04/12/2010

137. Elyane Savy : l'imaginaire dans l'oeuvre d'Anna de Noailles. 4

4/5. Ne pourrait-on pas dire que ce but qu'elle poursuit, "l'exactitude de l'émotion", est déjà une philosophie en soi? Ne pourrait-t-on pas voir dans ce mot « exactitudes » la règle, la seule à laquelle elle se plie, le centre spirituel de son œuvre qui commande un vocabulaire surchargé parce que précis un nombre de thèmes limités parce que jamais tout à fait développés? En 1930 le damier manuscrit qu'elle remet à l’éditeur Bernard Grasset porte en titre un mot qui le fait sursauter « Exactitudes". Non seulement le mot le gêne, mais le pluriel l'affole. Dana sa lettre à Bernard Grasset, la comtesse de Noailles écrit : "Le titre que j'ai choisi, « Exactitudes » donne une garantie. Il certifie que l'auteur n'a pu échapper à son déterminisme - qu'il peut aussi nommer ses lois, son choix, ses préférence - en ne relatant que ce qu'il a vu, en ne communiquant que ce qu'il a ressenti" C'est donc dans cette volonté opiniâtre, que nous appellerons son Art Poétique, de capter les degrés précis l'intensité exacte, la juste mesure ou démesure de l'émotion, que les images jaillissent librement sous la plume d'Anna de Noailles en forçant un peu, s'il le faut, les bornes étriquées de la syntaxe pour épanouir leur authenticité.
Ce sont à ces images, à ce monde très particulier de l'imaginaire dans lequel a vécu Anna de Noailles, que nous avons voulu consacrer cette étude. L'imaginaire, "c'est à dire l'ensemble des images et des relations d'images qui constitue le capital pensé de l'homo sapiens", ainsi que le définit Gilbert Durand, occupe aujourd'hui la première place dans les études critiques. On ne se soucie plus de savoir si la syntaxe est correcte, on veut comprendre le fonctionnement de l'imagination, sonder l'univers de l'écrivain ou du poète à travers les images qui l'obsèdent. En ce sens Anna de Noailles devrait intéresser la critique moderne car son œuvre est un extraordinaire amoncellement d'images qui fusent en tous sens, images jonglant avec des verbes travaillés dans l'exagération, images explosant des substantifs les plus inattendus que viennent colorier les épithètes les plus hardies.