30/10/2010

131. Un manuscrit de la Comtesse de Noailles

reproduit à partir de l'ouvrage d'Angela Bargenda
"La poésie d'Anna de Noailles"
Edteur : L'Harmattan 1995. ISBN : 2-7384-3682-X

29/10/2010

130. Anna de Noailles et le jardin. 1


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Le texte qui suit, publié en trois parties (messages 130, 129, 128) est extrait d'une thèse de Doctorat soutenu en 1989 à l'Université de Metz par Vassiliki LALAGIANNI : "Anna de Noailles et le monde sensible. Quelques aspects de son univers imaginaire".
Directeur de thèse : Monsieur le professeur Michel Baude
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1. Le jardin est le lieu de prédilection qui exerce sur le poète une étrange fascination. Miniature de la Nature mais d’une nature domptée où le sauvage est persécuté, le jardin est une terre pacifiée qui offre des images d’ordre et de calme. Le jardin constitue pour Noailles un lieu vivement recherché, et, pour reprendre l'expression bachelardienne, un "espace louangé". C'est dans le jardin que le poète subit l’envoûtement des éléments, car le jardin est le lieu privilégié de l’épiphanie cosmique. C’est dans le jardin qu’une intimité profonde s’établit entre l’univers et le poète qui devient extrêmement réceptif au monde environnant; perméable, transparent à tout ce qui l’entoure.

Dans cet espace élémentaire, les fleurs et les plantes ont de puissants attraits. Par cet amour des plantes, notre poète connaît un contact plus étroit avec la terre. Ainsi le "suave jardin" de la villa des Chevaliers de Malte, est "une coupe emplie de fleurs, un sérail de fleurs qui s’affaissent, tombent l’une sur l’autre comme des danseuses fatiguées".
La terre féconde du jardin, " espace peinturé d’odeurs et capitonné de verdure", est une "ardente et joyeuse bacchante" dont "la jeunesse adorante et chaude" répond à l’exigence extrême des sens. Les descriptions que le poète fait de ces lieux, font surtout appel aux sens.
Un rêve végétal – « l’amère exhalaison du végétal amour » - domine dans l’imagination de notre poète; ce rêve pousse Anna vers les extrémités quand elle veut « mourir pour être encore plus proche de la terre ».
Elle éprouve l’envie de s’assimiler à cette terre fertile dont les entrailles, fécondées par la pluie, délivrent de "fines essences souterraines" et de "mols arômes vanillés" et dont "l'herbe a des parfums émouvants comme un cri". Pot plein d’encens, le jardin est le royaume de l’odorat :

Le parfum des œillets, du benjoin et des lis
Fait autour des jardins de flottantes tonnelles

Pendant les "languides soirs qui font monter du sol des soupirs de parfums, Anna subit l’envoûtement des éléments. Les bras ouverts, Anna reçoit la lumière du soleil quand celui-ci noie l’univers avec son feu céleste et quand « le comble jardin, comme un vase éclaté, gît en mille morceaux de feu »
Les jardins noailliens sont "des jardins sans pluie, sans ombre et sans vapeur "constate Léon Blum, "où brûlent confusément l’ardeur du Soleil, l’ardeur du désir, l’ardeur de la jeunesse; ce sont les mêmes appels, les mêmes émois, les mêmes extases courtes et élémentaires qui ne s’épuisent, ni ne se satisfont. On lit parmi les poèmes de Noailles :

Un jardin fait plus mal encore que la musique
Lorsque le beau matin réduit l’ardeur physique
Mais rien ne peut nous consoler, les nuits
Où le coeur veut tout ce qu’il imagine
Vous m'avez fait bien des divins ennuis,
Petit jardin avec des mandarines

129. Anna de Noailles et le jardin. 2


2. Dans l’atmosphère idyllique du jardin, la rêverie ne quitte jamais le domaine de la sensation: le poète est relié à la nature par tous ses sens, véritablement subjugué par la magie du lieu; la présence des végétaux et les odeurs qu’ils exhalent contribuent à créer en lui une impression de paradis. Dans "Le Livre de ma Vie", Anna se réfère maintes fois aux moments de son enfance qu’elle passait dans le paisible jardin du chalet d'Amphion, "dans une atmosphère de paradis où des pétunias vanillées et des hortensias roses, aux floraisons profuses, offraient le spectacle de la jeunesse du monde inclinée sur la transparence de l’eau »

