29/11/2012

621. Une prochaine publication






















** Sur sa page Facebook, Luc MARIE annonce la publication au début de l'année 2013, aux Editions du Sandre, de l'oeuvre poétique d'Anna de Noailles. Deux volumes sont prévus. Sur cette page (voir ci-dessous) on peut consulter également une série de belles photos très rares de la Comtesse de Noailles.

25/11/2012

620. "Les Forces Eternelles". Présentation
















** Avec ce message se termine la mise en ligne d'une très large sélection des poèmes du recueil "Les Forces Eternelles" dans lequel la Comtesse de Noailles évoque largement les rivages du lac Léman et cette partie du Chablais, qui va d'Evian à Thonon en passant par les coteaux de Neuvecelle où elle vécut durant son enfance et son adolescence.
** L'identification de la source des illustrations est possible en cliquant sur l'image correspondante. Elle n'apparait pas à l'écran sauf exception. Pour l'essentiel elles proviennent du site DeviantArt
** Le travail de mise en ligne a été réalisé à partir des ressource librement disponibles sur l'Internet et publiées par le site Internet Archives
** Le lecteur pourra également consulter Wikisource, la bibliothèque libre.
** Enfin, je revevrai avec intérêt et reconnaissance les commentaires et les demandes de corrrection, car je m'excuse par avance des erreurs qui peuvent demeurer dans les textes mis en ligne : laclaud74@gmail.com

619. Les Forces Eternelles. Tables















Les Forces Eternelles
Table des poèmes publiés dans ce blog

Remarques.
1. Un même message peut rassembler plusieurs poèmes
2. Actuellement, la table ci-après n'est pas interactive

I. La GUERRE (non publié)

II. AME DES PAYSAGES

522. Étranger qui viendras
523. Le paysage est calme
524. Les biches
525. Le flot léger de l'air
526. La paix du soir
526. Matin d'été
527. Le cri des hirondelles
528. L'esprit parfois retourne
529. Une heure d'été
530. Jour de juin
531. Le ciel est d'un bleu
532. Matin de printemps
533. Eté, je ne peux pas...
534. Joviale odeur de la neige
535. Contentement
536. La naissance du printemps
537. Vers écrits en Alsace pour un jardin de Savoie
538. Ode à un coteau de Savoie
539. Salutation
539. Scintillement
540. Mélodie matinale
541. Poésie des soirs
542. Le ciel gris, ce matin
543. Charme d'un soir de mai
543. Azur
543. Vent d'été
544. Les nuits d'été
545. L'Automne
546. Automne, ton soleil
546. Pluie printanière
547. Matin de mai
548. Éveil d’une journée
549. L'orage
550. Matin frémissant
550. Midi
550. Le ciel mêlé du soir
551. Buée
551. Pour oublier la morne houle
551. La noble nuit est …
551. Éclosion
552. Pluie tiède
552. L'aube point faiblement
553. Quand le soleil
553. Calme soir
554. Accueil au soleil
554. Canicule
555. Le silence joyeux

III - POEMES DE L'ESPRIT

556. Dans l'adolescence
557. Une Grecque aux yeux allongés
558. Contemplation
559. La Grèce, ma terre maternelle
560. Nuit d'été, obscure
560. Tu n'as pu croire à rien
560. Pensée dans la nuit
561. Je croyais être
562. Les espaces infinis
563. Deux êtres luttent
563. Le printemps éternel
564. Espérance
564. Consolation
564. Plus je vis, ô mon Dieu
564. Se peut-il, univers
564. Interrogation
564. Le sommeil
565. Minuit
566. Certes, vous fîtes bien
566. Appel
566. Lassitude
567. Tout noble cœur
568. Le voyage
569. Renonciation
570. Les poètes romantiques
571. Méditation
572. Rêverie, le soir
573. Novembre
573. Toi seul es vrai
574. Il est des morts vivants
575. Je veux bien respirer
575. Tentation
575. Prière au destin
576. Une fière habitude
576. Offrande du batelier
577. Quoi ! Tu crains de mourir
578. Sagesse
578. Ferme tes nobles yeux
578. Mon esprit anxieux
579. Tu dis que tu consens
580. L'univers n'est pas
580. Que suis-je dans l'espace ?
580. Il pleut. Le ciel est noir
581. Étonnement
581. Mélodie
581. Chant d'Espagne
582. Promeneuse
582. A Jean Moréas
582. Ma sagesse déjà
583. O Mort, vous rendez tout

