16/11/2012

525. Le flot léger de l'air


Le flot léger de l'air vient par ondes dansantes
Du haut de l'horizon palpiter sur mon cœur;
Un parfum réfléchi pend aux grappes pesantes
Du lilas bleu, courbé d'odeur.

Les fleurs du marronnier sont à terre et reposent
Au pied de l'arbre, ainsi qu'un purpurin étang,
La branche désertée indulgemment s'étend
Sur ce golfe de pulpe rose.

Le limpide matin est uni comme un lac
Dont le soleil a fait une turquoise chaude.
L'espace est un désert somptueux. Rien ne rôde
Dans l'azur qui sommeille ainsi qu'en un hamac.
Le moindre blanc caillou est frais, luisant, paisible,
Comme un puits scintillant aux versets de la Bible.

Tout bruit léger, lointain, se distingue si fort
Dans le globe bleuâtre où tout s'enlise et dort,
Que l'esprit qui songeait se réveille et sursaute
Au grincement d'un char se hissant sur la côte,
Au sifflement du pré parcouru par la faux :
Bruits furtifs, amortis, mais que l'azur recueille,
Comme un herbier retient les fins signaux des feuilles...

J'aime jusqu'aux douleurs qu'inflige un jour si beau,
Jusqu'à cette asphyxie éparse qui bâillonne
Le souffle des passants sur qui midi rayonne.
— Divinité fougueuse et calme du beau temps ! —
La même paix bénit la campagne et la ville,
Profondeur d'océan dans l'espace, et pourtant
Je ne sais quoi de pur comme un ruisseau tranquille.
Tout est pourvu, tout est complet, tout est content.
Le bonheur, le malheur sont tous les deux distants ;
Je n'imagine rien, je ne veux rien, j'attends...

Les Forces Eternelles

524. Les biches


Biches qui rôdez dans le bois,
Calmes, perplexes, attentives,
Et qui, dans l'instant où j'arrive,
Vous dissipez autour de moi

Lentement, mollement, chacune,
En cercle autour de mon regard,
Comme un nuage au ciel du soir
Se défait autour de la lune.

Que j'aime vos airs vaporeux,
Et ces grands flocons de silence
Qui tombent avec nonchalance
De vos pas prudents et peureux !

Douces, et pourtant infidèles,
Vous fuyez en tressant vos pieds,
Avec des regards effrayés,
Comme un oiseau avec ses ailes !

Tendres animaux clandestins
Vêtus de bure, Couventines,
Qui frémissez dans le matin
Comme des cloches en sourdine,

Dans cette suave saison
J'entends bien vos songes qui volent.
Lorsque les calmes chemins sont
Pleins de sentiments sans paroles !

O rêveuse Communauté
En oraison dans le feuillage.
Immenses papillons d'été.
Corps qui ne semblez qu'un sillage.

Vos yeux sont de dolents soupirs
Dressés sur la brise amollie;
Mais puisque la mélancolie
N'est que le voile du désir.

En quel lieu, dans quelles ténèbres,
Le crime enivrant du plaisir,
A la fois bachique et funèbre,
Vient-il sur vous s'appesantir ?

 Quand glissez-vous, furtives, promptes,
Voraces aussi, vers celui
Dont le cri puissant vous conduit
Par delà l'espoir et la honte ?

O biches, dont le noble ennui
Dans les bleus matins se promène,
Je songe à ces heures des nuits
Où vous avez une âme humaine...

Les Forces Eternelles