31/03/2010
102. "Un jour, on avait tant souffert"
Un jour, on avait tant souffert, que le coeur même,
Qui toujours rebondit comme un bouclier d'or,
Avait dit: «Je consens, pauvre âme et pauvre corps,
A ce que vous viviez désormais comme on dort,
A l'abri de l'angoisse et de l'ardeur suprême...»
Et l'on vivait; les yeux ne reconnaissaient pas
Les matins, la cité, l'azur natal, le fleuve;
Toute chose semblait à la fois vieille et neuve;
Sans que le pain nourrisse et sans que l'eau abreuve
On respirait pourtant, comme un feu mince et bas.
Et l'on songeait: du moins, si rien n'a plus sa grâce,
Si ma vie arrachée a rejoint dans l'espace
Le morne labyrinthe où sont les Pharaons;
Si je suis étrangère à ma voix, à mon nom;
Si je suis, au milieu des raisins de l'automne,
Un arbre foudroyé que la récolte étonne,
Je ne connaîtrai plus ces supplices charnels
Qui sont, de l'homme au sort, un reproche éternel.
Calme, lasse, le coeur rompu comme une cible,
J'entrerai dans la mort comme un hôte insensible...
Mais les fureurs, les pleurs, les cris, le sang versé,
Les sublimes amours qui nous ont harassés,
Les fauves bondissants, témoins de nos délires,
Ont suivi lentement le doux chant de la lyre
Jusque sur la montagne où nous nous consolions;
Les voici remuants, les chacals, les lions
Dont la soif et la faim nous font un long cortège...
J'avais cru, mon enfant, que le passé protège,
Que l'esprit est plus sage et le coeur plus étroit,
Que la main garde un peu de cette altière neige
Que l'on a recueillie aux sommets purs et froids
Où plane un calme oiseau plus léger que le liège.
Mais hélas ! quel orage étincelant m'assiège ?
Lourde comme l'Asie et ses palais de rois,
Je suis pleine de force et de douleur pour toi !
Les Vivants et les Morts 1907-1913
09/03/2010
101. "L'image"
Source de l'image : http://foxfires.deviantart.com/art/Sleeping-Beauty-49933463
.
Pauvre faune qui va mourir
Reflète-moi dans tes prunelles
Et fais danser mon souvenir
Entre les ombres éternelles.
.
Va, et dis à ces morts pensifs
A qui mes jeux auraient su plaire
Que je rêve d'eux sous les ifs
Où je passe petite et claire.
.
.
Tu leur diras l'air de mon front
Et ses bandelettes de laine,
Ma bouche étroite et mes doigts ronds
Qui sentent l'herbe et le troène,
.
.
Tu diras mes gestes légers
Qui se déplacent comme l'ombre
Que balancent dans les vergers
Les feuilles vives et sans nombre.
.
Tu leur diras que j'ai souvent
Les paupières lasses et lentes
Qu'au soir je danse et que le vent
Dérange ma robe traînante.
.
Tu leur diras que je m'endors
Mes bras nus pliés sous ma tête,
Que ma chair est comme de l'or
Autour des veines violettes.
.
Dis-leur comme ils sont doux à voir
Mes cheveux bleus comme des prunes,
Mes pieds pareils à des miroirs
Et mes deux yeux couleur de lune,
.
Et dis-leur que dans les soirs lourds,
Couchée au bord frais des fontaines,
J'eus le désir de leurs amours
Et j'ai pressé leurs ombres vaines !
Le cœur innombrable, poèmes, Calmann-Lévy, 1901
02/03/2010
100. "C'est là que dort mon coeur"
Anna de Noailles
envoyé par l'auteur
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[...] Une autre image à retenir, et qui hanta durant toute son existence le souvenir du poète : celle du couvent des Clarisses d'Evian, où elle se rendait, le dimanche, avec un plaisir si fort, écrivait-elle en 1913 en se le remémorant, qu'il lui semblait y avoir « failli mourir de la joie de vivre ».
Elle y cherchait moins un lieu de prière qu'un endroit où pût fleurir l'émotion d'y connaître « un lien puissant » qui unit deux êtres même après que se sont évanouies « les sublimes illusions […] saturé de mélancolie, d'espérance sans but et sans moyen, mais qui ne se lasse pas, et que j'appellerais le ciel »
Des raisons liturgiques ont empêché qu'y fût légué son cœur après sa mort. Pour réaliser son vœu de la meilleure façon possible, on le déposa dans le petit cimetière de Publier, en souvenir d'un poème des Forces Eternelles :
Pousse la porte en bois du couvent des Clarisses,
C'est un balsamique relais,
La chapelle se baigne aux liquides délices
De vitraux bleus et violets.
Peut-être a-t-on mis là, comme je le souhaite,
Mon cœur qui doit tout à ces lieux,
A ces rives, ces prés, ces azurs qui m'ont faite
Une humaine pareille aux dieux!
S'il ne repose pas dans la blanche chapelle,
Il est sur le coteau charmant
Qu'ombragent les noyers penchants de Neuvecelle,
Demain montez-y lentement.
