Comment vivre à présent ? Tout être est solitaire,
Les morts ont
tué les vivants,
Leur innombrable poids m'attire sous la terre.
Pourquoi
sont-ils passés devant ?
J'écoute respirer l'immensité des mondes;
Le sol
s'assoupit sous le vent,
Le silence des morts, dans l'ombre agit et gronde:
Les morts
enterrent leurs vivants !
Je ne peux plus aimer, ni vouloir, ni comprendre,
A peine si je
suis encor.
Ma famille infinie est impalpable cendre,
J'ai honte
d'habiter un corps.
J'ai honte de mes yeux, qui songent ou s'élancent,
Accablés,
attentifs, hardis.
Les garçons de vingt ans ont tous un coup de lance
Qui les fixe au
noir paradis !
Qui pourrait tolérer cette atroce injustice,
Cette effroyable
iniquité ?
Nature, fallait-il que de ces morts tu fisses
Remonter un
candide été!
Et la terre mollit en un brouillard qui fume;
C'est un long
gonflement d'espoir.
Les arbres, satisfaits, se détendent et hument
Le calme
respirant du soir.
Mon âme pour toujours a perdu l'habitude
De son attache
avec l'éther;
Tout m'éloigne de l'ample et vague quiétude
Du cynique et
tendre univers.
A présent qu'ont péri ces épiques phalanges,
Hélas, on voit
trop vos dédains,
Triste espace mêlé de soleil et de fange,
Qui vous détournez
des humains !
Elle ne peut plus cacher à nos regards lucides,
A notre effroi
hanté, figé,
Le vide de l'azur et l'empire du vide
Où tout vient
fondre et déroger !
Le vent tiède, les bois, les astres clairs, la lune,
Ce noble arrangement du soir indifférent,
Qui pourtant séduisait les âmes une à une,
Par un doux aspect triste et franc;
Les villes, les maisons, toute la fourmilière
Humaine qui se
meut,
Et s'endort confiante, en baissant ses lumières,
Le front sur les
genoux des dieux,
Tout me semble néant, à tel point s'interpose
La mort entre la
vie et moi.
Je ne vous verrai plus, abeilles sur les roses,
Vertes pointes
des jeunes mois !
Subit éclatement du printemps qui s'arrache
A des liens
serrés, obscurs !
J'aurai les yeux rivés à l'invisible tache
Que fait la
douleur sur l'azur.
Je vivrai, les regards enchaînés sur l'abîme
Creusé sans fin
par ce qui meurt;
Je verrai l'univers comme on regarde un crime,
Avec des
soubresauts de peur.
Je ne chercherai plus quel rang occupe l'homme
Dans
ce chaos vaste et cruel,
Je ne bénirai plus, le front baissé, la somme
De
l'inconnu universel,
Et cependant, l'espace éclatant et sans borne,
O
mon timide ami me semblerait étroit,
Si je sentais encor, au fond de mon cœur morne,
Brûler ma passion pour toi !
Perspicace douceur...
Perspicace douceur des cieux calmes et sages,
Qui me versez, la nuit, un regard familier,
Puisque j'appuie à vous mon douloureux visage
Et qu'à votre clarté mon exil est lié,
Pourquoi m'avez-vous fait tomber sur cette terre,
Où, bien qu'aimant sans fin, je reste solitaire
Dans l'épouvantement du sang et des clameurs,
Alors que par mes bras étendus, par mon cœur,
Par mes yeux attentifs où l'univers s'amasse,
Par mon agile esprit qui se nourrit d'espace,