Cours de Français de M. Bruno Rigolt – Lycée
en Forêt – Montargis (France).
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Publié dans le recueil Les Vivants et les morts (1913), « le Port de Palerme »
témoigne du lyrisme passionné et de la recherche d'une langue pure qui
parcourent les œuvres d'Anna de Noailles. Ainsi, dans ce poème, si la
"muse des jardins" reprend, à travers la contemplation du port et des
bateaux, le thème romantique du voyage, il importe néanmoins de
souligner que cette méditation, par l'idéalisation du réel qu'elle
entreprend, amène finalement le lecteur à investir un monde imaginaire,
partagé entre l'esthétique et la dimension métaphysique.
À partir de l'évocation d'un cadre réaliste qui occupera notre première partie, nous verrons dans un deuxième temps combien la poétesse tend à idéaliser le réel référentiel pour laisser place au rêve et au voyage vers un idéal pur. Nous montrerons enfin dans notre dernier axe que l'empreinte symboliste, habile à gouverner les images, marque profondément ce voyage, tout autant métaphorique que spirituel.
Dans un premier temps, Anna de Noailles procède à une description très concrète du port de Palerme. Dès le premier vers, le réalisme surgit du cadre référentiel, déjà suggéré par le titre ; il s'agit du port de Palerme. Pour son poème, l'écrivaine utilise donc comme « support » un lieu qui existe réellement : la grande ville italienne et portuaire de Palerme, située dans une baie au nord de la Sicile. Cependant, elle circonscrit uniquement sa description à la zone portuaire : « port » (v. 2), « rade », « marine » (v. 6), « vaisseaux » (v. 7). On ne connaît rien de la ville elle-même qui n'est pas évoquée, si ce n'est une brève mention au vers 12. L'auteure commence par décrire l'aspect « extérieur », c'est-à-dire l'activité commerciale et la pauvreté du lieu. Comme n'importe quel port, Palerme est en effet un endroit propice aux échanges manufacturiers, comme en témoigne d'ailleurs le champ lexical du commerce : « marchands » (v.2), « sacs de grains, de farine et fruits » (v.3) : ici on peut noter l'évocation de produits locaux divers, de même que le terme « usine » au vers 9, suggère la fabrication ou la transformation des matières premières.
À partir de l'évocation d'un cadre réaliste qui occupera notre première partie, nous verrons dans un deuxième temps combien la poétesse tend à idéaliser le réel référentiel pour laisser place au rêve et au voyage vers un idéal pur. Nous montrerons enfin dans notre dernier axe que l'empreinte symboliste, habile à gouverner les images, marque profondément ce voyage, tout autant métaphorique que spirituel.
Dans un premier temps, Anna de Noailles procède à une description très concrète du port de Palerme. Dès le premier vers, le réalisme surgit du cadre référentiel, déjà suggéré par le titre ; il s'agit du port de Palerme. Pour son poème, l'écrivaine utilise donc comme « support » un lieu qui existe réellement : la grande ville italienne et portuaire de Palerme, située dans une baie au nord de la Sicile. Cependant, elle circonscrit uniquement sa description à la zone portuaire : « port » (v. 2), « rade », « marine » (v. 6), « vaisseaux » (v. 7). On ne connaît rien de la ville elle-même qui n'est pas évoquée, si ce n'est une brève mention au vers 12. L'auteure commence par décrire l'aspect « extérieur », c'est-à-dire l'activité commerciale et la pauvreté du lieu. Comme n'importe quel port, Palerme est en effet un endroit propice aux échanges manufacturiers, comme en témoigne d'ailleurs le champ lexical du commerce : « marchands » (v.2), « sacs de grains, de farine et fruits » (v.3) : ici on peut noter l'évocation de produits locaux divers, de même que le terme « usine » au vers 9, suggère la fabrication ou la transformation des matières premières.