IV. — POEMES DE L'AMOUR

584. Epigramme votive
584. Attends encore un peu
585. Le chapelet d'ambre
585. Le plaisir
586. La douleur est pressée
587. Quand enfin votre esprit
587. Chant de Daphnis
587. Chant de Chloé
588. Ce ne sont pas les mots
588. Solitude
589. Ainsi, lorsque j’étais une enfant
589. Le silence
590. Le reproche
590. Le noble éther des nuits
591. Parques ! Nul coeur ne sait ...
592. Tranquillité
593. Tristesse de l'amour
594. Confession
594. Libération
595. Si nous vivions un jour
596. Toute heure signifie
597. Similitude
597. Non, l'univers n'est pas
598. C'est après les moments
598. Il n'est pas un instant
599. Lorsqu’un jour sonnera
600. Si le clair de lune
601. Paroles dans la nuit
602. La nuit
602. Ces pudeurs de l'esprit
602. Tu m'aimais moins.
603. Le chant du faune
604. Le chant de Praxô
605. Le conseil
606. Dans cette oppression
607. Je t’aime et je te hais
607. Ce regard est le tien
608. Repose-toi, tais-toi …
608. L'être ne recherche
609. L'adolescence
609. Mes yeux t'écoutent
609. Séparation
610. Lorsque je souffre encor
610. Continuité
611. Puisque nos sorts furtifs
611. Complainte
612. C'était la solitude
612. S'il est quelque autre chose au monde
613. Le passé
613. Ceux que la joie enivre
614. Prédestination
614. L'attrait
615. Nous avons attendu
615. Vous étiez rêveur
615. Quand l’automne argenté
616. La nature et le poète
617. Ceux qui ont accueilli
617. Détresse
618. L'amour ne laisse pas





618. L'amour ne laisse pas


















L'amour ne laisse pas que longtemps on l’oublie,
Au front qui fut distrait il met un joug plus dur,
Il gît au fond des corps comme au fond de l'azur,
Ainsi qu'une suave et persistante lie.

Quand dans les jours parfaits des étés somptueux
On croit pouvoir sans lui connaître l'allégresse,
Il trouble notre joie ou bien notre paresse
Par un doute rêveur, sagace et langoureux.

Vous avais-je oublié, avais-je, folle, et triste.
Un instant échappé à vos constantes lois,
Inexorable Amour ? Avais-je dit : J'existe,
Je respire, je suis, je réfléchis, je vois,

Sans me sentir soumise à vos sublimes ordres ;
Avais-je décidé que j'étais libre enfin
De détourner la joue où vous souhaitiez mordre,
Et de n'assouvir plus votre soif, votre faim ?

Et cependant, Amour, dieu trompeur, dieu fidèle,
Du distrait univers vous le seul protégé,
C'est ma gloire, que nul ne pourra déranger.
D'avoir su déchiffrer tout ce qui vous révèle,
D'avoir fixé mes yeux sur vos mains éternelles,
Et de n'avoir écrit que pour vous prolonger...

Les Forces Eternelles

Illustration : Versailles. Le temple de l'Amour

Source : http://fgintrand.files.wordpress.com/2011/03/temple-de-lamour-versailles2.jpg

617. Détresse - Ceux qui ont accueilli

DETRESSE

La tristesse te pénètre
Au point que tu crois mourir,
O cœur fait pour toujours être
Terrassé par le plaisir !

Cœur savant en toutes choses,
Prodigue sans t'épuiser,
Cœur souffrant que seul repose
L'étouffement du baiser,

Qui saura ton épouvante,
Cœur par les pleurs soulevé,
Toi qui par détresse chantes,
Rossignol aux yeux crevés !

CEUX QUI ONT ACCUEILLI..


Ceux qui ont accueilli le bonheur puissamment,
Sachant que c'est un dieu et qu'il faut qu'on le brave,
Ont dans l'enfer humain connu la part suave,
Et sans crainte goûté l'infini du moment.

Ils ont, dans leur joyeuse et subite ignorance.
Ramassé sur leur cœur la brève éternité;
Scintillants et profonds comme les nuits d'été,
Ils ont, par la prodigue et trompeuse espérance,
Éprouvé leur puissance et leur immensité.

Qu'importe si les pleurs, les regrets, les tortures
Assaillent cet îlot que leur plaisir formait;
Ce qui fut est divin et ne périt jamais ;
Châtiez ces vainqueurs, implacable Nature !

