01/08/2014

687. La mort de Jaurès














L’assassinat de Jean Jaurès a lieu le vendredi 31 juillet 1914 à 21 h 40, alors qu’il dîne au café du Croissant, rue Montmartre, dans le 2e arrondissement de Paris, au cœur de la République du Croissant, à deux pas du siège de son journal, L’Humanité. Il est atteint par deux coups de feu : une balle perfore son crâne et l’autre se fiche dans une boiserie. Le célèbre tribun s’effondre, mortellement atteint. Commis trois jours avant l'entrée de la France dans la Première Guerre mondiale, ce meurtre met un terme aux efforts désespérés que Jaurès avait entrepris depuis l’attentat de Sarajevo pour empêcher la déflagration militaire en Europe. Il précipite le ralliement de la majorité de la gauche française à l’Union sacrée, y compris beaucoup de socialistes et de syndicalistes qui refusaient jusque-là de soutenir la guerre. Cette Union sacrée n’existe plus en 1919 lorsque son assassin, Raoul Villain, est acquitté.(in Wikipédia)



















1. J'ai vu ce mort puissant le soir d'un jour d'été.
Un lit, un corps sans souffle, une table à côté:
La force qui dormait près de la pauvreté!
J'ai vu ce mort auguste et sa chambre économe,
La chambre s'emplissait du silence de l'homme.
L'atmosphère songeuse entourait de respect
Ce dormeur grave en qui s’engloutissait la paix;
Il ne semblait pas mort, mais sa face paisible
S'entretenait avec les choses invisibles.
Le jour d'été venait contempler ce néant
Comme l'immense azur recouvre l'océan.
On restait, fasciné, près du lit mortuaire
Écoutant cette voix effrayante se taire.
L'on songeait à cette âme, à l'avenir, au sort.
- Par l'étroit escalier de la maison modeste,
Par les sombres détours de l'humble corridor,
Tout ce qui fut l'esprit de cet homme qui dort,
Le tonnerre des sons, le feu du coeur, les gestes,
Se glissait doucement et rejoignait plus haut
L'éther universel où l'Hymne a son tombeau.
Et tandis qu'on restait à regarder cet être
Comme on voit une ville en flamme disparaître,
Tandis que l'air sensible où se taisait l'écho
Baisait le pur visage aux paupières fermées,
L'Histoire s'emparait, éplorée, alarmée,
De ce héros tué en avant des armées...


2. L'aride pauvreté de l'âme est si profonde
Qu'elle a peur de l'esprit qui espère et qui fonde.
Elle craint celui-là qui, lucide et serein,
Populaire et secret comme sont les apôtres,
N'ayant plus pour désir que le bonheur des autres,
Contemple l'horizon, prophétique marin,
Voit la changeante nue où la brume se presse,
Et, fixant l'ouragan de ses yeux de veilleur,
Dit, raisonnable et doux: "Demain sera meilleur."
- O Bonté! Se peut-il que vos grandes tendresses,
Que vos grandes lueurs, vos révélations,
Ce don fait aux humains et fait aux nations
Inspirent la colère à des âmes confuses?
Faut-il que l'avenir soit la part qu'on refuse
Et l'archange effrayant dont on craigne les pas?
- Grand esprit, abattu la veille des combats,
C'est pour votre bonté qu'on ne vous aimait pas...

3. Vous étiez plus vivant que les vivants, votre air
Était celui d'un fauve ayant pris pour désert
La foule des humains, à qui, pâture auguste,
Vous offriez l'espoir d'un monde égal et juste.
Vous ne distinguiez pas, tant vos feux étaient forts,
L'incendie éperdu que préparait le sort.
Vos chants retentissaient de paisibles victoires...
- Alors, la Muse grave et sombre de l'Histoire,
Ayant avec toi-même, ô tigre de la paix,
Composé le festin sanglant dont se repaît
L'invisible avenir que les destins élancent,
Perça ta grande voix de sa secrète lance
Et fit tonner le monde au son de ton silence...

Août 1914. La Guerre dans "Les Forces Eternelles", 1920