Heidelberg et le Neckar (source non connue)
Henri Heine, j'ai fait avec vous un voyage,
C'était un soir d'automne, encor tiède, encor clair;
Heidelberg fraîchissait sous ses rouges feuillages,
Nous cherchions, dans la rue aux portails entr'ouverts,
L'humble hôtel, romantique et vieux, du Chasseur Vert.
Je reposais sur vous, compagnon invisible,
Ma tête languissante et mes cheveux défaits;
Un souriant vieillard marchait, lisant la Bible,
Sur la place où le jour, lumineux et sensible,
Jetait un long appel de désir et de paix...
C'était l'heure engourdie où le soleil s'incline;
Par un mortel besoin de pleurer et de fuir,
J'ai souhaité monter sur la verte colline;
Nous nous sommes ensemble assis dans la berline
Où flottait un parfum de soierie et de cuir,
Et nous vîmes jaillir les romanesques ruines.
Sur la terrasse, auprès de la tour en lambeaux,
Des étudiants riaient avec vos bien-aimées.
Je regardais bondir les délicats coteaux
Qui frisent sous le poids des vignes renommées,
Et l'espace semblait à la fois vaste et clos.
Le Neckar, au courant scintillant et rapide,
Entraînait le soleil parmi ses fins rochers.
Nous étions tout ensemble assouvis et avides;
L'insidieux automne avait sur nous lâché
Ses tourbillons de songe et ses buis arrachés...
O sublime, languide, âpre mélancolie
Des beaux soirs où l'esprit, indomptable et captif,
Veut s'enfuir et ne peut, et rêve à la folie
D'enfermer l'univers dans un amour plaintif!
Tout à coup, dans le parc public, humide et triste,
L'orchestre qui jouait sur les bords de l'étang,
Près d'un groupe attentif de studieux touristes,
Lança le son du cor qui chante dans Tristan...
Henri Heine, j'ai su alors pourquoi vos livres
Regorgent de buée et de soudains sanglots,
Pourquoi, riant, pleurant, vous voulez qu'on vous livre
La coupe de Thulé qui dort au fond des flots;
L'amour de la légende et la vaine espérance
Vous hantaient d'un appel sourdement répété:
Hélas ! Vous aviez trop écouté, dès l'enfance,
Les sirènes du Rhin, à Cologne et Mayence,
Quand l'odeur des tilleuls grise les nuits d'été !
Voyageur égaré dans la forêt des fables,
Moqueur désespéré qu'un mirage appelait,
Ni le chant de la mer d'Amalfi sur les sables,
Ni la Sicile, avec l'olivier et le lait,
Ne pouvait retenir votre vol inlassable,
Pour qui l'espace même est un trop lourd filet !
O soirs de Düsseldorf, quand les toits et leur neige
Font un scintillement de cristal et de sel,
Et que, petit garçon qui rentrait du collège,
Vous évoquiez déjà, rêveur universel,
L'oriental aspect de la nuit de Noël !
Pourtant vous goûtiez bien la sensible Allemagne,
Les muguets jaillissant dans ses bois ingénus,
L'horloge des beffrois, dont les coups accompagnent
Les rondes et les chants des filles aux bras nus;
Vous connaissiez le poids sentimental des heures
Qui semblent fasciner l'errante volupté,
Quand l'or des calmes soirs recouvre les demeures,
Les gais marchés, le Dôme et l'Université;
Mais, fougueux inspiré, fier ami des naïades,
Les humaines amours vous berçaient tristement,
Et vous trouviez, auprès d'une enfant tendre et fade,
La double solitude où sont tous les amants!
Accablé par la voix des forêts mugissantes,
Vous inventiez Cordoue, ses palais et ses bains,
La fille de l'alcade, altière et rougissante,
Qui, trahissant son âme offerte aux chérubins,
Soupire auprès d'un jeune et dédaigneux rabbin...
Les frais torrents du Hartz et la mauresque Espagne
Tour à tour enivraient votre insondable esprit.
Que de pleurs près des flots ! de cris sur la montagne !
Que de lâches soupirs, ô Heine! que surprit
La gloire au front baissé, votre sombre compagne!
Parfois, vers votre coeur, que brisaient les démons,
Et qui laissait couler sa détresse infinie,
Vous sentiez accourir, par la brèche des monts,
Les grands vents de Bohême et de Lithuanie;
Les cloches, les chorals, les forêts, l'ouragan,
Qui composent le ciel musical d'Allemagne,
Emplissaient d'un tumulte orageux, où se joignent
Les résineux parfums des arbres éloquents,
Vos Lieder, à la fois déchirés et fringants.
Mais quand le vent se tait, quand l'étendue est calme,
Vous repoussez le verre où luit le vin du Rhin;
Le Gange, les cyprès, la paresse des palmes
Vous font de longs signaux, secrets et souverains;
Et votre œil fend l'azur et les sables marins,
Immobile, extatique et vague pèlerin !