En outre, ce dispositif référentiel est renforcé par une
description « sonore » qu'il s'agit de qualifier brièvement : « le bruit
que faisaient les marchands » (v.1) suggère par exemple une impression
de mouvement et d'agitation particulièrement réaliste ; les vendeurs
sont si nombreux et bruyants qu'ils semblent former un amas de personnes
« autour des sacs ». Ils manquent de discrétion dans ce lieu éminemment
populaire et très fréquenté. De plus, cet appel au sens auditif se
retrouve aux vers 6 et 8 : « entendais », « les sifflets faisaient un
bruit d'usine » : ici, Anna de Noailles évoque le va et vient bruyant
des bateaux, ceux qui partent du port et ceux qui arrivent à Palerme, ce
qui donne de la vivacité au lieu. Par ailleurs, cette sensation est
accentuée par une description très colorée : l'évocation, « sous un beau
ciel, teinté de splendeur » (v. 5), des produits locaux, notamment les
« fruits » (v. 4) ainsi que la journée ensoleillée, éclatante,
magnifique, propice aux échanges et au commerce, confèrent à la scène
une forte couleur locale.
Ce parti pris très réaliste et assez
inhabituel en poésie s'oppose aux stéréotypes du Romantisme qui utilise
généralement un cadre plus idyllique. À ce titre, l'auteure n'hésite pas
à peindre la pauvreté du lieu : « la rade » devenue « noire »,
peut-être à cause de la pollution, semble manquer d'entretien. Nous
percevons ici un contraste avec les couleurs de la première strophe : le
port, davantage triste et sombre, se perçoit comme l'incarnation d'une
certaine mélancolie : l'écrivaine, qui décrit avec nostalgie la « pauvre
marine » et les « vaisseaux délabrés », montre ainsi ce qu'on pourrait
appeler « l'envers du décor ». De fait, si le port de Palerme est le
pôle central de toute la vie économique, ce milieu commercial et
cosmopolite semble par ailleurs traduire une certaine malhonnêteté de la
société. Les marchands sont en effet « divisés » (v. 3). Par ce terme,
on comprend qu'ils n'ont pas tous les mêmes points de vue : il y a des
rivalités, des tromperies et des tensions, chaque négociant défendant
son propre intérêt « autour des sacs ». De même est-il possible que le
« bruit » dont il est question au vers 2, provienne des disputes ou des
inlassables tractations marchandes. Le port apparaît donc comme un lieu
peu fréquentable : n'est-il pas d'ailleurs question de « fraude » au
vers trois ? Ce non-respect des lois et des droits d'autrui pèse encore
sur l'image de la société palermitaine, fortement marquée par l'emprise
de la mafia et de la corruption.
Sans doute convient-il de noter ici combien cette société est en outre très portée sur le matérialisme. L'oxymore « vieux port goudronné » (opposition entre vieux et goudronné) témoigne en effet du processus de modernisation et d'urbanisation du « vieux port » : on y a construit des routes. Il semble avoir perdu ce qui faisait son charme tout comme « les vapeurs » et « les sifflets » (v. 9) qui font un « bruit d'usine ». Ils paraissent ainsi associés à une société urbaine et spéculative qui détruit l'harmonie pour produire toujours plus. La vente « des sacs de grain, de farine et de fruits » (v. 4) et la « fraude » (v. 4) traduisent à cet égard un goût particulier pour l'argent et le lucre. Mais si Anna de Noailles fait prévaloir une vision critique du monde qui l'entoure, elle éprouve également de la compassion pour cette population à la gouaille populaire qui arpente les quais ou flâne le long du port.
Elle évoque ainsi au vers cinq les langueurs des pays chauds où tout semble « teinté... d'ennui ». Le vers se fait l'écho quelque peu nostalgique de ces longues journées d'été « où le soir est si lent à venir... » (v. 10). Par l'emploi de l'intensif « si » et des points de suspension, l'auteure insiste en effet sur la durée du jour, qui paraît sans fin... De plus, comme le montre l'emploi du présent de vérité générale, cette scène prend une valeur omnitemporelle : il semble en être ainsi de tous les jours : habitude, répétition des mêmes scènes, des mêmes bruits... Cette valeur d'indéfini est également renforcée par le très beau rythme du vers : "Dans ces cieux/où le soir/est si lent/à venir". Ce rythme quaternaire crée une syntaxe presque chantante qui est comme une invitation au voyage. Les allitérations en [r] et en [s] ajoutent à cet égard une sensation tactile qui, en apportant de la douceur, semble presque susurrer à notre oreille toute la sympathie qu'Anna de Noailles porte envers la société palermitaine. À partir de ces éléments concrets, l'auteure peint donc un univers référentiel qu'elle parvient progressivement à métamorphoser et à idéaliser grâce au pouvoir évocateur de la poésie.