L’enfant, de par sa nature, est plus apte que l’adulte à reconstituer l’harmonie du premier jardin et à y vivre. C’est un peu ce que disait C. G. Jung : "Les animaux eux, sont vraiment eux-mêmes. L’animal et la plante sont pour moi les symboles mêmes de l’être pieux. Nous avons tout lieu de nous inspirer de leur exemple; ils vivent la totalité de leur être comme l’enfant vit la sienne."
Cette exaltation ressentie dans l’intimité de la nature traduit une "nostalgie adamique", un retour au bonheur originel. L’atmosphère du jardin, composée de couleurs, d’odeurs, de chants d’oiseaux, rappelle celle du premier jardin. Et c'est bien le mot "paradi" qui revient le plus souvent lors de l’évocation de ces jardins. En outre, le jardin manifeste d’une part les liens qui s’établissent entre la nature et l’homme et, d’autre part, le pouvoir que celui-ci exerce sur le cosmos. De ce fait, le jardin devient un lieu de réconciliation où la terre perd son exubérance, son caractère sauvage et indompté: le jardin représente les préoccupations secrètes de l’homme. Nature rendue plus humaine par le labeur de l’homme, le jardin est un espace où le bonheur devient possible. A bien des égards, il évoque le paradis.
"Petite fille, j’ai, certes, goûté des moments de paradis à Amphion dans l’allée des platanes étendant sur le lac une voûte de vertes feuilles; […] je respirais avec prédilection le parfum de vanille qu’exhalent ces fleurs exiguës, grésillant et se réduisant au soleil, comme un charbon violet. Oui, ce fut là le paradis […]. Enfant installée dans le jardin d’avant Adam et Eve, je savais bien, innocemment, qu’il se révélerait à moi, le couple énigmatique pour qui l'univers semble créé ... ». Dans les Forces Eternelles on lit : « Les jardins ont tout engourdis, la fixité du paradis »
L’évocation si souvent reprise du beau jardin dont le charme et le bonheur que sa vue inspire rappellent le premier jardin, nous a contrainte à nous interroger sur le sens du Paradis perdu. On se demande si cette jouissance du monde à travers l’évocation de ces terres fécondes et de ces jardins qui enchantent l’âme, n’est pas l’expression de la nostalgie d’un âge d’or, quand l’être humain vivait en harmonie avec le monde élémentaire, l’enfance.

128. Anna de Noailles et le jardin. 3


3. L’image du jardin implique celle de l’enfance, temps d’une véritable harmonie cosmique. La nostalgie de cette harmonie primitive pousse Noailles à rechercher le jardin perdu. C’est pourquoi il lui arrive dans un moment de désarroi, d’évoquer ces beaux jardins qui le font se tourner vers son enfance."Un matin de mai, sous une mince pluie tiède, pleine de grâce, et qui semble dans la nature un épanchement de plus, j’erre au jardin de mon enfance: L’atmosphère liquide crée une solitude sans rumeurs. Je suis captive avec mes arbres, mon rivage, le chalet qu’habitaient mes parents, sous un vaste et léger globe de verre".

Retirez-moi du coeur, tous mes jardins d’enfance
Tout ce qui coule encor de trop tendre en mon sang !
Maintenant que ma vie à sa langueur consent,
Je crains, ô souvenir, votre suave offense.
Jardin de mon enfance, il n’y a pas de sang
Parmi l’éclosion de vos plantes naïves.

Le jardin suggère le retour vers l’enfance par son espace clos et protégé qui offre la sécurité du cercle familial. Les jardins noailliens sont toujours des espaces clos, incluant implicitement une forme d’apparence circulaire. Or, Gilbert Durant signale que l’espace courbe, fermé et régulier", serait par excellence signe de "douceur, de paix, de sécurité". Le jardin attire le poète par son aspect calme et tranquillisant Ces lieux évoquent, donc, l’intimité heureuse qui n’est pas sans rappeler l’image du paradis perdu.

Jardins secrets où tout est heureux
0 jardins assoupis, pelouses caressées,
Calme, calme profond !