Et c'est votre bonté charitable, ô Douleur,
Votre bonté prudente et qui permet qu'on vive,
D'être parfois dans l'ombre arrêtée et furtive,
De laisser quelque temps s'épanouir le cœur,
De ne pas annoncer que votre règne arrive.
Et de surgir comme un voleur !

Les Forces Eternelles

616. La Nature et le Poète

LA NATURE ET LE POETE


LA NATURE

Ainsi, tu me reviens, ô ma fière transfuge,
Esprit initié, enfant, hôtesse et juge
De mes parfums, de mes rumeurs,
Ton corps semble abattu par d'humaines tempêtes.
Quels plaisirs te nuisaient, toi qui n'étais pas faite
Pour la misère du bonheur ?

Ai-je comblé quelqu'un autant que ta personne ?
Tu semblais le miroir et la conque où résonnent
Et se reflètent mes secrets.
Je te parlais avec ces voix éblouissantes
Qu'ont dans les soirs d'été les sources d'air dansantes,
Et le vert soupir des forêts.

Mon espace sans borne où sont rangés les siècles
S'est offert dès l'enfance à tes yeux de jeune aigle,
Tu savais tout ce qu'on apprend ;
On voyait ma grandeur réduite en tes prunelles,
O toi qui ressemblais aux choses éternelles,
D'où te vient ce regard souffrant ?

Je t'avais faite insigne, éparse et solitaire.
Les rumeurs de la foule et la paix de la terre
Se plaçaient gaiement sous tes mains;
Mon soleil descendait en toi au crépuscule,
Par quelle lassitude ou bien par quel scrupule
As-tu voulu posséder moins ?

LE POETE
Ne me méconnais pas, Nature juste et bonne.
Se peut-il que t'ayant aimée on t'abandonne,
Hélas ! j'ai voulu t'approcher
Plus que ton vaste amour ne le conçoit sans doute,
Ni tes suaves cieux, ni tes flots, ni tes routes,
Ni le vent clair sur tes rochers

N'ont permis à mes vœux d'atteindre ton essence,
En vain je recevais tes hautes confidences
Et ton élan universel;
Éperdue et cherchant où baiser ton visage,
Je voyais s'isoler tes brillants paysages,
J'ai pleuré sur un cœur mortel;

Sur ce si faible appui, dont la chaleur contente,
Je regardais vers toi, suprême confidente
D'un rêve immense et suffocant ;
J'espérais de mourir parmi les cantilènes
Que le désir humain, fougueux et hors d'haleine,
Emprunte à tes grands ouragans !

Je voyais bien tes soirs de juillet, chauds et pâles,
Le croissant délicat qui, dans l'air, s'intercale
Comme une barque peinte en blanc ;
Mon oreille et mes yeux se remplissaient d'extase.
Et je contemplais l'être en qui l'amour transvase
La beauté d'un soir calme et lent.

Je répandais sur lui, qui respire et qui rêve,
Ton infini passé, l'avenir, et la sève
De tes printemps toujours naissants.
Et refermant mes bras sur ce profond mensonge,
J'étais comme un oiseau précipité, qui plonge
Et s'abreuve au fleuve du sang !

Mais, hormis ces moments de suave incendie
Où la bonté de feu joint deux âmes hardies.
Fumantes comme un paquebot,
Aimer est une ardeur plus amère que tendre,
Car toujours se quitter, espérer et attendre
Creuse le cœur comme un tombeau.

Aussi, ne sois jamais inquiète, ù Nature,
Quand mon esprit, séduit par l'humble créature,
S'éloigne parfois de tes deux,
L'échange que je fais est redoutable et triste,
L'homme est faible et sans but, et ta noblesse assiste
Aux sanglots des voluptueux !

Toi non plus, tu ne peux combler, selon nos forces,
Par ton ciel, ton soleil, tes ondes, tes écorces.
Le désir de l'âme et du corps ;
Mais ta sainte indigence est du moins attentive.
Tandis que si l'amour déçoit l'âme, elle arrive
Aux portes mêmes de la mort !...

Les Forces Eternelles

615. Nous avons attendu - Vous étiez rêveur - Quand l'automne argenté

NOUS AVONS ATTENDU...