Sans doute convient-il de noter ici combien cette société est en outre très portée sur le matérialisme. L'oxymore « vieux port goudronné » (opposition entre vieux et goudronné) témoigne en effet du processus de modernisation et d'urbanisation du « vieux port » : on y a construit des routes. Il semble avoir perdu ce qui faisait son charme tout comme « les vapeurs » et « les sifflets » (v. 9) qui font un « bruit d'usine ». Ils paraissent ainsi associés à une société urbaine et spéculative qui détruit l'harmonie pour produire toujours plus. La vente « des sacs de grain, de farine et de fruits » (v. 4) et la « fraude » (v. 4) traduisent à cet égard un goût particulier pour l'argent et le lucre. Mais si Anna de Noailles fait prévaloir une vision critique du monde qui l'entoure, elle éprouve également de la compassion pour cette population à la gouaille populaire qui arpente les quais ou flâne le long du port.
Elle évoque ainsi au vers cinq les langueurs des pays chauds où tout semble « teinté... d'ennui ». Le vers se fait l'écho quelque peu nostalgique de ces longues journées d'été « où le soir est si lent à venir... » (v. 10). Par l'emploi de l'intensif « si » et des points de suspension, l'auteure insiste en effet sur la durée du jour, qui paraît sans fin... De plus, comme le montre l'emploi du présent de vérité générale, cette scène prend une valeur omnitemporelle : il semble en être ainsi de tous les jours : habitude, répétition des mêmes scènes, des mêmes bruits... Cette valeur d'indéfini est également renforcée par le très beau rythme du vers : "Dans ces cieux/où le soir/est si lent/à venir". Ce rythme quaternaire crée une syntaxe presque chantante qui est comme une invitation au voyage. Les allitérations en [r] et en [s] ajoutent à cet égard une sensation tactile qui, en apportant de la douceur, semble presque susurrer à notre oreille toute la sympathie qu'Anna de Noailles porte envers la société palermitaine. À partir de ces éléments concrets, l'auteure peint donc un univers référentiel qu'elle parvient progressivement à métamorphoser et à idéaliser grâce au pouvoir évocateur de la poésie.
C'est
en effet par le rêve et surtout par l'idéalisation du réel, que s'opère
le passage de l'expérience sensible de la vie concrète à son
idéalisation, caractéristique de l'entreprise symboliste en tant
qu'expression d'une poésie vers un Idéal pur, seule capable de figurer
le mystère de l'âme.
Alors qu'elle semblait porter un regard quelque peu hautain sur cette société palermitaine, Anna de Noailles change progressivement de point de vue en contemplant les bateaux qui s'éloignent de la terre. Ainsi au vers six, la vue du port, et plus particulièrement son côté simple, pauvre et misérable, semble comme une révélation qu'il y a quelque chose d'essentiel dans cette contemplation : « J'aimais la rade noire et sa pauvre marine ». Sentiment qui va s'intensifier puisque la poétesse finira même par « fondre d'amour » au vers treize devant ce paysage. Idéalisation de la réalité disions-nous, tant il est vrai que chez les poètes symbolistes, la poésie est seule capable de recréer le réel : témoin ces « vaisseaux délabrés » au vers sept : l'emploi du mot légendaire « vaisseaux », est comme une métamorphose : les bateaux sont ainsi présentés dans toute leur puissance, comme ils l'étaient sans doute auparavant. Bien qu'ils soient au contraire en ruines et « délabrés », ils sont magnifiques aux yeux de la poétesse car ils sont les représentants du voyage qu'ils traduisent en symboles. Leur état n'a donc pas d'importance, elle n'a pas le souci du matériel, ce qui compte c'est ce qu'ils évoquent, les émotions et les idées qu'ils suscitent. Tout est allégorique : c'est en effet à travers leur contemplation que commence l'évasion de la poétesse vers l'imaginaire : n'emploie-t-elle pas par la suite des mots de plus en plus abstraits et immatériels tels que « vapeurs » ou « cieux » (v.9) ?
