23/11/2012

582; Promeneuse - A Jean Moreas - Ma sagesse déjà

PROMENEUSE


Tu marchais sous le ciel nocturne,
A l'heure où perlent les grillons,
Près d'un compagnon taciturne ;
Tu parlais à ce compagnon.

On sentait que son lourd silence
S'emparait amoureusement
De ta plaintive violence
Qui montait vers le firmament.

Disais-tu à l'homme qui t'aime
Tes regrets, tes vœux, ton ennui ?
— Ame solitaire quand même,
Tu te racontais à la nuit !

A JEAN MOREAS

En souvenir de la première lettre que j'ai reçue de lui.

A l'âge où l'innocence et la fierté permettent
Qu'on ignore le prix des mots les plus touchants,
Et qu'on soit sans piété devant les plus beaux chants
Vous m'aviez appelée « Abeille de l'Hymette » ;

Et je lisais ces mots, que votre encre d'azur
Traçait sur un papier couleur de jaune aurore,
Et, sans me retourner vers votre cœur sonore,
Je m'en allais, d'un pas plus dansant et plus sûr.

Ainsi l'adolescence étourdie et joyeuse
Ne distingue pas bien les fronts essentiels ;
Mais je parlais de vous d'une voix orgueilleuse,
Ayant un même sang et sous un même ciel.

Et puis, un jour, la Parque, en sa calme inconstance,
Détourna de mes yeux son clair regard qui rit,
Alors, ô fils des Grecs, ô pâtre de Paris,
Je me suis appuyée au marbre de vos stances.

En vain l'ample cité dont la nuit s'emparait
Voilait vos pas errants que l'ombre facilite,
Mon esprit poursuivait, ô mon sombre Hippolyte,
Votre stoïque ennui et ses amers secrets,

A présent, je vous dois la songeuse habitude
De mêler à mon sort vos poèmes hautains,
Et de n'être jamais seule en ma solitude
Quand je bois la ciguë horrible du Destin...

Quand la mer Ionienne et la mer de Candie
Enveloppaient de vent et d'azur nos aïeux,
Déjà la Destinée assurée et hardie
Nous montrait d'autres deux.

Nous vînmes du pays délicat et suave
Où le temple est étroit, où les dieux sont petits,
Où la douleur est sage, où la prudence est brave.
Où l'ordre est consenti.

Ainsi, tout composé de baume et de mémoire,
Votre esprit, désormais fidèle au sol gaulois,
Offrit pieusement à la fougueuse Histoire
L'harmonie et les lois.

Puisse la mer tarir avant que ne se taise,
- O voyageur guidé par les vents ioniens, —
Le murmure que font, sur les rives françaises,
Votre flot et le mien !

MA SAGESSE DEJA...

Ma sagesse déjà habite les tombeaux ;
Mon effort résigné dès longtemps se prépare
A loger dans la terre acre, réduite, avare,
Ce cœur à qui tout fut si cruel et si beau.

Tant d'yeux se sont éteints que survivre m'accable.
Quand parfois la douceur d'une heure délectable
Vient encor m'éblouir dans les midis d'été,
Je souris, sans y croire, à sa vaine bonté.

Et cependant, malgré d'indicibles tortures,
Je n'abrégerai pas mes adieux, ù nature,
A ton visage ardent, distrait et sensuel.
Car j'étais infinie et j'aimais ce qui dure.
Et j'avais tout choisi pour un temps éternel...

Les Forces Eternelles