20/11/2012

568. Le voyage























Quand les jours sont pareils sur un même horizon,
Et que le paysage étend sa même fresque,
Je songe à vous, voyage ! adieux à la maison,
Espoir de nouveaux ciels, de cinquième saison,
Projets dansants ainsi qu'une longue arabesque...
— Ah ! que vous me plaisiez, suave déraison.
Chapeaux de Walter Scott, plumage romanesque,
Les livres de Musset pris au dernier moment,
Les manteaux à carreaux, l'odeur de la valise.
L'ombrelle et l'éventail, et l'emmitouflement,
Comme si le climat qui transit ou qui grise
Commençait dans les trains ! Puis ce pressentiment
Vague, présomptueux, clandestin, créateur,
De trouver un loyal et rassurant bonheur
Au rendez-vous donné par la ville étrangère...

— Lorsque tu t'en allais pour quitter ton ennui,
Chère âme, à cette époque heureuse et mensongère
De la jeunesse, à qui nulle douleur ne nuit
Tant l'espoir est entier! Quand tu partais, si grave
Que Ton plaignait ton sort, que tu te croyais brave,

Ah ! tu n'ignorais pas, en ton instinct puissant.
Que la joie est toujours conseillère du sang
Pour la fortuite et sûre et perpétuelle ivresse !
Comme un pollen porté par le vent, ta détresse
Flottait sur tant d'espace ouvert et traversé !
Les cris des trains, pareils à des bras dispersés,
Ressemblaient à ton cœur; tes rêveuses prunelles
Contemplaient l'horizon, flagellé et chassé
Par le vent, qui, cherchant ton visage oppressé,
Faisait bondir sur toi ses fluides gazelles !
— Et puis on arrivait. Fiers regards imprudents
Vers le puissant hasard, qui en tous lieux attend
La douleur qui se plaint, se démasque et se nomme :
Douleur, nom du désir et du rêve des hommes !
Commencement d'un neuf et consolant exploit.
O chemins inconnus ! ô fontaines de Rome !
Fleuve du ciel gisant dans les canaux des toits.
Visages révélés, destin qui se propose...
Mais j'accepte à présent de plus austères lois ;
Je crains trop le plaisir auquel un cœur s'expose,
Partir, c'est espérer, c'est exiger, je n'ose
Souhaiter que ma vie ait cette force encor
De toujours provoquer le désir et la mort,
Et d'inviter sans fin la Nature infidèle
A vaincre un cœur plus fier et plus vivace qu'elle !...

Les Forces Eternelles