Vous riez, et tandis que tinte votre rire,
Vos poèmes en pleurs invectivent le sort;
Vous chantez, justement, de ne pas pouvoir dire
Les sources et le but d'un multiple délire,
Rossignol florentin, Grèbe des mers du Nord,
Qui mélangez au thym du verger de Tityre
Les gais myosotis des matins de Francfort.
J'ai vu, un soir d'automne, au bord d'un chaud rivage,
Un grand voilier, chargé de grappes de cassis,
Ne plus pouvoir voguer, tant le faible équipage,
Captif sous un réseau d'effluves épaissis,
Gisait, transfiguré par le philtre imprécis
D'un arome, grisant plus encor qu'un breuvage.
O Heine ! ce parfum languissant et fatal,
Cette vigne éthérée et qui pourtant accable,
N'est-ce pas le lointain et pressant idéal
Qui vous persécutait, quand de son blanc fanal
La lune illuminait, dans les forêts d'érables,
Vos soupirs envolés vers sa joue de cristal!
Vous me l'avez transmis, ce désir des conquêtes,
Cet enfantin bonheur dans les matins d'été,
Ce besoin de mourir et de ressusciter
Pour le mal que nous fait l'espoir et sa tempête;
Vous me l'avez transmis, ô mon brûlant prophète,
Ce céleste appétit des nobles voluptés !
O mon cher compagnon, dès mes jeunes années
J'ai posé dans vos mains mes doigts puissants et doux;
Bien des yeux m'ont déçue et m'ont abandonnée,
Mais toujours vos regards s'enroulent à mon cou,
Sur le chemin du rêve où je marche avec vous.
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Henri Heine in Wikipédia (extraits) : Christian Johann Heinrich Heine ou Henri Heine, est né le 13 décembre 1797 à Düsseldorf sous le nom de Harry Heine et mort le 17 février1856 à Paris, est un des plus importants poètes et journalistes allemands du XIX siècle Heine est né de parents juifs ; sa mère était issue d’une famille de banquiers et d’érudits, juifs libéraux, qui avait quitté les Provinces-Unies à la fin du XVIIe siècle, et son père d’une famille de marchands du nord de l’Allemagne, juifs orthodoxes. Il est encore adolescent quand il écrit ses premiers poèmes d’amour. Il s'est épris d’une de ses cousines, Amalie, la fille de l’oncle Salomon, qui sera son mécène.
Il fait des études de droit dans plusieurs universités : à Bonn et Göttingen, à Berlin où il est l'élève de Hegel et où il publie son premier recueil de vers. Il obtient son doctorat en 1825.
Suivirent ses pérégrinations en Allemagne d'où surgirent ses Tableaux de voyage (Reisebilder) en 1826. C’est sa naissance littéraire, un mélange à sa façon de choses vues et de réflexions où il devient son principal personnage. Du coup, le voilà journaliste aux Neue Allgemeine Politische Annalen : «Moi, dont l’occupation favorite est d’observer le passage des nuages, de tendre l’oreille aux secrets, il m’a fallu exposer les intérêts de l’époque, attiser des aspirations révolutionnaires». Heine passa sa vie tiraillé par les éléments incompatibles de ses identités juive et allemande, notamment pour ce qui concernait l'accès aux chaires universitaires, une ambition secrètement caressée par Heine.
En 1827, il voyage en Angleterre, puis il s'installe à Munich. En 1828, il voyage en Italie et séjourne en Toscane. Puis, il s'installe à Hambourg en 1830. En 1831, il s'installe à Paris, où il devient le plus fêté des Allemands. En 1833, il publie ses premiers articles sur l'Allemagne dans La Revue des Deux Mondes.
Grand arpenteur de la ville, il est un piéton baudelairien avant l’heure, y compris dans la fréquentation des prostituées. En 1834, il se met en ménage avec Augustine Crescence Mirat, qu’il rebaptise Mathilde et qu'il épouse en 1841. Il fréquente les socialistes utopistes, disciples du comte de Saint-Simon.
En 1843, il se rend en Allemagne, mais le gouvernement a proscrit ses œuvres. Il fait publier Atta Troll: Ein Sommernachtstraum (Un rêve au milieu de l'été). L'année suivante, il fait un deuxième et dernier voyage en Allemagne et publie Deutschland: Ein Wintermärchen (Allemagne : un conte d'hiver). Son ami Karl Marx écrit un article dans sa revue En avant.
En 1848, il devient grabataire, terrassé par la syphilis ou la myopathie. Il revient aussi à la poésie, où s’entremêlent l’élégie, la confession intime, l’espoir politique. En 1854, il publie un article "Les Aveux du Poëte" dans La Revue des Deux Mondes dans lequel il renie son athéisme et ses idéaux révolutionnaires et qui formera la conclusion de la nouvelle édition du livre De l'Allemagne en 1855. Heinrich Heine est mort le 17 février 1856. Il est inhumé au cimetière de Montmartre à Paris.