07/04/2011
202. "O mon ami, sois mon tombeau !"
O mon ami, sois mon tombeau,
La jeune terre étincelante
Et les jours d'été sont trop beaux
Pour une âme à jamais dolente!
Je crains les regrets et l'espoir;
Laisse-moi rentrer dans ton ombre,
Comme les collines du soir
Rejoignent la nuit ferme et sombre.
Avec un coeur si lourd, si lent,
Que veux-tu qu'aujourd'hui je fasse
Du parfum des marronniers blancs,
Et des promesses de l'espace ?
Je sais ce qu'un soir lisse et pur
A bu de plaisirs et de peines!
Les corbeaux flottent sur l'azur
Comme un mol feuillage d'ébène.
Partout quel opulent loisir,
Quelle orgueilleuse confiance
Qui joint les appels du désir
Aux sécurités du silence !
Les oiseaux, dans le doux embrun
De l'éther rose et des ramées,
Sont légers comme des parfums
Et glissent comme des fumées;
On entend leurs limpides voix
Incruster de cris et de rires
Le ciel qui passe sur les bois
Comme un lent et pompeux navire.
-Mais je sais bien que vous mourrez,
Et que moi, si riche d'envie,
Je dormirai, le coeur serré,
Loin de la dure et sainte vie;
Toutes les musiques des airs,
Tous ces effluves qui s'enlacent
Fuiront le souterrain désert
Où le temps ne luit ni ne passe;
Et nous serons ce bois des morts,
Ces branches sèches et cassées
Pour qui les jours n'ont plus de sort,
Pour qui toute chose est cessée !
Et pourtant mon coeur éternel,
Et sa tendresse inépuisable,
Plus que l'Océan n'a de sel,
Plus que l'Egypte n'a de sable,
Contenait les mille rayons
De toutes les aubes futures...
-Être un jour ce mince haillon
Qui gît sous toute la Nature !