09/04/2011

219. "Un soir à Vérone"

Le soir baigne d'argent les places de Vérone;
Les cieux roses et ronds, rayés d'ifs, de cyprès,
Font à la ville une couronne
De tristes et verts minarets.

Sur les ors languissants du palais du Concile,
On voit luire, ondoyer un manteau duveté:
Les pigeons amoureux, dociles,
Frémissent là de volupté.

L'Adige, entre les murs de brique qu'il reflète,
Roule son rouge flot, large, brusque, puissant.
Dans la ville de Juliette
Un fleuve a la couleur du sang !

-O tragique douceur de la cité sanglante,
Rue où le passé vit sous les vents endormis:
Un masque court, ombre galante,
Au bal des amants ennemis.

Je m'élance, et je vois ta maison, Juliette !
Si plaintive, si noire, ainsi qu'un froid charbon.
C'est là que la fraîche alouette
T'épouvantait de sa chanson !

Que tu fus consumée, ô nymphe des supplices !
Que ton mortel désir était fervent et beau
Lorsque tu t'écriais: «Nourrice,
Que l'on prépare mon tombeau !

«Qu'on prépare ma tombe et mon funèbre somme,
Que mon lit nuptial soit violet et noir,
Si je n'enlace le jeune homme
Qui brillait au verger ce soir !...»

-Auprès de ta fureur héroïque et plaintive,
Auprès de tes appels, de ton brûlant tourment,
La soif est une source vive,
La faim est un rassasiement.

Hélas! tu le savais, qu'il n'est rien sur la terre
Que l'invincible amour, par les pleurs ennobli;
Le feu, la musique, la guerre,
N'en sont que le reflet pâli !

-Ma sœur, ton sein charmant, ton visage d'aurore,
Où sont-ils, cette nuit où je porte ton coeur ?
La colombe du sycomore
Soupire à mourir de langueur...

Là-bas un lourd palais, couleur de pourpre ardente,
Ferme ses volets verts sous le ciel rose et gris;
Je pense au soir d'automne où Dante
Ecrivit là le Paradis;

La céleste douceur des tournantes collines
Emplissait son regard, à l'heure où las, pensifs,
Les anges d'Italie inclinent
Le ciel délicat sur les ifs.

Mais que tu m'es plus chère, ô maison de l'ivresse,
Balcon où frémissait le chant du rossignol,
Où Juliette qui caresse
Suspend Roméo à son col !

Ah! que tu m'es plus cher, sombre balcon des fièvres,
Où l'échelle de soie en chantant tournoyait,
Où les amants, joignant leurs lèvres,
Sanglotaient entre eux: «Je vous ai!»

-Que l'amour soit béni parmi toutes les choses,
Que son nom soit sacré, son règne ample et complet;
Je n'offre les lauriers, les roses,
Qu'à la fille des Capulet !