L’enfance est caractérisée par un besoin profond de sécurité. Le bonheur consiste à se sentir enclos dans un refuge, à l’abri dans un lieu étroit et dissimulé aux regards, protégé contre les agressions du monde, contre l’inconnu. Un jardin clos est un espace de bonheur protégé où le poète connaît des moments extraordinaires de solitude en sécurité. Le jardin est le lieu de l’isolement où l’on passe des heures de solitude heureuse, où l’on évoque d-anciens souvenirs dans la paix de son espace clos. Ce besoin de sécurité se traduit chez notre poète par un culte des refuges. La maison illustre l’image d’un lieu qui abrite et protège contre les agressions du monde extérieur.

Vassiliki LALAGIANNI

11/10/2010

127. "Si je n'aimais que toi."

Si je n'aimais que toi en toi
Je guérirais de ton visage
Je guérirais bien de ta voix
Qui m'émeut comme lorsqu'on voit
Dans le nocturne paysage
La lune énigmatique et sage
Qui nous étonne chaque fois
Si c'était toi par qui je rêve
Toi vraiment seul, toi seulement
J'observerais tranquillement
Ce clair contour, cette âme brève
Qui te commence et qui t'achève
Mais à cause de nos regards
A cause de l'insaisissable
A cause de tous les hasards
Je suis parmi toi haute et stable
Comme le palmier dans les sables
Nous sommes désormais égaux
Tout nous joint, rien ne nous sépare
Je te choisis si je compare
C'est toi le riche et moi l'avare
C'est toi le chant et moi l'écho
Et t'ayant comblé de moi-même
O visage par qui je meurs
Rêves, désir, parfums, rumeurs
Est-ce toi ou bien moi que j'aime

Source de l'illustration : http://fc06.deviantart.net/fs18/f/2007/149/a/1/Nocturn_by_saretta1.jpg

126. "L'inquiet désir"


Voici l'été encor, la chaleur, la clarté,
La renaissance simple et paisible des plantes,
Les matins vifs, les tièdes nuits, les journées lentes,
La joie et le tourment dans l'âme rapportés.

Voici le temps de rêve et de douce folie
Où le coeur, que l'odeur du jour vient enivrer,
Se livre au tendre ennui de toujours espérer
L'éclosion soudaine et bonne de la vie,

Le coeur monte et s'ébat dans l'air mol et fleuri.
Mon coeur, qu'attendez-vous de la chaude journée,
Est-ce le clair réveil de l'enfance étonnée
Qui regarde, s'élance, ouvre les mains et rit ?

Est-ce l'essor naïf et bondissant des rêves
Qui se blessaient aux chocs de leur emportement,
Est-ce le goût du temps passé, du temps clément,
Où l'âme sans effort sentait monter sa sève ?

Ah ! mon coeur, vous n'aurez plus jamais d'autre bien
Que d'espérer l'Amour et les jeux qui l'escortent,
Et vous savez pourtant le mal que vous apporte
Ce dieu tout irrité des combats dont il vient.

Le cœur innombrable, poèmes, Calmann-Lévy, 1901

125. "Le coeur, La chaude chanson, Azur"


Le coeur

Mon coeur tendu de lierre odorant et de treilles,
Vous êtes un jardin où les quatre saisons
Tenant du buis nouveau, des grappes de groseilles
Et des pommes de pin, dansent sur le gazon...
Sous les poiriers noueux couverts de feuilles vives
Vous êtes le coteau qui regarde la mer,
Ivre d'ouïr chanter, quand le matin arrive,
La cigale collée au brin de menthe amer.
Vous êtes un vallon escarpé ; la nature
Tapisse votre espace et votre profondeur
De mousse délicate et de fraîche verdure.
Vous êtes dans votre humble et pastorale odeur
Le verger fleurissant et le gai pâturage
Où les joyeux troupeaux et les pigeons dolents
Broutent le chèvrefeuille ou lissent leur plumage.
Et vous êtes aussi, coeur grave et violent,
La chaude, spacieuse et prudente demeure
Pleine de vins, de miel, de farine et de riz,
Ouverte au bon parfum des saisons et des heures,
Où la tendresse humaine habite et se nourrit

Le cœur innombrable, poèmes, Calmann-Lévy, 1901
* * *


La chaude chanson

La guitare amoureuse et l'ardente chanson
Pleurent de volupté, de langueur et de force
Sous l'arbre où le soleil dore l'herbe et l'écorce,
Et devant le mur bas et chaud de la maison.