On remarque également une évocation des sentiments : « cœur humain » au vers huit ou « fondait d'amour » au vers treize donnent toute sa valeur au registre lyrique, en chargeant l'acte d'écriture d'une totale communion avec la nature : « comme un nuage crève » (v. 13). N'est-ce pas le sens profond de la poésie qui apparaît à travers le lexique des sensations : « je sentais s'ouvrir » écrit Anna de Noailles, comme pour nous faire éprouver, à travers cette impression de plénitude et de bien-être, la fin véritable de toute poésie : la quête idéiste de la pureté. On pourrait faire remarquer combien, dans la dernière strophe, les éléments concrets ont presque totalement disparu, il ne reste plus que « la ville » et « le port » (v. 12), qui laissent eux-mêmes place à l'immatérialité du « vent ». D'abord hésitant, il finit en effet par s'imposer sur la ville. L'imaginaire est finalement total dans les trois derniers vers : « J'avais soif d'un breuvage... » (v. 14). Ici, l'expression qui fait penser à un être altéré d'une soif violente, revêt un sens très fort, qui connote le désir certes, mais un désir ardent, qui n'est pas réel.
De plus, de simples citernes exposées sur le port, se transforment en « citernes du rêve » (vers 16). Par cette métaphore, celles-ci semblent permettre l'accès à l'imaginaire et à l'idéal ; elles s'ouvrent à la poétesse « en cercles infinis » (v.15), oxymore s'il en est, qui traduit l'absence de tout rationalisme : un cercle ne saurait en effet être infini, il désigne ici la forme ronde des citernes. Le lecteur aura relevé le symbolisme bien connu du cercle, caractéristique du voyage mystique à travers l'espace et le temps. C'est donc par le truchement de la contemplation du port et de la mer devenue « désert d'azur » (v. 16) qu'Anna de Noailles s'évade pour parvenir à la quête de Soi : l'impression d'infinité et de beauté est donc essentielle. La description réaliste du port de Palerme, par une idéalisation et une allégorie du concret, s'est transformée peu à peu en un univers imaginaire, qui est celui du rêve, mais plus fondamentalement, en une quête idéale de la Vérité.
Alors qu'elle semblait porter un regard quelque peu hautain sur cette société palermitaine, Anna de Noailles change progressivement de point de vue en contemplant les bateaux qui s'éloignent de la terre. Ainsi au vers six, la vue du port, et plus particulièrement son côté simple, pauvre et misérable, semble comme une révélation qu'il y a quelque chose d'essentiel dans cette contemplation : « J'aimais la rade noire et sa pauvre marine ». Sentiment qui va s'intensifier puisque la poétesse finira même par « fondre d'amour » au vers treize devant ce paysage. Idéalisation de la réalité disions-nous, tant il est vrai que chez les poètes symbolistes, la poésie est seule capable de recréer le réel : témoin ces « vaisseaux délabrés » au vers sept : l'emploi du mot légendaire « vaisseaux », est comme une métamorphose : les bateaux sont ainsi présentés dans toute leur puissance, comme ils l'étaient sans doute auparavant. Bien qu'ils soient au contraire en ruines et « délabrés », ils sont magnifiques aux yeux de la poétesse car ils sont les représentants du voyage qu'ils traduisent en symboles. Leur état n'a donc pas d'importance, elle n'a pas le souci du matériel, ce qui compte c'est ce qu'ils évoquent, les émotions et les idées qu'ils suscitent. Tout est allégorique : c'est en effet à travers leur contemplation que commence l'évasion de la poétesse vers l'imaginaire : n'emploie-t-elle pas par la suite des mots de plus en plus abstraits et immatériels tels que « vapeurs » ou « cieux » (v.9) ?
On remarque également une évocation des sentiments : « cœur humain » au vers huit ou « fondait d'amour » au vers treize donnent toute sa valeur au registre lyrique, en chargeant l'acte d'écriture d'une totale communion avec la nature : « comme un nuage crève » (v. 13). N'est-ce pas le sens profond de la poésie qui apparaît à travers le lexique des sensations : « je sentais s'ouvrir » écrit Anna de Noailles, comme pour nous faire éprouver, à travers cette impression de plénitude et de bien-être, la fin véritable de toute poésie : la quête idéiste de la pureté. On pourrait faire remarquer combien, dans la dernière strophe, les éléments concrets ont presque totalement disparu, il ne reste plus que « la ville » et « le port » (v. 12), qui laissent eux-mêmes place à l'immatérialité du « vent ». D'abord hésitant, il finit en effet par s'imposer sur la ville. L'imaginaire est finalement total dans les trois derniers vers : « J'avais soif d'un breuvage... » (v. 14). Ici, l'expression qui fait penser à un être altéré d'une soif violente, revêt un sens très fort, qui connote le désir certes, mais un désir ardent, qui n'est pas réel.
