Le goût de l'héroïque et du passionnel
Qui flotte autour des corps, des sons, des foules vives,
Touche avec la brûlure et la saveur du sel
Mon coeur tumultueux et mon âme excessive...
Loin des simples travaux et des soucis amers,
J'aspire hardiment la chaude violence
Qui souffle avec le bruit et l'odeur de la mer,
Je suis l'air matinal d'où s'enfuit le silence;
L'aurore qui renaît dans l'éblouissement,
La nature, le bois, les houles de la rue
M'emplissent de leurs cris et de leurs mouvements;
Je suis comme une voile où la brise se rue.
Ah! vivre ainsi les jours qui mènent au tombeau,
Avoir le coeur gonflé comme le fruit qu'on presse
Et qui laisse couler son arome et son eau,
Loger l'espoir fécond et la claire allégresse !
Serrer entre ses bras le monde et ses désirs
Comme un enfant qui tient une bête retorse,
Et qui mordu, saignant, est ivre du plaisir
De sentir contre soi sa chaleur et sa force.
Accoutumer ses yeux, son vouloir et ses mains
A tenter le bonheur que le risque accompagne;
Habiter le sommet des sentiments humains
Où l'air est âpre et vif comme sur la montagne,
Etre ainsi que la lune et le soleil levant
Les hôtes du jour d'or et de la nuit limpide;
Etre le bois touffu qui lutte dans le vent
Et les flots écumeux que l'ouragan dévide !
La joie et la douleur sont de grands compagnons,
Mon âme qui contient leurs battements farouches
Est comme une pelouse où marchent des lions...
J'ai le goût de l'azur et du vent dans la bouche.
Et c'est aussi l'extase et la pleine vigueur
Que de mourir un soir, vivace, inassouvie,
Lorsque le désir est plus large que le cœur
Et le plaisir plus rude et plus fort que la vie...
Le cœur innombrable, poèmes, Calmann-Lévy, 1901