Voilà pourquoi, sur le coteau de Publier, à l'ombre d'une stèle qui porte ce vers gravé : "C'est là que dort mon cœur, vaste témoin du monde", la mémoire est fixée jusqu'au moment où « tout siècle sera révolu »
Louis Perche. "Anna de Noailles", page 19 et 20.
099. Citations X.
Voici l’été encor, la chaleur, la clarté,
La renaissance simple et paisible des plantes,
Les matins vifs, les tièdes nuits, les journées lentes,
La joie et le tourment dans l’âme rapportés.
Voici le temps de rêve et de douce folie
Où le coeur, que l’odeur du jour vient enivrer,
Se livre au tendre ennui de toujours espérer
L’éclosion soudaine et bonne de la vie,
Le coeur monte et s’ébat dans l’air mol et fleuri.
La renaissance simple et paisible des plantes,
Les matins vifs, les tièdes nuits, les journées lentes,
La joie et le tourment dans l’âme rapportés.
Voici le temps de rêve et de douce folie
Où le coeur, que l’odeur du jour vient enivrer,
Se livre au tendre ennui de toujours espérer
L’éclosion soudaine et bonne de la vie,
Le coeur monte et s’ébat dans l’air mol et fleuri.
098. Citations IX.
Tout luit, tout bleuit, tout bruit,
Le jour est brûlant comme un fruit
Que le soleil fendille et cuit.
Chaque petite feuille est chaude
Et miroite dans l'air où rôde
Comme un parfum de reine-claude.
Du soleil comme de l'eau pleut
Sur tout le pays jaune et bleu
Qui grésille et oscille un peu.
Un infini plaisir de vivre
S'élance de la forêt ivre,
Des blés roses comme du cuivre.
Le jour est brûlant comme un fruit
Que le soleil fendille et cuit.
Chaque petite feuille est chaude
Et miroite dans l'air où rôde
Comme un parfum de reine-claude.
Du soleil comme de l'eau pleut
Sur tout le pays jaune et bleu
Qui grésille et oscille un peu.
Un infini plaisir de vivre
S'élance de la forêt ivre,
Des blés roses comme du cuivre.
097. Citations VIII.
père de la comtesse de Noailles
Le visage de ceux qu'on n'aime pas encor
Apparaît quelquefois aux fenêtres des rêves,
Et va s'illuminant sur de pâles décors
Dans un argentement de lune qui se lève.
Il flotte du divin aux grâces de leur corps,
Leur regard est intense et leur bouche attentive ;
Il semble qu'ils aient vu les jardins de la mort
Et que plus rien en eux de réel ne survive.
La furtive douceur de leur avènement
Enjôle nos désirs à leurs vouloirs propices,
Nous pressentons en eux d'impérieux amants
Venus pour nous afin que le sort s'accomplisse,
Ils ont des gestes lents, doux et silencieux,
Notre vie uniment vers leur attente afflue :
Il semble que les corps s'unissent par les yeux
Et que les âmes sont des pages qu'on a lues.
096. Citations VII.
095. Citations VI.
Source : http://www.flickr.com/photos/pat83/778368783/sizes/m/
Je ne souhaite pas d'éternité plus douce
Que d'être le fraisier arrondi sur la mousse ,
Dans vos taillis serrés où la pie en sifflant
Roule sous les sapins comme un fruit noir et blanc .
Dormir dans les osiers , près des flots de la Dranse
Où la truite glacée et fluide s'élance ,
Hirondelle d'argent aux ailerons mouillés !
Dormir dans le sol vif et luisant où mes pieds
Dansaient aux jours légers de l'espoir et du rêve !
O mon pays divin , j'ai bu toute ta sève ,
Je t'offre ce matin un brugnon rose et pur ,
Une abeille engourdie au bord d'un lis d'azur ,
Le songe universel que ma main tient et palpe ,
Et mon coeur , odorant comme le miel des Alpes !
Que d'être le fraisier arrondi sur la mousse ,
Dans vos taillis serrés où la pie en sifflant
Roule sous les sapins comme un fruit noir et blanc .
Dormir dans les osiers , près des flots de la Dranse
Où la truite glacée et fluide s'élance ,
Hirondelle d'argent aux ailerons mouillés !
Dormir dans le sol vif et luisant où mes pieds
Dansaient aux jours légers de l'espoir et du rêve !
O mon pays divin , j'ai bu toute ta sève ,
Je t'offre ce matin un brugnon rose et pur ,
Une abeille engourdie au bord d'un lis d'azur ,
Le songe universel que ma main tient et palpe ,
Et mon coeur , odorant comme le miel des Alpes !
01/03/2010
094. Citations V.
Evian. Automne 2009
Hélas, il est fini, le temps divin et tendre
Des parcs éclairés d'un lampion,
De la fable ingénue et si douce à comprendre
De la tortue et du scorpion
Dans la paix du Koran et des métamorphoses
Les perses dorment leur sommeil;
Il en reste plus d'eux que la cendre des roses,
Que la lune et que le soleil.
