11/04/2011
239. "Ceux qui n'ont respiré"
Ceux qui n'ont respiré que les nuits de Hollande,
Les tulipes des champs, les graines des bouleaux,
Le vent rapide et court qui chante sur la lande,
Les quais du Nord jetant leur goudron sur les flots,
Ceux qui n'ont contemplé que les blés et les vignes
Croissant tardivement sous des cieux incertains,
Qui n'ont vu que la blanche indolence des cygnes
Que Bruges fait flotter dans ses brumeux matins,
Ceux pour qui le soleil, au travers du mélèze,
Pendant les plus longs jours d'avril ou de juillet,
Remplace la splendeur des campagnes malaises,
Et les soirs sévillans enivrés par l'œillet,
Ceux-là, vivant enclos dans leurs frais béguinages,
Souhaitent le futur et vague paradis,
Qui leur promet un large et flamboyant voyage
Où s'embarquent les cœurs confiants et hardis.
Mais ceux qui, plus heureux, ont connu votre audace,
O bleuâtre Orient! Incendie azuré,
Prince arrogant et fier, favori de l'espace,
Monstre énorme, alangui, dévorant et doré;
Ceux qui, sur le devant de leur ronde demeure,
Coupole incandescente, opacité de chaux,
Ont vu la haute palme éparpiller les heures,
Qui passent sans marquer leurs pieds sur les cieux chauds,
Ceux qui rêvent le soir dans le grand clair de lune,
Aurore qui soudain met sa robe d'argent
Et trempe de clarté la rue étroite et brune,
Et le divin détail des choses et des gens,-
Ceux qui, pendant les nuits d'ardente poésie,
Egrenant un collier fait de bois de cyprès,
Contemplent, aux doux sons des guitares d'Asie,
Le long scintillement d'un jet d'eau mince et frais,
Ceux-là n'ont pas besoin des infinis célestes;
Nul immortel jardin ne surpasse le leur;
Ils épuisent le temps, pendant ces longues siestes
Où leur corps étendu porte l'ombre des fleurs.
Leur âme nonchalante, et d'azur suffoquée,
Cherche la Mort, pareille à l'ombrage attiédi
Que font le vert platane et la jaune mosquée
Sur le col des pigeons, attristés par midi...