Semblables à des fleurs qui tremblent sur leur tige,
Les désirs ondoyants se balancent au vent,
Et l'âme qui s'en vient soupirant et rêvant
Se sent mourir d'espoir, d'attente et de vertige.

Ah ! quelle pâmoison de l'azur tendre et clair !
Respirez bien, mon coeur, dans la chaude rafale,
La musique qui fait le cri vif des cigales,
Et la chanson qui va comme un pollen sur l'air

Le cœur innombrable, poèmes, Calmann-Lévy, 1901
* * *

Azur

Comme un sublime fruit qu'on a de loin lancé,
La matinée avec son ineffable extase
Sur mon coeur enivré tombe, s'abat, s'écrase,
Et mon plaisir jaillit comme un lac insensé !

O pulpe lumineuse et moite du ciel tendre,
Espace où mon regard se meurt de volupté,
O gisement sans fin et sans bord de l'été,
Azur qui sur l'azur vient reluire et s'étendre,

Coulez, roulez en moi, détournez dans mon corps
Tout ce qui n'est pas vous, prenez toute la place,
Déjà ce flot d'argent m'étouffe, me terrasse,
Je meurs, venez encor, azur ! venez encor

Le cœur innombrable, poèmes, Calmann-Lévy, 1901

124. "Deux êtres luttent dans mon coeur"


Deux êtres luttent dans mon coeur,
C'est la bacchante avec la nonne,
L'une est simplement toute bonne,
L'autre, ivre de vie et de pleurs.
La sage nonne est calme, et presque
Heureuse par ingénuité.
Nul n'a mieux respiré l'été ;
Mais la bacchante est romanesque,
Romanesque, avide, les yeux
Emplis d'un sanguinaire orage.
Son clair ouragan se propage
Comme un désir contagieux !
La nonne est robuste, et dépense
Son âme d'un air vif et gai.
La païenne, au corps fatigué,
Joint la faiblesse à la puissance.
Cette Ménade des forêts,
Pleine de regrets et d'envies,
A failli mourir de la vie,
Mais elle recommencerait !
La nonne souffre et rit quand même :
C'est une Grecque au coeur soumis.
La dyonisienne gémit
Comme un violon de Bohême !
Pourtant chaque soir dans mon coeur,
Cette sage et cette furie
Se rapprochent comme deux soeurs
Qui foulent la même prairie.
Toute deux lèvent vers les cieux
Leur noble regard qui contemple.
L'étonnement silencieux
De leurs deux âmes fuse ensemble ;
Leurs front graves sont réunis ;
La même angoisse les visite :
Toutes les deux ont, sans limite,
La tristesse de l'infini !...

123. Un ouvrage en anglais

Dionysian Aesthetics in the Works of Anna de Noailles
2003. 453 pages. $75.00
ISBN 0-8387-5499-6. LC 2002021540

This study, the first ever to appear in English, re-examines Anna de Noailles' poetry and prose alongside manuscripts and private documents, in relation to the works of French and European artists and thinkers from among her predecessors as well as her contemporaries. The author shows how this woman of foreign origins envisioned and constructed an original poetic world by actively engaging with her literary and intellectual heritage - as represented by Lamartine, Hugo, Baudelaire, Mallarmé, Proust, Schopenhauer, and Rilke, among others - while discovering vital sources of inspiration in her Greek ancestry and in Nietzsche's groundbreaking philosophy. Not only did Noailles create a distinctive voice in the world of French letters but also her influence reached writers of both genders in France, in other European countries, and across the Atlantic. Through the focusing lens of Anna de Noailles, Perry revives multiple facts of the culture in which she wrote. More crucially still, this book reevaluates a writer whose historical stature and whose incorporation by the French establishment as a representative of "feminine" poetry have tended to overshadow her literary merits. Suzanne Nash, Professor of French, Princeton University

About the author : Catherine PERRY. An American born and raised in Lausanne, Switzerland, Catherine Perry spent ten years in Morocco before settling in the United States. Now Associate Professor of French and Francophone Studies at the University of Notre Dame, her academic interests include intellectual history, literary theory, gender studies, representations of North Africa in European literature and painting, and literature from the Maghreb. She has published numerous articles no French and Francophone writers of all periods.

