3. Nous n'avons voulu que ce baiser dont l'absence nous eût tués, nous n'avons pas mêlé à cette ineffable nécessité, à cet appétit céleste, les exigences désordonnées de l'esprit, les serments âpres, les cruautés de la jalousie; non, mon amour, tu t'en souviens bien, au sein même de l'ardeur nous fûmes paisibles et reconnaissants.
Et puis il a fallu que tu partes pour te marier, pour ce mariage que je t'ai défendu de briser, et ce n'est point de cela que rai souffert, car j'étais sûre de toi contre ta fiancée, contre ta femme. Je t'ai prié d'être prodigue et bon pour cette jeune fille que tu avais choisie avant que je ne vinsse, et c'est bien exact que je la soutiens dans ton cœur, qui m'appartient. Mais par l'absence la mélancolie vient cerner peu à peu cette île de l'esprit où je te rejoignais. Nous fûmes heureux, je ne le sens que trop, toi aussi: alors qu'allons-nous devenir? Combien de temps allons-nous être séparés ? Je tremble de compter les jours.
O difficile saison de l'été, effusion de l'azur sans défaut, montagnes roses et grises, troupeau des arbres confondus, dormant heureux sous le réseau immense de la chaleur d'argent, pétillante de bouillonnements, miel bas et stagnant des prairies herbues et fleuries, eau bleue des lacs, étalée comme une turquoise fondue, et appuyée à la géométrie baroque des rives, des roches, des épais roseaux, provocation de la nature, vous ne me touchez plus !
Je détourne de vous mon visage, qui a connu l'ombre étroite du bonheur, les ténèbres où se meuvent les gestes et les mots, où scintillent l'œil, la voix, l'interrogation haletante, l'assentiment sourd et sans restriction.
Pauvres abeilles des jardins, agitées, cahotantes, ivres de passer votre anneau d'ambre à tout l'azur, qui portez un miel qui n'est point pour moi, qui n'est pas celui dont je puisse être enivrée, se peut-il que je vous aie autrefois tant aimées? Je considère avec indifférence votre vol désordonné. Mon regard jadis bondissait avec vous et pénétrait les calices et le ductile éther: ruche d'azur aux alvéoles bienveillantes; comme vous, je, faisais alliance avec l'univers, qui est sans âme et sans dessein.