Nous avons attendu longtemps ce jour paisible,
Enflammé, trop heureux, où, seuls et clandestins,
Sans avoir à parler, tant l'esprit est visible.
Nous sentions se mêler nos chaleureux destins.
— Mais, cessant de nous taire et cherchant à comprendre
L'ineffable plaisir d'un sort brûlant et tendre,
Nous fûmes submergés d'un étrange malheur.
Pourtant, parfois la joie et la source du rire
Comme au flanc d'un coteau court autour de mon cœur
Hélas ! la passion cherche-t-elle à se nuire,
Ne s'agit-il donc pas de goûter le bonheur
Ensemble, mais de le détruire ?

VOUS ETIEZ REVEUR...

Vous étiez rêveur et tranquille,
Votre cœur ne désirait rien
Que le mol charme aérien
Des jours qui sont comme des îles ..

Moi j'étais encore une enfant
Mais violente, sérieuse,
Et j'ai mis mon bras triomphant
Et mon âme contagieuse
Contre vous. — Ah ! s'il se défend,
Votre esprit solitaire et triste.
Que pourrait-il puisque j'existe,
Et qu'à vos songes j'ai mêlé
Mes jardins, mon ciel étoile,
Le miel de l'air, le sel de l'onde.
Le chant mystérieux des mondes
Emplissant l'immense horizon,
Et mon délire, et ma raison...

QUAND L'AUTOMNE ARGENTÉ...

Quand l'automne argenté et froid comme un raisin
Souffle ses vents légers sur l'été qui s'épuise,
Quand la fraîche saison, à la fois claire et grise,
Comme un printemps plus vif a d'amoureux desseins,

Qu'il est doux de trouver dans des yeux qui fascinent
Ces vertiges puissants dont le cœur se repaît.
Et d'éprouver, tandis qu'une rêveuse paix
Sur la riche saison moelleusement chemine,
La vivace fierté d'un bonheur stupéfait
Qu'enveloppe l'odeur d'un jardin qui bruine...

Les Forces Eternelles

614. Prédestination - L'attrait

PREDESTINATION


Ce qui fut à jamais existe,
Je songe au cœur qui m'a tant nui,
Son amour était comme un triste
Violoncelle dans la nuit.

Il languissait, j'étais vivante;
La tristesse et la volonté
Sont vos deux royales servantes,
Langoureuse volupté !

— En quels siècles, chez quels ancêtres.
Dans quelle ombre, sous quels rayons,
Ont-elles commencé de naître
Ces invincibles unions ?

Nul ne dispose de ses rêves
A travers l'immense parcours
Que fait parmi l'humaine sève
Le savant instinct de l'amour..

L'ATTRAIT

Même sans la suave, insistante saison,
Qui me torture, hélas, de toutes ses essences,
Pourrais-je, mon amour, repousser ta présence,
Je suis la maladie et toi la guérison.

Un équilibre doux, tranquille, sur et sage
S'empare de ma vie à te voir respirer ;
En tous lieux je suffoque, et c'est ton seul visage
Qui me semble aéré !

Je suis le desservant et toi le tabernacle.
Tu me parais unique autant qu'universel.
Se peut-il que l'amour, étant un tel miracle,
De tous les grands bonheurs soit le seul naturel!

Le courage, la gloire et la bonté sublime
Exigent quelque effort dont on est orgueilleux,
Mais l'amour, d'un seul bond, atteint le haut des cimes,
Et s'unit au divin comme un regard aux cieux.

L’amour est humble, fier, jubilant, héroïque,
Il est la charité, car les amants entre eux
Quelle que soit leur grâce, ont la bonté tragique
De la sainte auprès du lépreux. […]

Les Forces Eternelles

613. Le passé - Ceux que la joie enivre -

LE PASSE

Je vis, mais jamais je n'oublie
Les brûlants instants du passé;
Cette immense mélancolie
Quand donc voudra-t-elle cesser ?
— Puissé-je perdre la mémoire
De ces jours violents, bénis.
Où, contente, je pouvais croire
Que mon sort s'était aplani.
Je meurs de ces tendres histoires..
C'est si long ce qui est fini !

CEUX QUE LA JOIE ENIVRE...

