de son eau
Le goût de ma douleur qui est âcre et salée
Et sur les jours mouvants roule comme un bateau.

Je laisserai de moi dans le pli des collines
La chaleur de mes yeux qui les ont vu fleurir
Et la cigale assise aux branches de l'épine
Fera crier le cri strident de mon désir.

Dans les champs printaniers la verdure nouvelle
Et le gazon touffu sur les bords des fossés
Sentiront palpiter et fuir comme des ailes
Les ombres de mes mains qui les ont tant pressés.

La nature qui fut ma joie et mon domaine
Respirera dans l'air ma persistante odeur
Et sur l'abattement de la tristesse humaine
Je laisserai la forme unique de mon coeur.

(Le Coeur innombrable. 1901)

021. "In Nature's Praise"

Gustave Courbet

Traduction anglaise du poème : "Offrande à la Nature"
Voir message N° 13 en cliquant ici.

Deep-hearted Nature, supporting the heavens,
None more than I will have so ardently loved
The light of days and the sweetness of things,
The shimmering water and the nurturing earth.

The woods, ponds, and fertile plains
Have touched my eyes more than human gazes.
I have leaned upon the beauty of the world
And my hands have held the seasons' fragrances.

I have worn your suns like a crown
On my noble and simple brow,
My games have matched the labors of fall,
And I have wept with love in your summers' arms.

I have come to you without fear or prudence,
Giving you my reason for good and evil,
Embracing as my only joy and knowledge
Your impetuous soul with animal cunning.

Like an open flower for nesting bees
My life has distilled balms and songs,
And like a basket my morning heart
Offers you ivy and pliant boughs.

Yielding like water reflecting the trees
I have known the burning desires of your nights,
Which arouse in the hearts of men and beasts
Beautiful impatience and divine will.

Nature, my arms enfold you all alive,
Ah ! must my eyes fill with darkness some day,
And must I go to the land without wind or color
Where light and love will never meet...

The Innumerable Heart (1901)
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Traduction par C. Perry : http://www.nd.edu/~cperry/literary_interests/coeur.html
Source de l'illustration : http://www.artinthepicture.com/paintings/Gustave_Courbet/Sunset-on-Lake-Leman
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