7. XLI
Je bénis le sommeil, lui seul peut déformer
Par sa ténèbre étroite, habile et travailleuse,
Les traits de ton image où mon âme amoureuse,
Sachant tous tes défauts, ne voit rien à blâmer!
Je m'endors agitée, et, pareille aux voyages,
Débordante d'espoirs, d'attente, de projets;
Et puis, à mon réveil, engourdie encor, j'ai
La douceur de trouver ma raison lasse et sage.
Je ne souhaite rien; fidèle à mes soucis
Je songe tendrement à la tombe loyale
Où, descendue enfin dans la paix sans rivale,
J'oublierai les désirs dont j'ai souffert ici;
Et je ne cherche pas à me tromper moi-même
Sur le dur sentiment que tu m'as inspiré;
Non, je ne t'aime pas avec l'honneur sacré,
Avec l'esprit ravi! Non, pauvre homme, je t'aime...
Et si ton hésitant, faible et modique orgueil
Ne peut s'accommoder de l'animale flamme,
Moi, du moins, j'eus le droit de voir périr des âmes
Pour les lèvres, les bras, les noirs cheveux et l'oeil!
XLIV
Les mots sans qu'on les craigne ont d'effrayants pouvoirs,
Ils sont les bâtisseurs hasardeux des pensées,
L'âme la plus puissante est parfois dépassée
Par ces rêves actifs que l'on voit se mouvoir.
Laissons se balancer dans leur ombre décente
L'excessive tristesse et l'excessif besoin!
Confions le secret ou la hâte oppressante
Au silence sacré qui ne les livre point.
Un souvenir dormant cesse d'être coupable,
Tout ce qui n'est pas dit est innocent et vrai;
S'il consent à garder sa face sombre et stable
Le mensonge lui-même est un noble secret.
Ô Vérité tentante et qu'il faut qu'on esquive,
Monacale pudeur, effort, renoncement,
Sainteté des torrents retenant leur eau vive,
Solitude du coeur et de la voix qui ment !
Tendresse de la main qui parcourt et qui lisse
La vie atténuée et calme des cheveux,
Tandis que le désir se prive du délice
De déchaîner l'orage éloquent des aveux
Résolution pure, auguste et difficile
De n'accaparer pas l'esprit avec le corps,
De rester étrangers, pour que le plus fragile
Ne soit pas prisonnier de l'ineffable accord !
Feintise d'être heureux en dehors de l'ivresse,
Accommodation aux paisibles instants:
Plus que les cris, les pleurs, les secours, les caresses,
Vous êtes le mérite insondable et constant !