Ceux que la joie enivre à l'infini sont ceux
Que la douleur étreint dans la même mesure :
Inconsolables cœurs, heureux ou malheureux,
Ils portent une austère ou brillante blessure.
L'amour, le philtre unique aux humains proposé,
S'efforce d'empêcher ces âmes turbulentes
De rechercher encore, au delà des baisers,
L'océan de l'espace et l'ile de l'attente
Où, large oiseau tremblant, l'espoir vient se poser...
— Nous qui connaissons bien ces grands cœurs frénétiques
Où l'univers se meut sans heurter leurs parois.
Nous savons que l'amour est un refuge étroit :
Alentour, les climats, les parfums, les musiques
S'effacent, assoupis par le fort narcotique
Du sensuel bonheur et du subit effroi...
 — Tous les plaisirs épars que jamais on n'assemble,
Les beaux ciels du voyage, enduits de volupté,
L'étrangère cité sur qui la chaleur tremble.
Les odeurs d'un jardin bues dans l'obscurité,
Les orchestres errants des nuits siciliennes,
La mer, fécond parfum plein do complicité,
Enfin, tous les appels, sont des marchands qui viennent
Déployer les trésors de la félicité,
Dont le faste rêveur vers le désir nous mène...

— Car voici deux humains qui se sont reconnus !
Que leur importe un monde éblouissant ou nu ?
Ces deux humbles vivants, resserrés dans l'espace,
Dont les regards, les bras, les genoux sont liés,
Ne cherchent, dans la sombre ardeur qui les terrasse,
Ni les jardins d'Asie et ses chauds espaliers.
Ni le lac langoureux sur qui des barques passent.
Ni ces soirs infinis où l'espoir se prélasse.
Mais le bonheur restreint et sans fond d'oublier...
— Oublier ! Perdre en toi tout l'univers trop tendre,
Engloutir dans ton cœur l'eau d'or des ciels d'été,
Précipiter en toi, pour ne jamais l'entendre,
Le chant silencieux fusant de tous côtés,
Faire de notre amour une tombe profonde
Où parfums, sons, couleurs, s'épuisent, enfermés;
Abolir l'éphémère, envelopper les mondes.
N'être plus, être toi, dormir, mourir, aimer!...

Les Forces Eternelles

612. C'était la solitude - S'il est quelque autre chose au monde

C'ETAIT LA SOLITUDE...


C'était la solitude et sa féconde ivresse ;
Le vent des ciels du soir, plein d'une ample vigueur,
De la nue à la terre élançait ses caresses :
Je recevais avec une avide allégresse
Cet univers dissous qui pénétrait mon cœur !

Et l'espace, et l'espoir, et l'éternité même
Devenaient familiers à mon docile esprit ;
Les astres décelaient d'ineffables problèmes
A cette âme attentive où rien n'est circonscrit.

— Alors, me surprenant, — o toi qui seul existes, —
Amour, iniquité sublime, tu survins,
Chasseur turbulent, voleur jaloux et triste,
Fier de ton indigence et du désir divin.

Tu dispersas l’immense et vivant paysage
Qui sous mon front séduit mettait ses bonds légers ;
Et, pitoyable autant que féroce et sauvage,
Tu fixas dans cet être, à jamais ravagé,
La bonté de tes mains et l'air de ton visage...

S'IL EST QUELQUE AUTRE CHOSE AU MONDE...

S'il est quelque autre chose au monde que l'amour,
S'il est quelque autre attrait, quelque autre récompense,
A travers la multiple et prodigue dépense
Que l'homme fait de soi, en luttant, chaque jour,

Si l'effort, le labeur, la fierté, la justice,
Ont, dans leurs vœux secrets, un but plus convoité
Que celui de l'auguste et triste volupté
Où la force et l'espoir des âmes aboutissent,

Dites-le-moi, Nature, ordre divin des jours.
Triomphale douceur du printemps qui s'élance,
Dites-le, mouvement onduleux du silence
Où les sons assoupis rêvent, puissants et sourds !

Dites-le, nuits d'été où les astres s'empressent,
Et, par leur insistant et net crépitement,
Guident l'être, ébloui d'un immense tourment,
Vers l'orage et la paix des étroites caresses !

Dites-le-nous ! Ouvrez notre humaine prison,
Enseignez-nous ! Sinon, la hantise éternelle
Qui jaillit de l'instinct, que nourrit la raison,
Ne connaîtra jamais, en ses nobles saisons,
Que ce vacillement enflammé des prunelles,
Où l'univers sans but offre aux corps anxieux
La présence terrible et suave d'un dieu !

Les Forces Eternelles

611. Puisque nos sorts furtifs - Complainte

PUISQUE NOS SORTS FURTIFS..