De plus, de simples citernes exposées sur le port, se transforment en « citernes du rêve » (vers 16). Par cette métaphore, celles-ci semblent permettre l'accès à l'imaginaire et à l'idéal ; elles s'ouvrent à la poétesse « en cercles infinis » (v.15), oxymore s'il en est, qui traduit l'absence de tout rationalisme : un cercle ne saurait en effet être infini, il désigne ici la forme ronde des citernes. Le lecteur aura relevé le symbolisme bien connu du cercle, caractéristique du voyage mystique à travers l'espace et le temps. C'est donc par le truchement de la contemplation du port et de la mer devenue « désert d'azur » (v. 16) qu'Anna de Noailles s'évade pour parvenir à la quête de Soi : l'impression d'infinité et de beauté est donc essentielle. La description réaliste du port de Palerme, par une idéalisation et une allégorie du concret, s'est transformée peu à peu en un univers imaginaire, qui est celui du rêve, mais plus fondamentalement, en une quête idéale de la Vérité.
Parallèlement, et toujours dans cette même
optique idéiste, l'auteure évoque son désir de voyager vers un Idéal
pur, un des thèmes majeurs du Symbolisme. De fait, dès les vers sept et
huit, Anna de Noailles exprime sa quête du partir à travers la
contemplation des « vaisseaux délabrés ». Ce souhait semble à ce titre
provenir des bateaux : « d'où j'entendais jaillir » : l'emploi du verbe
« jaillir » apparaît comme un surgissement, une renaissance. Rompant
avec la monotonie du quotidien, il crée un effet de surprise,
d'agitation et de mouvement. En outre, cette envie de fuir semble
irrépressible comme le suggère la tonalité exclamative et presque
jubilatoire du vers huit ainsi que la place du verbe « partir ».
Positionné en fin de vers, il est mis en avant et crée un effet
d'insistance. Il semble d'ailleurs être le seul motif de l'existence
« éternel souhait » (v.7) : loin d'être un désir passager, il apparaît
comme le but de toute une vie, comme une quête profondément
existentielle. Et si l'auteure, comme nous le notions précédemment, se
laisse guider par ses sentiments et ses émotions (« souhait du cœur
humain »), c'est surtout pour conférer au voyage la mission d'atteindre
un idéal « pur ». À travers celui-ci, l'écrivaine semble en effet
rechercher un Idéal transcendant. Elle n'aspire pas à un lieu précis,
elle s'évade à travers une succession de non-lieux : tout d'abord,
l'évocation des « vapeurs » au vers neuf connote l'immatérialité de même
que « les cieux » (v. 10) paraissent substituer aux « bruits d'usine »
et aux « sifflets » le calme, l'apaisement, et l'infini. De même, « le
vent », élément essentiellement primitiviste, traduit-il un sentiment de
purification : « son aile assainit » la société profane et quelque peu
vulgaire, malhonnête, matérialiste, remplie de tromperies et de
tensions. L' « aile » rappelle à ce titre les oiseaux, symboles de
majesté, de liberté et de pureté, ils volent dans les airs, et semblent
au-dessus de tout. De plus, l'utilisation du présent à valeur de
généralité donne à cette « purification » une dimension universelle,
relativement abstraite et idéiste.
Enfin, cette recherche spirituelle de l'Idéal se retrouve aussi dans le « désert d'azur » du dernier vers qui désigne l'infinité de la mer. À cette quête s'ajoute celle de sentiments aussi purs et indicibles que ces non-lieux : «Mon cœur fondait d'amour comme un nuage crève ». Ici la comparaison de sentiments et d'émotions particulièrement forts avec un nuage, élément immatériel qui renvoie au ciel, est comme une transfiguration aux accents d'évangile, comme une communion avec Dieu. On retrouve cette soif d’absolu au vers quatorze : « J'avais soif d'un breuvage ineffable et béni », là encore l'auteure est en quête de la lumière de Dieu (« béni ») et les sentiments, si beaux qu'ils puissent être, restent dans le mystère et l'« ineffable »...