http://romancelanguages.nd.edu/people/perry-catherine/
http://www.catherine-perry.org/
http://catherineperry.wordpress.com/

122. Un portrait inconnu de la comtesse de Noailles. 1

Découverte d’un portrait d’Anna de Noailles réalisé en 1949

Alexandre d’Oriano, président du Cercle Anna de Noailles, a envoyé à Catherine PERRY*, cette reproduction d’un portrait réalisé en 1949, après la mort d’Anna de Noailles. Il s'agit d'un document rare et sans doute très peu connu. Source du document : http://www.annadenoailles.org/
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 Je remercie très vivement Madame Catherine PERRY*, d'avoir bien voulu m'autoriser à reproduire ce document que l'on pourra visualiser dans son format original dans le message 121.
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 *Catherine Perry. Romance Languages & Literatures
343 O’Shaughnessy Hall. University of Notre Dame
Notre Dame, IN 46556, USA
 cperry@annadenoailles.org
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121. Un portrait inconnu de la comtesse de Noailles. 2

10/10/2010

120. "Le baiser"

Le baiser (Rodin)
 Couples fervents et doux, ô troupe printanière !
Aimez au gré des jours.
Tout, l'ombre, la chanson, le parfum, la lumière
Noue et dénoue l'amour.

Épuisez, cependant que vous êtes fidèles,
La chaude déraison,
Vous ne garderez pas vos amours éternelles
Jusqu'à l'autre saison.

Le vent qui vient mêler ou disjoindre les branches
A de moins brusques bonds
Que le désir qui fait que les êtres se penchent
L'un vers l'autre et s'en vont.

Les frôlements légers des eaux et de la terre,
Les blés qui vont mûrir,
La douleur et la mort sont moins involontaires
Que le choix du désir.

Joyeux ; dans les jardins où l'été vert s'étale
Vous passez en riant,
Mais les doigts enlacés, ainsi que des pétales,
Iront se défeuillant.

Les yeux dont les regards dansent comme une abeille
Et tissent des rayons,
Ne se transmettront plus, d'une ferveur pareille,
Le miel et l'aiguillon,

Les coeurs ne prendront plus, comme deux tourterelles,
L'harmonieux essor,
Vos âmes, âprement, vont s'apaiser entre elles,
C'est l'amour et la mort

Le cœur innombrable, poèmes, Calmann-Lévy, 1901

119. Un poème à écouter : "Enfance"

Louise LAVATER lit "Enfance" de la Comtesse de Noailles. BNF Gallica. Bibliothèque numérique

118. Anna de Noailles et Amphion

Le texte qui suit est extrait de l"ouvrage de François Broche : "Anna de Noailles, un mystère en pleine lumière". Biographies sans masque. Editions Robert Laffont. 1989. ISBN 2-221-05682-5