Puisque nos sorts furtifs et toujours en péril
N'ont pas la même route et pas le même toit,
Mélancolique ami, mon compagnon d'exil,
N'entendrai-je jamais de musique avec toi ?

Ne serons-nous jamais roulés au creux des vagues
Que Chopin fait gémir dans ses profonds nocturnes,
Quand sa houle oppressée et son flot qui divague
Semblent un ouragan enfermé dans une urne ?

Ne verrai-je jamais, quand les chants de Mozart
Penchent leur politesse et leurs courtois saluts,
S'élargir lentement ton ténébreux regard
Où le profond désir luit comme un jour élu ?

— Musique aux bras ouverts, mère des convoitises,
Par quel secret soleil, quelle chaleur fatale,
Faites-vous se gonfler, sous vos torrides brises,
Les bouches dont on croit voir frémir les pétales ?

Quel est ce point du cœur que vous venez toucher,
Par qui tout l'édifice humain est chancelant,
Musique, conseillère et pardon des péchés,
Vous en qui le divin au mal va se mêlant !

Quel est votre souhait, sublime envahisseuse,
Pour que les solennels visages de ces femmes.
Pour que leur pureté ait cette audacieuse,
Cette agressive ardeur qui souffre et qui réclame ?

Yeux étonnés d'amour, yeux craintifs, yeux pâmés.
Qui, refusant la lutte, acceptant le hasard.
Et recherchant soudain un autre ardent regard,
S'y couchent comme un corps dans des bras refermés...

COMPLAINTE

Que m'importe la renaissance
De l'allègre et fidèle été ?
J'ai fini mon éternité,
Amour ! mon unique espérance !

Mes regards n'ont jamais cherché
Que ta présence insidieuse ;
L'azur est noir, la mer est creuse
Si soudain ton œil m'est caché.

Ma tristesse contemplative
Guettait tes dangers évidents ;
— Est-il nécessaire qu'on vive
Si le destin devient prudent ?

L'homme s'efforce, endure, pense,
Il veut contraindre l'avenir;
— On ne vit que pour t'obtenir,
Amour ! unique récompense.

Parfois j'évitais tes regards.
Je fuyais ; ta force latente
Me rassurait de toutes parts :
C'est une ivresse que l'attente !

J'entendais, dans les calmes soirs,
Bouillonner vers moi l'invisible ;
Qu'il est doux de ne rien avoir,
Alors que tout semble possible !

Il n'est rien pour- moi de réel,
Désir ! hormis toi, dans l'espace ;
Ton haleine éternelle passe
Entre les tombeaux et le ciel;

Sans qu'on te voie ou qu'on te nomme
C'est toi la seule activité,
Compagne unique de l'homme :
Promesse de la Volupté !

Les Forces Eternelles

610. Lorsque je souffre encor - Continuité

LORSQUE JE SOUFFRE ENCOR ….


Lorsque je souffre encor plus qu'à mon habitude
De ces maux accablants à travers quoi je vis,
Et que, ni les beaux cieux éventés, ni l'étude,
Ni mes regards toujours soulevés et ravis,
Ne peuvent rehausser mon esprit, asservi
Par la pusillanime et sombre inquiétude,
Je songe avec horreur à l'instant de ma mort,
A cet instant subit, étranger, sans espace,
Où contre un mur secret le faible corps se casse,
Déjà vidé d'amour, d'espoir et de remords...

- N'éviterai-je pas la hideuse amertume
De sentir, - quand la mort étrangle le mourant,
Le bâillonne, l'aveugle et le remplit de brume, —
Que ton être, qui fut ma force et ma coutume,
A mon esprit terni devient indifférent ?

CONTINUITÉ

Les véritables morts sont les cœurs sans audace
Qui n'ont rien exigé et qui n'ont rien tenté ;
Sous l'azur frénétique où d'autres sont rapaces
Ils n'ont pas bu l'espoir, ni dévoré l'été.

Ils n'ont pas su souffrir comme il convient qu'on souffre,
Sans plus pouvoir manger, dormir, ni respirer,
Pareils à ces poissons livides et nacrés
Qui gisent, arrachés hors du bleuâtre gouffre.

Le bonheur turbulent, qui réjouit les airs
Et jette un cri panique à quoi tout se rallie,
A vu ces cœurs peureux préférer leur désert
Au risque illimité de la mélancolie ;

Cependant tout est vif, continuel et sûr
De ce qui fut ! J'ai vu, sur une antique grève,
Des temples, absorbés par le sable et l'azur,
Prolonger le divin et poursuivre leur rêve.

