06/12/2010

144. "Tumulte". 1

Ce texte est publié en trois parties (message 144, 143, 142)
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1. Il est des jours pour le souvenir et la méditation. O passé ! jeunesse ! non la mienne que j'avais sans la ressentir et comme on possède une joie naturelle, visible, inattaquable, mais la vôtre, mon aîné, que je vous rendais parce que ma jeunesse jetait sur vous son ombre blanche, son reflet de midi, clair et tranchant comme une lame affilée de soleil.
Matin ! Voyages ! Gares de Savoie, gares de Florence, espérances des arrivées, sons des cloches, fraîcheur de l'inattendu, fraîcheur des regards comme des gouttelettes d'eau limpides aux parois poreuses des vases arabes ! Parfois mon esprit languissait dans cette étroite immensité. Vers quoi vont nos désirs, et nos désirs accomplis ? Rien n'est cercle, rien n'est enclos. Où est l'achèvement du rêve de l'homme ?
O rades allongées sur les mers, bras des ports, abîmes, brèches, ouvertures, que voulez-vous, que guidez-vous ? Jamais il n'y a que l'amour dans l'amour. L'amour qu'on croit parfait, lui-même prend une trompette guerrière ou un profond cor de chasse ou une cithare plaintive et appelle autre chose, autre chose qui est au-delà de l'amour.
Tout est appel. Quelle est la danse qui nous convie ? J'ai vu sur un terrain glissant et noir d'olives tombées, au bord de la mer plate, un berger grec vêtu de toile blanche, coiffé d'un bonnet de noire cotonnade, qui, effréné, dansait selon le mode antique et entraînait par son élan toute une population agreste. Mais je ne pouvais suivre le pâtre exalté, parce que mon allégresse au fier ressort retournait en arrière, vers les compagnons de Périclès, et que les banquets sont finis et que les temples sont brisés.
J'ai vu les petits châteaux romantiques d'Angleterre, en brique rouge sur un lac de turquoise; et le vent venus de la mer, venu d'Ecosse, venu d'Irlande faisait bouger l'eau paisible, poussait les cygnes indolents contre les mottes de terre du rivage. Le sel et le goudron étaient posés sur les feuilles du rosier, du chèvrefeuille, du rhododendron, comme la marque et la saveur de l'Angleterre. Et tout était paix, sécurité, triomphe. Le coucher du soleil, de l'énigmatique soleil anglais, faisait traîner sur les pelouses sa splendeur brouillée comme la frange d'un châle du Cachemire, solennelle comme le pompeux salut des Indes à la royale Angleterre. Tout était sécurité, et pourtant je comprenais que ces lieux ne me plaisaient que parce qu'ils sont une île, de toutes parts entourée d'eau, de vaisseaux, de quais, de projets, de délivrance.
Ainsi, les préoccupations constantes de l'âme sont le départ et l'espérance : l'âme la plus fidèle s'élance sur toutes les pistes pour atteindre un but unique.
Avant nos temps et après nos temps, avant la mort et après la mort, l'amour est. (Exactitudes)