7. Puis, comme l'heure du repas approchait, il s'habilla et rejoignit son hôte. Les réunions de la journée et du soir se tenaient dans une fraiche salle boisée. Celui que l'on vénérait avait sa place près de la fenêtre; autour de lui, ses deux filles aînées, mariées et maussades, veillaient au bon ordre de la maison; les deux gendres, dont l'un était officier et l'autre avocat, paraissaient goûter à la gloire de leur beau-père avec cet entrain et cette vulgarité des gens qui font enfin, régulièrement, une bonne chère dont ils n'avaient pas l'usage. La plus jeune fille du maître, qui s'appelait Corinne, et qui, âgée de dix-huit ans, était d'une beauté charmante, retenait les regards d'Antoine Arnault, lequel pourtant désespérait d'entendre sa voix ou de la voir sourire, tant elle était sage, furtive et modérée. Aussi, privé du plaisir qu'il eût eu à s'entretenir avec elle, Antoine Arnault reportait avec amertume son attention sur le petit groupe qui formait l'entourage de l'homme illustre. Il y avait là des camarades de sa jeunesse, âgés d'une cinquantaine d'années.
Les plus sots étaient avec lui familiers, et les autres trop timides. Il y avait les écrivains de quarante ans, plus vaniteux de leur métier, de leur situation, de leur futile et adroit labeur que le grand homme ne l'était de son génie. Ceux-là parlaient de la poésie, du roman ou du théâtre, avec le ton soucieux et l'assurance de personnes chargées de la conduite définitive d'un genre où elles pensent exceller.
Antoine Arnault les méprisait, fumait ses cigarettes à l'écart de ce groupe, et ne se rapprochait du grand homme que quand il le voyait solitaire. Alors, assis auprès de lui, timide et audacieux comme un enfant qui distrait un roi, il l'interrogeait à sa préférence, et la dévotion que lui inspirait ce front lumineux se mêlait de rire et d'impiété quand le jeune homme se sentait forcé d'élever la voix pour satisfaire l'ouïe affaiblie du vieillard.
Il rougissait de s'entendre prononcer à voix si haute des paroles qu’il jugeait insignifiantes et propres à le rendre ridicule, et, contrarié en même temps qu'amusé, il pensait avec impertinence : « Je parle à un homme de génie, mais je parle à un sourd. »
Quelquefois, Corinne venait s'asseoir auprès de son père et d'Antoine Arnault. Dans ces instants-là, Antoine souhaitait que, par une chance qu'il ne prévoyait pas bien, l'homme admirable l'entretînt du petit livre dont il était si fier, et pour lequel, d'ailleurs, son hôte l'avait complimenté et attiré chez lui. Mais il ne lui en reparlait jamais, et, un jour qu'Antoine avait fait allusion à un épisode qui s'y trouvait conté, il avait surpris le regard du maître distrait et insensible. Le jeune homme eût aimé attirer l'attention de Corinne et l’éblouir. Que pouvait-il faire pour gagner sa' sympathie ? Généralement, il lui disait, vers le milieu de la journée : « Je vais travailler. » Elle souriait et ne s'étonnait pas. Une fois, il lui dit :