10/02/2012

463. Conte triste. 02

Conte triste avec une moralité

Ce sont les pensées qui viennent comme posées sur des pattes de colombes qui apportent la tempête. Nietzche

02. Le danger de l'amour n'est pas prévisible: il se compose dans le mystère, c'est-à-dire dans la clarté quotidienne, et non dans les ténèbres où, se défiant de lui, on pourrait le surveiller; les secrets collaborateurs qui concourent à sa viabilité, et peut-être à sa perfection, ne sont pas d'espèce surprenante, - au contraire, leur présence est souvent bénigne et coutumière. Aussi naturellement que de légères nuées se groupent pour faire éclater la pluie, un visage habituel, un ciel d'été charmant, les battements d'un cœur qu'on était en droit de tenir pour mesurés, entrent soudain dans la confection de la catastrophe, - je veux dire du bonheur. Car la destinée, qui exige que l'être humain agisse, ne l'arrache pas à la quiétude aimable par des menaces, des roulements de tonnerre, un grand fracas de déluge et les couplets du chant de la Carmagnole, mais le séduit et le convainc pleinement par des artifices d'une délicatesse inouïe, comparables aux effluves d'un radieux silence.
Au seuil des paradis, à l'entrée de tout bonheur, aux portes des chambres heureuses, ne croyons-nous pas voir toujours cet énigmatique ange italien, qui a le doigt posé sur les lèvres, le regard engagé dans le splendide avenir, et sous sa longue robe aux plis pesants, un pied qui déjà, - mais à peine, - se soulève, car le fallacieux promeneur sait bien que la persuasion et l'insistance sont immobiles: là est son charme, sa dangereuse magie.
Cet ange si doux, cet ange si coupable, il est pour moi le symbole de la tentation, riche en promesses de paix éblouissante et de tumultes engourdis. Est-il nécessaire d'indiquer que cette présence enchanteresse masque un affreux cortège de malheurs sordides ou, plus simplement, que sous des nuances si plaisantes habitent déjà la décomposition et le squelette? ou, encore, que, pareille aux volubilis bleus qui fleurissent les balcons rouillés des villas Borromées, elle se fane, s'évanouit, et nous révèle qu'elle cachait le fer sous la fleur; ainsi faisaient les héros grecs.