15. CXLII
Je ne reconnais pas ta personne présente
Tant mon rêve dut en souffrir;
Ton visage est soudain, sous mes yeux qu'il enchante,
Étrange et long à parcourir;
L'être que l'on contemple et celui qu'on médite
N'ont pas de semblables pouvoirs;
L'éloignement restreint, estompe, efface, hésite.
Il est douloureux de te voir!
Je ne puis ignorer, naïf porteur de grâces,
Les fines flèches sans détour
Qui, d'un trajet brillant, viennent frapper toujours
Mon esprit à la même place!
Je te regarde, et c'est par ton précis éclat
Que je sens la faible puissance
De ne te résumer que quand tu n'es plus là,
Et de ne posséder vraiment que ton absence !
CXLIV
Je ne veux pas souffrir du doute,
Ni que tu m'épargnes, ni même
Que, concevant combien je t'aime,
Tu m'accompagnes sur ma route.
Quels efforts pourraient comprimer
Ton ennui, ton désir, tes vœux ?
Si quelqu'un te plaît, va l'aimer !
Aborde ces yeux, ces cheveux,
Dévaste ce nouveau visage,
Goûte ce coeur riant ou sage,
Cours vers ton allègre espérance !
Tu connaîtras la différence
De la feinte et de la paresse
D'avec mon incessante ivresse !
Un jour j'aurai ta préférence.
Il n'est pour moi d'autre rivale
Qu'une ardeur à la mienne égale !
Qu'importe à mon coeur qui t'imprègne
De sa tendre et secrète rage
Qu'une femme que je dédaigne
Puisse te plaire davantage !