Enfin, cette recherche spirituelle de l'Idéal se retrouve aussi dans le « désert d'azur » du dernier vers qui désigne l'infinité de la mer. À cette quête s'ajoute celle de sentiments aussi purs et indicibles que ces non-lieux : «Mon cœur fondait d'amour comme un nuage crève ». Ici la comparaison de sentiments et d'émotions particulièrement forts avec un nuage, élément immatériel qui renvoie au ciel, est comme une transfiguration aux accents d'évangile, comme une communion avec Dieu. On retrouve cette soif d’absolu au vers quatorze : « J'avais soif d'un breuvage ineffable et béni », là encore l'auteure est en quête de la lumière de Dieu (« béni ») et les sentiments, si beaux qu'ils puissent être, restent dans le mystère et l'« ineffable »...
Insistons,
pour terminer, sur un point essentiel : par un grand nombre de
caractéristiques du Romantisme qu'il réinterprète et transcende, « le
Port de Palerme » est un poème particulièrement représentatif de la
mouvance symboliste. De fait, en reprenant le grand thème romantique du
voyage, Anna de Noailles essaie peut-être, comme nous l'avons vu
précédemment, de fuir une société malhonnête (« fraude »), ennuyeuse
(« ennui ») et quelque peu matérialiste dans laquelle l'homme a détruit
l'harmonie universelle. Ce sentiment d'inadaptation à la marche de
l’histoire, qui n'est pas sans évoquer le fameux « mal du siècle »,
dépasse pourtant le simple cliché romantique. Il s'agit, comme nous le
remarquions, d'un poème davantage symboliste, capable de rendre par le
symbole, ce que le monde a d'infini et de mystérieux. Cette démarche
allégorique, où chaque image concrète renvoie à l'abstrait le plus pur,
rend le poème quelque peu hermétique à la compréhension du simple
lecteur, alors obligé de déchiffrer le sens caché des mots pour en
pénétrer la puissance suggestive. Ainsi, « les sacs de grains, de farine
et de fruits » (v.3) font-ils allusion à la volupté de l'Orient et
annoncent déjà de manière implicite le thème du voyage dont « les
vaisseaux délabrés » (v.6) sont les véritables représentants. On
pourrait aussi faire remarquer combien l'emploi de l'expression « désert
d'azur » pour la mer ou de « citernes du rêve » pour qualifier
de banals éléments de tout décor portuaire, traduisent, au-delà de
l'aspect pictural, une quête du Vrai, pour laquelle les mots ne
suffisent pas.
Cette vision allégorique confère donc au poème une part de mystère, renforcée par l'association du réel et de l'imaginaire. L'auteure part en effet d'une description réaliste pour finalement aboutir aux symboles abstraits, unissant terre et ciel, fini et infini : les mouvements spiraloïdes des « citernes du rêve » en sont une parfaite illustration. Notons aussi combien l'emploi d'un vocabulaire volontairement anachronique ou l'utilisation de comparaisons inattendues n'a d'autre but que de confirmer l'idée selon laquelle la création poétique, particulièrement chez les Symbolistes, est alchimie, transformation de la vie en art, seule capable, en créant un monde imaginaire qui s'inspire du monde réel, d'atteindre par ces correspondances reliant le monde inférieur et le monde supérieur, la Vérité.
Cette vision allégorique confère donc au poème une part de mystère, renforcée par l'association du réel et de l'imaginaire. L'auteure part en effet d'une description réaliste pour finalement aboutir aux symboles abstraits, unissant terre et ciel, fini et infini : les mouvements spiraloïdes des « citernes du rêve » en sont une parfaite illustration. Notons aussi combien l'emploi d'un vocabulaire volontairement anachronique ou l'utilisation de comparaisons inattendues n'a d'autre but que de confirmer l'idée selon laquelle la création poétique, particulièrement chez les Symbolistes, est alchimie, transformation de la vie en art, seule capable, en créant un monde imaginaire qui s'inspire du monde réel, d'atteindre par ces correspondances reliant le monde inférieur et le monde supérieur, la Vérité.
On remarque en effet que tout le poème mène
à une vérité supérieure et essentielle. De fait, à travers un certain
nombre de symboles que nous avons évoqués, nous comprenons que l'auteure
ne part pas réellement, il s'agit d'un voyage métaphorique qui donne à
l'imagination toute sa valeur créatrice : « j'avais soif » traduit une
envie qui ne se réalise pas réellement mais qui reste à l'état de désir.
