25/11/2012

616. La Nature et le Poète

LA NATURE ET LE POETE


LA NATURE

Ainsi, tu me reviens, ô ma fière transfuge,
Esprit initié, enfant, hôtesse et juge
De mes parfums, de mes rumeurs,
Ton corps semble abattu par d'humaines tempêtes.
Quels plaisirs te nuisaient, toi qui n'étais pas faite
Pour la misère du bonheur ?

Ai-je comblé quelqu'un autant que ta personne ?
Tu semblais le miroir et la conque où résonnent
Et se reflètent mes secrets.
Je te parlais avec ces voix éblouissantes
Qu'ont dans les soirs d'été les sources d'air dansantes,
Et le vert soupir des forêts.

Mon espace sans borne où sont rangés les siècles
S'est offert dès l'enfance à tes yeux de jeune aigle,
Tu savais tout ce qu'on apprend ;
On voyait ma grandeur réduite en tes prunelles,
O toi qui ressemblais aux choses éternelles,
D'où te vient ce regard souffrant ?

Je t'avais faite insigne, éparse et solitaire.
Les rumeurs de la foule et la paix de la terre
Se plaçaient gaiement sous tes mains;
Mon soleil descendait en toi au crépuscule,
Par quelle lassitude ou bien par quel scrupule
As-tu voulu posséder moins ?

LE POETE
Ne me méconnais pas, Nature juste et bonne.
Se peut-il que t'ayant aimée on t'abandonne,
Hélas ! j'ai voulu t'approcher
Plus que ton vaste amour ne le conçoit sans doute,
Ni tes suaves cieux, ni tes flots, ni tes routes,
Ni le vent clair sur tes rochers

N'ont permis à mes vœux d'atteindre ton essence,
En vain je recevais tes hautes confidences
Et ton élan universel;
Éperdue et cherchant où baiser ton visage,
Je voyais s'isoler tes brillants paysages,
J'ai pleuré sur un cœur mortel;

Sur ce si faible appui, dont la chaleur contente,
Je regardais vers toi, suprême confidente
D'un rêve immense et suffocant ;
J'espérais de mourir parmi les cantilènes
Que le désir humain, fougueux et hors d'haleine,
Emprunte à tes grands ouragans !

Je voyais bien tes soirs de juillet, chauds et pâles,
Le croissant délicat qui, dans l'air, s'intercale
Comme une barque peinte en blanc ;
Mon oreille et mes yeux se remplissaient d'extase.
Et je contemplais l'être en qui l'amour transvase
La beauté d'un soir calme et lent.

Je répandais sur lui, qui respire et qui rêve,
Ton infini passé, l'avenir, et la sève
De tes printemps toujours naissants.
Et refermant mes bras sur ce profond mensonge,
J'étais comme un oiseau précipité, qui plonge
Et s'abreuve au fleuve du sang !

Mais, hormis ces moments de suave incendie
Où la bonté de feu joint deux âmes hardies.
Fumantes comme un paquebot,
Aimer est une ardeur plus amère que tendre,
Car toujours se quitter, espérer et attendre
Creuse le cœur comme un tombeau.

Aussi, ne sois jamais inquiète, ù Nature,
Quand mon esprit, séduit par l'humble créature,
S'éloigne parfois de tes deux,
L'échange que je fais est redoutable et triste,
L'homme est faible et sans but, et ta noblesse assiste
Aux sanglots des voluptueux !

Toi non plus, tu ne peux combler, selon nos forces,
Par ton ciel, ton soleil, tes ondes, tes écorces.
Le désir de l'âme et du corps ;
Mais ta sainte indigence est du moins attentive.
Tandis que si l'amour déçoit l'âme, elle arrive
Aux portes mêmes de la mort !...

Les Forces Eternelles