François Mauriac, né à Bordeaux en 1885, mort à Paris en 1970, auteur d'essais inspirés par sa foi catholique, a atteint la célébrité par ses romans entre les deux guerres mondiales. Ancrés dans une réalité sociale très forte et inscrits dans les paysages naturels des Landes girondines. Le baiser aux lépreux (1922), Génitrix (1923), Thérèse Desqueyroux (1927), le Nœud de vipères (1932) sont à citer comme particulièrement réussis dans une oeuvre magistrale qui s'étend sur un demi-siècle. Par ailleurs, moraliste soucieux de porter un regard chrétien sur l'actualité, François Mauriac sera un journaliste écouté et un polémiste brillant dont les "Bloc-notes", publiés successivement dans le magazine "L'express" puis le quotidien "Le Figaro", vont marquer toute une génération.
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Sources : 1. http://www.routefmauriac.org/mauriac.html
2. http://www.ac-bordeaux.fr/Etablissement/AMonzie/malagar/bio.html
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ANNA DE NOAILLES EST MORTE
1/4. Cette jeune femme illustre prêta sa voix à toute une jeunesse tourmentée. Sa poésie fut le cri de notre adolescence. Auprès des autres, nous cherchions l'apaisement, la lumière; ou nous leur demandions d'être bercés et endormis. Mais elle attirait à soi les passions qui ne veulent pas guérir. Quelle tentation, pour un jeune cœur, que de découvrir Dieu au-delà de l'assouvissement !
Admirée, adorée, chargée et comme accablée de tous les dons humains, elle nous précédait de dix années dans la vie, pour que nous fussions avertis que posséder tout, c'est ne rien avoir, et qu'il ne sert à rien de gagner l'univers. L'univers, elle l'avait pondant capté dans ses poèmes où Venise, Sorrente, la Sicile nous semblaient plus chaudes et plus odorantes que dans le réel. Mais de tous les jardins du monde, elle rapportait les seules herbes nécessaires pour composer le philtre qu'Iseult partage avec Tristan et elle nous le faisait boire. Elle n'a jamais distingué l'amour de la mort. Son exigence débordait infiniment l'amour humain. Dans les poèmes admirables qui ouvrent le recueil les Vivants et les Morts, elle sut nous rendre sensible la fuite de la créature aimée, même tenue et pressée entre nos bras :
Quelque chose de toi sans cesse m'abandonne,
Car rien qu'en vivant, tu t'en vas...
Cette trahison, en pleine fidélité, de l'être qui s'écoule, qui se défait; ce mensonge de la vie, elle fut la première à nous en persuader. Notre vingtième année lui doit d'avoir connu cette disproportion entre le désir du cœur et ce qu'il poursuit jusqu'à épuisement. Il ne servait de rien à notre jeune passion d'atteindre son objet, puisqu’elle n’en épousait jamais les contours. La beauté, enfin appréhendée, ne ressemblait pas à celle -qui nous avait fui :
Je me tairai, je veux, les yeux larges ouverts,
Regarder quel éclat a votre vrai visage,
Et si vous ressembler à ce que j'ai souffert.
Ce défaut de conformité entre l'amour et l'objet de l'amour éveillait en nous une douleur qui, devenait l'amour même, ou du moins, tout ce qu'en dehors de la volupté il nous était donné d'en connaître. Par l'unique douleur, l'amour humain prenait conscience de lui-même, au point que, si nous ne faisions pas souffrir, nous ne savions pas que nous étions aimés. Les amants ne se connaissent qu'au mal qu'ils se font qu'aux coups qu'ils se portent. Toute la misère de l'attachement aux créatures tient dans ce vers impérissable :
La paix qui m'envahit quand c'est vous qui souffrez.
Et cependant, rien n'arrête, puisqu'ils sont vivante, l'incessante dissolution de ces deux corps qui se cherchent. En vain le poète s'efforce-t-il de fixer l'instant et le lien de sa joie :
La terrasse est comme un navire
Qu'il lait chaud sur la mer ce soir !
Rien n'est immobile; tout parapet devient une proue ; la nature entière bouge comme le vaisseau de Tristan et entraîne à la mort le couple éphémère.
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Sources : 1. http://www.routefmauriac.org/mauriac.html
2. http://www.ac-bordeaux.fr/Etablissement/AMonzie/malagar/bio.html
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ANNA DE NOAILLES EST MORTE
1/4. Cette jeune femme illustre prêta sa voix à toute une jeunesse tourmentée. Sa poésie fut le cri de notre adolescence. Auprès des autres, nous cherchions l'apaisement, la lumière; ou nous leur demandions d'être bercés et endormis. Mais elle attirait à soi les passions qui ne veulent pas guérir. Quelle tentation, pour un jeune cœur, que de découvrir Dieu au-delà de l'assouvissement !
Admirée, adorée, chargée et comme accablée de tous les dons humains, elle nous précédait de dix années dans la vie, pour que nous fussions avertis que posséder tout, c'est ne rien avoir, et qu'il ne sert à rien de gagner l'univers. L'univers, elle l'avait pondant capté dans ses poèmes où Venise, Sorrente, la Sicile nous semblaient plus chaudes et plus odorantes que dans le réel. Mais de tous les jardins du monde, elle rapportait les seules herbes nécessaires pour composer le philtre qu'Iseult partage avec Tristan et elle nous le faisait boire. Elle n'a jamais distingué l'amour de la mort. Son exigence débordait infiniment l'amour humain. Dans les poèmes admirables qui ouvrent le recueil les Vivants et les Morts, elle sut nous rendre sensible la fuite de la créature aimée, même tenue et pressée entre nos bras :
Quelque chose de toi sans cesse m'abandonne,
Car rien qu'en vivant, tu t'en vas...
Cette trahison, en pleine fidélité, de l'être qui s'écoule, qui se défait; ce mensonge de la vie, elle fut la première à nous en persuader. Notre vingtième année lui doit d'avoir connu cette disproportion entre le désir du cœur et ce qu'il poursuit jusqu'à épuisement. Il ne servait de rien à notre jeune passion d'atteindre son objet, puisqu’elle n’en épousait jamais les contours. La beauté, enfin appréhendée, ne ressemblait pas à celle -qui nous avait fui :
Je me tairai, je veux, les yeux larges ouverts,
Regarder quel éclat a votre vrai visage,
Et si vous ressembler à ce que j'ai souffert.
Ce défaut de conformité entre l'amour et l'objet de l'amour éveillait en nous une douleur qui, devenait l'amour même, ou du moins, tout ce qu'en dehors de la volupté il nous était donné d'en connaître. Par l'unique douleur, l'amour humain prenait conscience de lui-même, au point que, si nous ne faisions pas souffrir, nous ne savions pas que nous étions aimés. Les amants ne se connaissent qu'au mal qu'ils se font qu'aux coups qu'ils se portent. Toute la misère de l'attachement aux créatures tient dans ce vers impérissable :
La paix qui m'envahit quand c'est vous qui souffrez.
Et cependant, rien n'arrête, puisqu'ils sont vivante, l'incessante dissolution de ces deux corps qui se cherchent. En vain le poète s'efforce-t-il de fixer l'instant et le lien de sa joie :
La terrasse est comme un navire
Qu'il lait chaud sur la mer ce soir !
Rien n'est immobile; tout parapet devient une proue ; la nature entière bouge comme le vaisseau de Tristan et entraîne à la mort le couple éphémère.
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En raison de sa longueur, le texte de François Mauriac
est découpé en quatre parties (63, 64, 65, 66)
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