De même, l'image spiraloïde des « cercles infinis » (v.14), par son
manque total de rationalisme, suggère la géométrie sacrée des
Pythagoriciens. On comprend donc mieux le vers dix dont nous commentions
précédemment l'harmonie rythmique : « Dans ces cieux où le soir est si
lent à venir... », l'écrivaine n'attend pas le soir en lui-même, mais
son mystérieux symbolisme, enrichi du mythe de la nuit, pendant laquelle
on est amené à rêver : c'est en effet le seul instant de la journée où
l'on peut s'évader pleinement et se laisser aller à la vie, comme à la
mort. Moment de pur accomplissement « Mon cœur fondait d'amour », mais ô
combien éphémère tel le nuage voué à disparaître. Cependant c'est
sa brièveté même qui le rend paradoxalement si intense comme le suggère
la dureté du mot « crever ».
Ce n'est pas un hasard si le soir semble également être le moment de la journée choisi par l'auteure pour évoquer l'acte d'écriture. Tant il est vrai que le poème est tout autant la quête fiévreuse d'un au-delà qu'un voyage spirituel, si difficile à atteindre. Comme le dira Anna de Noailles « Il n'est rien de réel que le rêve et l'amour »... La poésie n'est-elle pas, dès lors, un voyage spirituel à l'intérieur de soi, que chacun doit accomplir pour atteindre le Moi véritable ? Nous comprenons dès lors l'importance qu'Anna de Noailles accorde à l'abstrait : l'esprit l'emporte sur les sens. Tout comme un rêve éveillé, la poésie permet de créer un monde imaginaire et idéal, qui est le signe d'une transcendance de la conscience. Par son pouvoir évocateur, par sa simple lecture, elle suffit à nous évader dans un univers aussi bien réaliste qu'indescriptible et ineffable. Comme le soulignait Charles Baudelaire « La poésie est ce qu'il y a de plus réel, c'est ce qui n'est complètement vrai que dans un autre monde ». Cette affirmation nous semble parfaitement s'adapter au « Port de Palerme », qui finit par identifier la poésie à un acte de pur langage, seul capable d'échapper à la banalité du monde.
Ce n'est pas un hasard si le soir semble également être le moment de la journée choisi par l'auteure pour évoquer l'acte d'écriture. Tant il est vrai que le poème est tout autant la quête fiévreuse d'un au-delà qu'un voyage spirituel, si difficile à atteindre. Comme le dira Anna de Noailles « Il n'est rien de réel que le rêve et l'amour »... La poésie n'est-elle pas, dès lors, un voyage spirituel à l'intérieur de soi, que chacun doit accomplir pour atteindre le Moi véritable ? Nous comprenons dès lors l'importance qu'Anna de Noailles accorde à l'abstrait : l'esprit l'emporte sur les sens. Tout comme un rêve éveillé, la poésie permet de créer un monde imaginaire et idéal, qui est le signe d'une transcendance de la conscience. Par son pouvoir évocateur, par sa simple lecture, elle suffit à nous évader dans un univers aussi bien réaliste qu'indescriptible et ineffable. Comme le soulignait Charles Baudelaire « La poésie est ce qu'il y a de plus réel, c'est ce qui n'est complètement vrai que dans un autre monde ». Cette affirmation nous semble parfaitement s'adapter au « Port de Palerme », qui finit par identifier la poésie à un acte de pur langage, seul capable d'échapper à la banalité du monde.
Au
terme de cette analyse, il convient de rappeler quelques points
essentiels. Comme nous avons cherché à le montrer, Anna de Noailles
dévoile à travers « Le port de Palerme », sa conception de la poésie,
qui est aussi une conception du monde. Pour l'auteure, la poésie permet
en effet l'expression de ses sentiments et la quête existentielle d'un
Idéal inaccessible aux lois de l'ordonnance humaine. Et si, comme
l'affirmait Baudelaire « ce qui est créé par l'esprit est plus vivant
que la matière », c'est bien l'art poétique, par sa puissance
transfiguratrice, qui permet cette alchimie, capable de rendre plus
réelle la signification transcendante des mots que la réalité immanente
qu'ils désignent. La poésie apparaît ainsi plus profonde, plus sensée,
voire plus vraisemblable que la vie elle-même. Porteuse d'imaginaire,
elle suscite chez le lecteur des sensations, et à la façon d'un rêve,
elle l'invite l'espace d'un instant à voyager vers un univers inconnu,
qui est autant un questionnement qu'une réponse...
© Clarisse Q. (Lycée en Forêt, Classe de Seconde 1, janvier 2012)
Relecture du manuscrit : Bruno Rigolt
Relecture du manuscrit : Bruno Rigolt
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