Mais, du moins sur la terre, aux plus beaux jours du monde
Ils ont bu la douce liqueur
Du désir, des plaisirs, de l'extase profonde,
Au jardin-qui-séduit-le-coeur !
(Eblouissements)
cité par Angela Bargenda,
"La poésie d'Anna de Noailles", page 157
Des parcs éclairés d'un lampion,
De la fable ingénue et si douce à comprendre
De la tortue et du scorpion
Dans la paix du Koran et des métamorphoses
Les perses dorment leur sommeil;
Il en reste plus d'eux que la cendre des roses,
Que la lune et que le soleil.
Mais, du moins sur la terre, aux plus beaux jours du monde
Ils ont bu la douce liqueur
Du désir, des plaisirs, de l'extase profonde,
Au jardin-qui-séduit-le-coeur !
(Eblouissements)
cité par Angela Bargenda,
"La poésie d'Anna de Noailles", page 157
093. Citations IV.
J'écris pour que le jour où je ne serai plus
On sache comme l'air et le désir m'ont plu,
Et que mon livre porte à la foule future
Comme j'aimais la vie et l'heureuse nature.
[...] Et qu'un jeune homme alors, lisant ce que j'écris
Sentant par moi son coeur, ému, troublé surpris,
Ayant tout oublié des épouses réelle,
M'accueille dans son âme et me préfère à elle.
(L'ombre des jours)
cité par Angela Bargenda
"La poésie d'Anna de Noailles", page 72
092. Citations III.
O mes vers assoupis, vous n'êtes pas moi-même,
Vous avez pris ma voix sans prendre mon ardeur,
Les plus logs aiguillons sont restés dans mon coeur
Et nul ne saura rien de ma force suprême !
Ah ! pour vraiment goûter mon ineffable émoi,
Pour connaître mon âme et ce qui fut ma vie,
Il faudrait que l'on m'eût dans les chemins suivie,
A l'heure, ô Poésie, où vous naissiez de moi !
(Eblouissements)
cité par Angela Bargenda
"La poésie d'Anna de Noailles", page 71
Vous avez pris ma voix sans prendre mon ardeur,
Les plus logs aiguillons sont restés dans mon coeur
Et nul ne saura rien de ma force suprême !
Ah ! pour vraiment goûter mon ineffable émoi,
Pour connaître mon âme et ce qui fut ma vie,
Il faudrait que l'on m'eût dans les chemins suivie,
A l'heure, ô Poésie, où vous naissiez de moi !
(Eblouissements)
cité par Angela Bargenda
"La poésie d'Anna de Noailles", page 71
091. Citations II
Je m'éveillais : j'aimais le papier de la chambre;
Je cherchais à savoir s'il faisait beau dehors;
Le soleil aux rideaux collait sa pâte d'or.
J'écoutais le chant calme et pesant que module
La forte, l'obstinée et paisible pendule.
Je me disais « Il est sept heures du matin;
Ce sera tout un jour à courir dans le thym,
Près du merisier rose et près de la cigale,
Tout un jour à goûter la feuille et le pétale,
A poursuivre la joie autour des rosiers ronds,
A danser dans l'azur avec les moucherons,
A s'alanguir soudain dans les bleus paysages,
En sentant que l'on a le plus doux des visages » ...
(Eblouissements)
cité par Claude Mignot-Ogliastri
"Anna de Noailles, une amie de la princesse Edmond de Polignac"
Chapitre : Amphion, la mort, l'Orient, page 39
Je cherchais à savoir s'il faisait beau dehors;
Le soleil aux rideaux collait sa pâte d'or.
J'écoutais le chant calme et pesant que module
La forte, l'obstinée et paisible pendule.
Je me disais « Il est sept heures du matin;
Ce sera tout un jour à courir dans le thym,
Près du merisier rose et près de la cigale,
Tout un jour à goûter la feuille et le pétale,
A poursuivre la joie autour des rosiers ronds,
A danser dans l'azur avec les moucherons,
A s'alanguir soudain dans les bleus paysages,
En sentant que l'on a le plus doux des visages » ...
(Eblouissements)
cité par Claude Mignot-Ogliastri
"Anna de Noailles, une amie de la princesse Edmond de Polignac"
Chapitre : Amphion, la mort, l'Orient, page 39
090. Citations I.
Viens dans le bois feuillu, sous la fraicheur des branches,
O pleureuse irritée et chaude du désir;
La nature infinie et profonde se penche
Sur ceux qui vont s'unir et souffrir de plaisir
(Le Coeur Innombrable. Eva)
O pleureuse irritée et chaude du désir;
La nature infinie et profonde se penche
Sur ceux qui vont s'unir et souffrir de plaisir
(Le Coeur Innombrable. Eva)
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Aux lecteurs : dans les dix messages qui suivent (90 -100) je propose de courtes citations de la Comtesse de Noailles, illustrées par une série de photographies personnelles prise à Evian-les-Bains ou sur les rives du lac Léman.
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