Aux premiers jours du printemps, au plus tard juste après les fêtes de Pâques, l'on quittait l'avenue Hoche pour la Savoie. Si Grégoire et Rachel n'avaient pu venir, les trois enfants partaient, accompagnés des domestiques et des précepteurs. On prenait le train de nuit à la gare de Lyon et, au matin, on découvrait avec ravissement Ambérieu et les pentes du mont Luisandre. Le convoi s'engageait alors dans la cluse de l'Albarine, qui précédait le défilé des Hôpitaux; les enfants n'avaient d'yeux que pour ce paysage dentelé, parsemé de petits lacs et de châteaux en ruine, tel celui de Virieu, qui avait appartenu à Honoré d'Urfé.
A Culoz, on passait sur la rive droite du Rhône; on longeait le Grand Colombier et l'on parvenait bientôt à Bellegarde. La matinée s'avançait et l'on savait que l'on irait de merveille en merveille: la gorge de la Valserine et son viaduc de onze arches, le grand tunnel du Credo, le défilé de l'Écluse, le lac enfin, « apparition bénie» ! On laissait Genève à gauche; Thonon n'était plus qu'à une trentaine de kilomètres. Les bagages étaient rassemblés depuis longtemps; après l'ultime traversée de la Dranse, on arrivait enfin à Amphion (aujourd'hui: Amphion-les-Bains). La vraie vie commençait.
[…] A la fin des années 1870, le chalet« Bassaraba» à Amphion et ses alentours n'étaient qu'une friche. D'emblée, le prince avait voulu changer cela, jouant les bâtisseurs; il avait réuni les corps de métiers de la région; il ne s'était pas contenté des entreprises locales, il avait recruté d'excellents artisans dans l'arrière-pays, ce Chablais à moitié sauvage cher à Henry Bordeaux, pays de vignobles robustes et desséchés, de prairies, de taillis et de jardins incultes, qui s'étend entre le lac et une énorme barre de rochers.
Le prince de Brancovan avait commandé de grands travaux. Il ne s'agissait pas seulement de rendre le chalet plus confortable, d'aménager les dépendances, connues sous le nom de ferme Duchêne, mais aussi de construire un véritable château de style romano-byzantin, dont les plans avaient été conçus par Viollet le Duc. Il fallait également modifier le paysage, combler un étang, en creuser un autre plus grand, plus beau, aménager un petit port de plaisance, prévoir un court de tennis, planter une immense allée de platanes, des bosquets de sapins, d'ormeaux, de thuyas, des pelouses ... Grégoire voyait large et il n'avait pas l'intention de se laisser arrêter par la dépense; il y eut du travail pour tout le monde pendant trois années. Visitant les lieux quelques années plus tard, Claude Vento pourra écrire de la jolie villa d'Amphion : «C'est un bouquet de fleurs posé sur le lac, dans le site le plus ravissant de cette côte féerique».
Qui fit présent de la lyre aux mortels ? Hermès, fils de Zeus et de Maia, le messager des dieux, le dieu des marchands et des routes, ou Amphion, fils d'Antiope et de Zeus, qui avait pour Apollon une dévotion particulière ? La version généralement admise désigna Hermès, mais on oublie souvent que le fils de Maia était également un voleur et un menteur proverbial. La vérité est sans doute intermédiaire, comme il arrive souvent: sans doute Hermès inventa-t-il la lyre, mais c'est bien Amphion qui tira de l'instrument les sons les plus mélodieux que l'on entendit jamais sur les pentes de l'Olympe et alentour; c'est également lui qui eut l'intuition d'y ajouter trois cordes - innovation révolutionnaire qui lui assura une renommée universelle.
Par la suite, Amphion ne se contenta pas de charmer les hommes et même les animaux, qui accouraient des quatre coins pour l'entendre, mais aussi - et cela est encore plus extraordinaire - le vent qui cessait de souffler, les arbres qui interrompaient le bruissement de leurs feuilles et même, dit-on, les pierres qui, lorsqu'il jouait, s'assemblaient en rond autour de lui, se plaçant là où il le désirait. C'est ainsi qu'un jour, il éleva à lui seul les remparts d'une puissante ville aux sept ports, à laquelle Zethos, son frère jumeau, donna le nom de sa femme: Thébé, ou Thèbes.
La légende d'Amphion n'est pas la plus connue de la mythologie grecque, c'est sûrement l'une des plus subtiles. Le son clair de la lyre s'oppose à la stridence de la flûte venue d'Asie; la lyre est vouée à la raison et se prête au calcul, elle est pré accordée, alors que la flûte empirique réclame une combinaison du souffle et du doigté. C'est la lyre qui donna aux Grecs l'idée de la gamme fondatrice, qu'avant eux seuls les Chinois avaient entrevue.
Ce nom d'Amphion évoquera toujours pour Anna l'endroit où elle fut le plus souvent et le plus longtemps heureuse; il lui paraissait symboliser parfaitement l'accord entre l'Art - c'est-à-dire tous les arts, à commencer par ceux qu'elle chérissait le plus: la musique et la poésie - et la Nature. Que l'endroit où elle avait eu, depuis les temps les plus anciens, la conscience parfaitement claire de renaître à la vie et à l'Esprit, se nommât ainsi ne pouvait relever de la coïncidence (page 37, 38, 39).

117. Un manuscrit de la Comtesse de Noailles

116. Anna de Noailles et la revue "Annales"

115. Anna de Noailles et Rabindranath Tagore

Rencontre entre la Comtesse de Noailles et Rabindranath Tagore, chez Albert Kahn

114. Un portrait de la comtesse de Noailles