30/04/2015

758. Aujourd'hui 30 avril : anniversaire de la mort d'Anna de Noailles

 
Chers amis,
 
« Elle était plus intelligente, plus malicieuse que personne. Ce poète avait la sagacité psychologique d'un Marcel Proust, l'âpreté d'un Mirbeau, la cruelle netteté d'un Jules Renard », écrit Jean Rostand dans sa préface à Choix de poésies d’Anna de Noailles, en 1960.
Fille du prince roumain Grégoire Bibesco Bassaraba de Brancovan et de la pianiste grecque Rachel Musurus, nièce de la pianiste-mécène Hélène Bibesco et cousine des proches de Marcel Proust, Antoine et Emmanuel Bibesco, Anna Bibesco Bassaraba de Brancovan partage sa vie entre le Tout-Paris intellectuel, artistique et mondain de la Belle époque et les rives du lac Léman. Anna épouse le comte Mattieu de Noailles qui lui donnera un fils et se dédie à la vie littéraire. Auteur de trois romans et de nombreux recueils de poèmes, la plume d’Anna oscille entre romantisme et modernité, faisant la part belle à l’amour, la nature et la mort dans un lyrisme exalté. Elle entretient par ailleurs de longues correspondances avec des figures de l’époque comme Jean Cocteau, Maurice Barrès, Marcel Proust ou encore André Gide.
Première femme à être élevée au titre de commandeur de la Légion d’honneur et reçue à l’Académie royale de langue et de littérature française de Belgique, son recueil Le Cœur innombrable est salué par l’Académie française qui créera en son honneur le prix Anna de Noailles pour récompenser une femme de lettres. Cela fait d’elle la femme la plus honorée de la IIIe République.
« La petite déesse impétueuse » comme la surnomme Rainer Maria Rilke crée en 1904 avec d’autres femmes, dont Judith Gautier et Julie Daudet, le prix La vie heureuse qui devient en 1922 le prix Femina, avec un jury exclusivement féminin pour contrebalancer le prix Goncourt et combattre la misogynie des jurys et cénacles de l’époque.
Femme du monde et de lettres à l’esprit vif et à la verve débordante, Anna ne laisse pas indifférent ses contemporains, et parmi eux André Gide qui dit d’elle : « Impossible de rien noter de la conversation. Mme de Noailles parle avec une volubilité prodigieuse ; les phrases se pressent sur ses lèvres, s'y écrasent, s'y confondent ; elle en dit trois, quatre à la fois. Cela fait une très savoureuse compote d'idées, de sensations, d'images, un tutti-frutti accompagné de gestes de mains et de bras, d'yeux surtout qu'elle lance au ciel dans une pâmoison pas trop feinte, mais plutôt trop encouragée. (...) Il faudrait beaucoup se raidir pour ne pas tomber sous le charme de cette extraordinaire poétesse au cerveau bouillant et au sang-froid ».
En ce jour anniversaire de sa mort à l’âge de cinquante-six ans, le 30 avril 1933, hommage à Anna de Noailles avec ce poème extrait du recueil Le Cœur innombrable (1901) :

« Le temps de vivre

Déjà la vie ardente incline vers le soir,
Respire ta jeunesse,
Le temps est court qui va de la vigne au pressoir,
De l'aube au jour qui baisse,

Garde ton âme ouverte aux parfums d'alentour,
Aux mouvements de l'onde,
Aime l'effort, l'espoir, l'orgueil, aime l'amour,
C'est la chose profonde ;

Combien s'en sont allés de tous les cœurs vivants
Au séjour solitaire
Sans avoir bu le miel ni respiré le vent
Des matins de la terre,

Combien s'en sont allés qui ce soir sont pareils
Aux racines des ronces,
Et qui n'ont pas goûté la vie où le soleil
Se déploie et s'enfonce.

Ils n'ont pas répandu les essences et l'or
Dont leurs mains étaient pleines,
Les voici maintenant dans cette ombre où l'on dort
Sans rêve et sans haleine ;

— Toi, vis, sois innombrable à force de désirs
De frissons et d'extase,
Penche sur les chemins où l'homme doit servir
Ton âme comme un vase,

Mêlé aux jeux des jours, presse contre ton sein
La vie âpre et farouche ;
Que la joie et l'amour chantent comme un essaim
D'abeilles sur ta bouche.

Et puis regarde fuir, sans regret ni tourment
Les rives infidèles,
Ayant donné ton cœur et ton consentement
À la nuit éternelle ».