17/11/2012

538. Ode à un coteau de Savoie

Espiègle soleil, tu ris
Sur la sourcière prairie,
Où trois, quatre sources jettent
Leur eau tintante et replète,
Qui gonfle, et vient humecter
L'herbeux tapis de l'été !
— Les petits arbres fruitiers
Sont posés tout de travers
Sur ce coteau lisse et vert !
Un neuf et frêle poirier,
Par ses feuilles sans repos.
Pépie autant qu'un oiseau :
Il frémit, babille, opine,
Sous la brise la plus fine.
Quand, le soir, la lune nette
Le peinture d'argent clair,
Il fait, dans le calme éther,
Un bruit frais de castagnettes !
J'entends ce bruit d'arbre et d'eau
Qui s'obstine et se dépense
Comme si le monde immense
Et les vents qui montent haut
Recherchaient la confidence
De l'humble et faible coteau !

— O petite bosse verte
Que le soleil illumine,
Renflement des prés inertes,
Frère cadet des collines,
Coteau dont nul ne saurait
Le vif et pimpant secret.
Si mon œil, en qui tout chante.
N'avait posé sa folie,
Sa foi, sa mélancolie.
Sur ta mollesse penchante.
J'aime tes airs sérieux !
— Petit fragment sous les cieux
De l'univers qui tourmente,
Toi, fier des sources ailées.
De tes hautes roses menthes
Dont les tiges sont mêlées
A l'absinthe crêpelée.
Toi, laborieux autant
Qu'un moulin qui, tout le temps,
Fait mouvoir sa forte roue,
Toi qui travailles et joues,
Ne devrais-je pas aussi
Plier parfois mon souci
A des tâches coutumières ?
Mais, cher coteau, je ne puis !
Il faut à mon âme fière
Tout l'univers pour appui !
Non, je ne suis pas modeste,
Je n'ai pas d'humble devoir,
Tous mes rêves, tous mes gestes
Ont les matins et les soirs
Pour témoins sûrs et célestes !

— Que veux-tu, j'ai, tout enfant.
Dans le soleil et le vent,
Gravi un secret chemin,
Où ne passe nul humain ;
Un chemin où nul ne passe.
Car il n'a, en plein espace.
Ni bornes, ni garde-fou,
Ni discernable milieu.
Ceux qui franchissent ces lieux
Rendent les humains jaloux !
L'on subit grande torture
Sur ces sommets de Nature !
Plus jamais l'on n'est pareil
A ce qui vit sur la terre.
Mais on est un solitaire
A qui parle le soleil !

Jamais plus l'on ne ressemble
A tous ceux qui vont ensemble
Travaillant, riant, dormant;
On rêve du firmament,
Même aux bras de son amant.
Jamais plus l'on n'est joyeux.
Mais l'on est ivre ! Parfois
On est un martyr en croix,
D'où coulent des pleurs de sang,
Et l'on n'a plus d'envieux...
Mais on est un cœur puissant,
Et l'on appartient aux dieux !

Les Forces Eternelles