Qu'ai-je à faire de vous qui êtes éphémère,
Trop douce matinée, éther bleuâtre et chaud,
O jubilation insensée et légère
D'un moment que le temps engloutira si tôt ?
Je vois que le lac tiède est comme une corbeille,
Immobile et rêvant, et si chargé d'azur
Qu'il cherche à déverser son poids luisant et pur,
Et que le vert feuillage a des bouquets d'abeilles !
Je vois de blancs oiseaux, comme des nénuphars
Se poser sur les flots que l'air croise et décroise,
Et les parfums monter, tranchants comme des dards,
Dans l'azur frais, couleur de gel et de turquoise !
Les jardins ont l'aspect calme des paradis,
Partout c'est le repos, le bourdonnant silence;
Un matinal parfum de joie et d'abondance
Exhale tendrement l'attente de midi.
Qu'est-ce donc qui m'empêche, ô terre complaisante,
Doux éther caressant, sourire bleu des flots,
Nature sans mémoire et toujours renaissante,
De rentrer dans votre ample et sinueux complot ?
Ma jeunesse est en vous, les arbres, le rivage,
Le temps qui se balance et ne s'écoule pas,
Les matins toujours gais, les soirs pensants et sages
Ont gardé mes regards, mes rêves et mes pas;
Mais moi j'ai poursuivi la route, je dépasse
Votre extase alanguie et votre enchantement,
J'habite un continent dispersé dans l'espace,
Où l'âme a son domaine et son déchaînement.
Pays sans arbre, et plus dévasté que la lune,
Où sont les souvenirs, les morts, les passions,
Et, brûlante douleur parmi les infortunes,
Les tragiques matins de nos déceptions.
Mais aujourd'hui, ayant goûté toute amertume,
Je suis sans volonté; les mouvements du sort,
Amenant à mes pieds la vague et son écume,
Font un long bercement qui me lasse et m'endort.
Les brouillards ont glacé la Sibylle de Cumes !
-O désir! J'ai connu votre soif, votre faim,
Vos passions de l'âme et vos brûlants théâtres;
Mais l'incendie altier et mortel s'est éteint;
Nous sommes à présent, mon coeur et le destin,
Comme deux ennemis qui, s'estimant enfin,
Cessent de se combattre...