Je retrouve le calme et vaste paysage:
C'est toujours sur les monts, les routes, les rivages,
Vos gais bondissements, chaleur aux pieds d'argent!
Le monde luit au sein de l'azur submergeant
Comme une pêcherie aux mailles d'une nasse;
Je vois, comme autrefois, sur le bord des terrasses,
Des jeunes gens; l'un rêve, un autre fume et lit;
Un balcon, languissant comme un soir au Chili,
Couve d'épais parfums à l'ombre de ses stores.
Le lac, tout embué d'avoir noyé l'aurore,
Encense de vapeurs le paresseux été;
Et le jour traîne ainsi sa parfaite beauté
Dans une griserie indolente et muette.
Soudain l'azur fraîchit, le soir vient; des mouettes
S'abattent sur les flots; leur vol compact et lourd
Qui semble harceler la faiblesse du jour
Donne l'effroi subit des mauvaises nouvelles...
Il semble, tant l'éther est comblé par des ailes,
Que quelque arbre géant, par le vent agité,
Laisse choir ce feuillage agile et duveté.
Et le soleil s'abaisse, et comme un doux désastre,
Frappé par les rayons du soleil vertical
Tout s'attriste, languit; le lac oriental
A le liquide éclat des métaux dans les astres;
Et le coeur est soudain par le soir attaqué...
Et tous deux nous marchons sur les dalles du quai.
Nous sommes un instant des vivants sur la terre;
Ces montagnes, ces prés, ces rives solitaires
Sont à nous; et pourtant je ne regarde plus
Avec la même ardeur un monde qui m'a plu.
Je laisse s'écouler aux deux bords de mon âme
Les ailes, les aspects, les effluves, les flammes;
Je ne répondrai pas à leur frivole appel:
Mon esprit tient captifs des oiseaux éternels.
Je ne regarde plus que la cime croissante
Des arbres, qui toujours s'efforçant vers le ciel,
Détachant leur regard des plaines nourrissantes,
Ecoutent la douceur du soir confidentiel
Et montent lentement vers la lune ancienne...
Je songe au noble éclat des nuits platoniciennes,
A la flotte détruite un soir syracusain,
A Eschyle, inhumé à l'ombre des raisins,
Dans Géla, sous la terre heureuse de Sicile.
Je songe à ces déserts où florissaient des villes;
A cet entassement de siècles et d'ardeur
Que le soleil toujours, comme un divin voleur,
Va puiser dans la tombe et redonne à la nue.
Je songe à la vie ample, antique, continue;
Et à vous, qui marchez près de moi, et portez
Avec moi la moitié du rêve et de l'été;
A vous, qui comme moi, témoin de tous les âges,
Tenez l'engagement, plein d'un grave courage,
De bien vous souvenir, en tout temps, en tout lieu,
Que l'homme en insistant réalise son Dieu,
Et qu'il a pour devoir, dans la Nature obscure,
De la doter d'une âme intelligible et pure,
De guider l'Univers avec un coeur si fort
Que toujours soit plus beau chaque instant qui se lève;
Et d'écouter avec un mystique transport
Les sublimes leçons que donnent à nos rêves
L'infatigable voix de l'amour et des morts...
Les Vivants et les morts 1907-1913
C'est toujours sur les monts, les routes, les rivages,
Vos gais bondissements, chaleur aux pieds d'argent!
Le monde luit au sein de l'azur submergeant
Comme une pêcherie aux mailles d'une nasse;
Je vois, comme autrefois, sur le bord des terrasses,
Des jeunes gens; l'un rêve, un autre fume et lit;
Un balcon, languissant comme un soir au Chili,
Couve d'épais parfums à l'ombre de ses stores.
Le lac, tout embué d'avoir noyé l'aurore,
Encense de vapeurs le paresseux été;
Et le jour traîne ainsi sa parfaite beauté
Dans une griserie indolente et muette.
Soudain l'azur fraîchit, le soir vient; des mouettes
S'abattent sur les flots; leur vol compact et lourd
Qui semble harceler la faiblesse du jour
Donne l'effroi subit des mauvaises nouvelles...
Il semble, tant l'éther est comblé par des ailes,
Que quelque arbre géant, par le vent agité,
Laisse choir ce feuillage agile et duveté.
Et le soleil s'abaisse, et comme un doux désastre,
Frappé par les rayons du soleil vertical
Tout s'attriste, languit; le lac oriental
A le liquide éclat des métaux dans les astres;
Et le coeur est soudain par le soir attaqué...
Et tous deux nous marchons sur les dalles du quai.
Nous sommes un instant des vivants sur la terre;
Ces montagnes, ces prés, ces rives solitaires
Sont à nous; et pourtant je ne regarde plus
Avec la même ardeur un monde qui m'a plu.
Je laisse s'écouler aux deux bords de mon âme
Les ailes, les aspects, les effluves, les flammes;
Je ne répondrai pas à leur frivole appel:
Mon esprit tient captifs des oiseaux éternels.
Je ne regarde plus que la cime croissante
Des arbres, qui toujours s'efforçant vers le ciel,
Détachant leur regard des plaines nourrissantes,
Ecoutent la douceur du soir confidentiel
Et montent lentement vers la lune ancienne...
Je songe au noble éclat des nuits platoniciennes,
A la flotte détruite un soir syracusain,
A Eschyle, inhumé à l'ombre des raisins,
Dans Géla, sous la terre heureuse de Sicile.
Je songe à ces déserts où florissaient des villes;
A cet entassement de siècles et d'ardeur
Que le soleil toujours, comme un divin voleur,
Va puiser dans la tombe et redonne à la nue.
Je songe à la vie ample, antique, continue;
Et à vous, qui marchez près de moi, et portez
Avec moi la moitié du rêve et de l'été;
A vous, qui comme moi, témoin de tous les âges,
Tenez l'engagement, plein d'un grave courage,
De bien vous souvenir, en tout temps, en tout lieu,
Que l'homme en insistant réalise son Dieu,
Et qu'il a pour devoir, dans la Nature obscure,
De la doter d'une âme intelligible et pure,
De guider l'Univers avec un coeur si fort
Que toujours soit plus beau chaque instant qui se lève;
Et d'écouter avec un mystique transport
Les sublimes leçons que donnent à nos rêves
L'infatigable voix de l'amour et des morts...
Les Vivants et les morts 1907-1913