12/04/2011

267. "Les manes de Napoléon"


On voit un blanc jardin et des pelouses vertes.
Le jour d'été nous suit par les portes ouvertes,
Et visite avec nous le dôme nébuleux.
Le vitrage répand des flots de rayons bleus
Pareils à la lueur des campagnes d'Egypte.
Des étrangers, autour de la muette crypte,
Contemplent, le visage appuyé sur leurs mains,
Cette cendre d'un dieu resté chez les humains.
Lourd comme un noir canon d'où s'envole la poudre
On voit luire l'autel, couleur d'encre et de foudre,
Où l'on peut méditer, toucher, goûter l'honneur,
Vif comme l'onde, et chaud comme sous l'Equateur !
Pour un esprit qui songe un tel lieu doit suffire.
O héros endormi dans le bloc de porphyre,
En vain, dans l'univers, nous recherchions vos pas:
Vous embrassez le monde, il ne vous contient pas.
Sous les palmiers du Nil, sur l'or mouillé des sables,
Vos pas victorieux restaient insaisissables.
Dans les bleuâtres soirs du parc de Malmaison,
Votre ombre erre toujours par delà l'horizon.
Mais la mort déférente, assoupie et sans borne
Est assez vaste, enfin, pour votre face morne.
On contemple, effrayé: ce lit pourpre et puissant
Enferme ce qui fut votre âme et votre sang.
Et vous êtes là, vous à qui l'on ne peut croire
Tant vous êtes encore au-dessus de la gloire !
De quel esprit serein, de quel orgueil content,
Je songe qu'à jamais vous emplissez le temps,
Et que l'orgueil sacré peut laisser choir à terre,
Dans ce temple français de la Victoire Aptère,
Ces ailes que l'on vit sur toutes les cités,
Epandre leur tempête et leur témérité !
Je pense à votre grand retour de l'île d'Elbe;
Les blancs oiseaux des mers, les alcyons, les grèbes,
Chauds de soleils, pareils à des aigles d'argent
Vous suivaient sur la mer où vous alliez, songeant.
Quand vous êtes venu, seul, et jetant vos armes,
Les faces des soldats se couvrirent de larmes.
Ainsi vit-on, un jour, jaillir et s'épancher
L'eau vive que Moïse arrachait du rocher !
Avançant lentement par Cannes, par Grenoble,
Vous marchiez tout le jour; prévoyant, calme, noble;
Invincible, isolé, sûr comme le destin,
Vous reposant le soir, repartant le matin,
Distribuant déjà vos faveurs et vos ordres,
Recevant les baisers de ceux qui voulaient mordre
Et trouvant, ô miracle éclatant en un jour,
Une immense contrée avec un seul amour !
Et Paris enivré autour de vous se presse.
Vous êtes soulevé par sa sainte caresse:
Vous avancez debout, porté de main en main,
Blanche idole, pesant sur tout l'amour humain.
Vous passiez, entrouvrant la foule opaque et lisse,
Comme un vaisseau bombé sur une mer propice;
Vous alliez, les deux bras étendus, les yeux clos,
Statue au front doré qu'on soulève des flots;
Héros dont on célèbre un vivant centenaire !
Votre nom sous l'azur roulait comme un tonnerre
Qui tranche les sommets et remplit les vallons.
Un de vos maréchaux, marchant à reculons
Devant les Tuileries flambantes comme une arche,
Gravissant l'escalier devant vous, marche à marche,
Joyeux, vague, extatique, éperdu, sombre et doux,
Répétait tendrement: «C'est vous ! c'est vous ! c'est vous !»
Mais vous, seul, au-dessus du flot qui vous assaille,
N'ayant pas de témoin qui fût à votre taille,
Contemplant l'horizon d'où les dieux sont absents,
De quel aride coeur goûtiez-vous cet encens ?
Le temps passa, lugubre. Un soir on vint descendre,
Dans cette arène vaste et basse, votre cendre.
On mit un grand soleil autour de ce repos.
Comme un bouquet de lis déchirés, les drapeaux
Chez les rois arrachés, dans vos rudes conquêtes,
Fleurirent saintement le silence où vous êtes.
Et depuis, chaque jour, courbés, baissant le front,
Les hommes étonnés, muets, errent en rond,
Ainsi qu'une pensive et vague sentinelle,
Autour du puits où dort votre cendre éternelle.
-Quand meurent des héros, la piété des humains
Leur élève au sommet fascinant des chemins
Un tombeau clair, altier, imposant, qui s'érige,
Et marque hautement la gloire du prodige;
Et le passant alors, surpris, levant les yeux,
Honore le front haut cet esprit radieux.
Mais vous, plus grand qu'eux tous dans la sublime histoire,
Vous avez cette étrange et solennelle gloire
Par qui tous les orgueils sont brisés tout à coup,
Qu'il faille se pencher pour regarder sur vous.