La Chambre de Anna de Noailles au Musée Carnavalet.
Anna de Noailles a été l'une des figures les plus brillantes du monde littéraire du début du siècle. [...] Cette princesse grecque, a qui le mariage avait donné un nom français illustre, paraissait descendre tout droit du Parnasse avec le trépied de la Pythie pour prononcer ses oracles. Emerveillement d’autant plus doux que la Comtesse avait un visage plus séduisant, dévoré par ses admirables yeux sur les paupières desquels tombait la frange de ses cheveux noirs (E. Berl). Dès la parution de son premier recueil, "Le Coeur innombrable", elle connut un succès éclatant. Composés a vingt-quatre ans, ces vers où elle célébrait la nature et les lieux de son enfance l’imposèrent durablement aux yeux du public comme la muse des jardins -.
S’il faut croire qu’une chambre ressemble qui l’habite, celle d’Anna de Noailles a le mérite de surprendre. Elle a en effet la simplicité surannée d’une chambre de jeune fille vers 1900. Elle donne voir, à côté du personnage public, un autre visage, plus rêveur et méditatif.
C’est au 40 de la rue Scheffer où les Noailles emménagèrent en 1909 que fut installée la chambre aux cretonnes. Une porte capitonnée donnait accès a cette retraite toute tapissée de liège pour protéger l’écrivain des bruits domestiques (Proust en reprit l’idée). Sur le liège des cretonnes a lignes et à bouquets bleus s’harmonisaient avec les meubles Louis XV rechampis de bleu. La toile imprimée choisie ici recrée le cadre à la fois paisible et raffiné dans lequel Anna de Noailles aimait a se retrouver. Etendue sur son lit toute petite et menue dans ses écharpes de mousseline, au milieu de coussins soyeux, elle recevait, travaillait, composait. Un grand livre plat lui servait de sous-main. Sur les deux tables gigognes utilisées en tables de chevet s’entassait le désordre familier des objets et livres indispensables : étui a lunettes sur un tome de Hugo, bouilloire sur un volume de Montaigne
Au mur, deux compositions florales exécutées par Anna de Noailles. Le pastel ne fut jamais pour l’écrivain qu’un dérivatif, un passe-temps. Pourtant en juin 1927, la comtesse Greffulhe lui organisa une exposition a la galerie Bernheim : les pastels s’arrachèrent, tandis qu’Anna de Noailles, flattée mais lucide, considérait l’événement comme la plus vaste escroquerie du siècle. Ce décor somme toute modeste a nourri vingt ans durant les rêves et le labeur acharné de la poétesse : son œuvre ne compte pas moins de dix-sept volumes. Mais l’exubérance de la muse des jardins ne doit pas faire oublier l’écrivain reclus, miné par la maladie nerveuse et la révolte. Le versant solaire et sensuel de sa poésie est, en effet, inséparable dune inguérissable nostalgie. Et dans les dépouilles de la chambre aux cretonnes flotte le souvenir dune petite fille inconsolable qui écrivait pour ne pas mourir.
Source : http://carnavalet.paris.fr/fr/collections/chambre-de-anna-de-noailles