Ainsi, les corps hardis, dont les vœux exaucés
Mêlent la joie au fiel que les Destins imposent,
Porteront dans la mort et ses métamorphoses
Le plaisir obtenu, qui ne peut pas cesser...

Les Forces Eternelles

609. L'adolescence - Mes yeux t'écoutent - Séparation

L'ADOLESCENCE


Peut-être n'avons-nous aimé que le plaisir.
Malgré la scrupuleuse et l'ascétique vie,
Malgré l'enchantement innocent des loisirs
(Sans tentation nette et presque sans envie,
Tant l'azur, l'horizon, l'imagination
Comblent une excessive et vague passion),
Peut-être n'avons-nous, femmes candides, sages,
Aimé que le plaisir. Peut-être n'avons-nous,
A travers la beauté des calmes paysages
Où le profond bonheur semble enclos et dissous,
Jamais rien aperçu, jamais rien voulu même
Que le désordre ailé des instants où l'on aime !
Bourgeonnement du chant des oiseaux au matin,
Lac où la blanche barque ondule sous sa tente,
Bonté, compassion, rêve, mémoire, attente,
Berline aux gais grelots passant dans le lointain,
Sacrifice accepté, refus de ce qui tente,
Tout ce que nous avons aimé, donné, souffert,
Amour pour les humains, amour pour l'univers,
Notre vie épandue, active, combattante,
Peut-être n'étiez-vous, — ô multiple soupir !
Que la forme infinie et sainte du plaisir...

MES YEUX T'ECOUTENT..

Mes yeux t'écoutent et te respirent,
Mon âme flotte hors de moi-même,
Je ne regrette ni ne désire,
Je t'aime.

Et cependant ce tendre accord
M'est moins doux que lorsque je presse
Ta main aux suaves caresses.
— Désir, spirituel transport,
Geste des âmes par les corps !

SEPARATION

La nuit a son odeur céleste et forestière,
Un vent froid et tranchant l'anime et la parcourt ;
Son vif méandre ainsi qu'une fine frontière
Semble écarter ma main de tes doigts pleins d'amour.

Je ne peux pas répondre à ta douceur plaintive;
La nuit ce sont les cieux et les arbres qui vivent ;
Nos deux rêves humains se sentent chacun seul,
Je ne t'écoute pas, j'écoute le tilleul
Exhaler dans l'éther ses langueurs expansives.
L'immensité nocturne a fasciné mon cœur.
Le silence est un dieu qui voudrait qu'on le suive.
Il flotte dans la nuit des tisanes d'odeurs...

Les Forces Eternelles

608. Repose toi, tais toi - L'être ne recherche

REPOSE-TOI, TAIS-TOI...


Repose-toi, tais-toi, respire seulement,
Pour enchanter mon cœur il suffit que tu vives,
Ton regard a le poids de deux noires olives
Dans ton visage pâle, anxieux et charmant.

Tu goûtes, en fumant, la chaleur catalane,
Dans un blanc cabaret, sur le sol de safran ;
On voit un aloès, un cimetière, un âne,
Et l'enivrant azur du ciel indifférent.

Et voici que, traînant leur guitare enjôleuse,
Deux graves mendiants, suffoqués par Tété,
Implorent de l'hôtesse, avec humilité.
Le vin acide et froid, dont l'odeur est rugueuse.

— Le plaisir tout à coup rend ton œil bondissant,
Tu viens de leur parler dans cette langue obscure
Qui semble mélanger la caresse et l'injure,
Et la fierté courtoise au secret menaçant.

Et voici que, riant, se lamentant, sans hâte,
Ils commencent pour toi, sur le sombre instrument.
Ce jeu astucieux d'acrobate et d'amant,
D'où le rythme heurté comme un orage éclate !

Et tu ne bouges plus, tu semblés étourdi .
Par cette frénésie implacable, acérée,
Et ton regard se perd dans le long paradis
De cette musique acre, agressive et bistrée...

L'ETRE NE RECHERCHE.

L'être ne recherche que soi
A travers le multiple choix
De l'amour et de ses orages.
Désir, somptueux voyage
Vers notre fascinante image
Qui nous exalte ou nous déçoit !
— C'est à soi-même qu'on veut plaire
Sur le cœur brûlant qui nous plaît,
Où, dans l'ivresse et la colère,
Ne sachant si l'on aime ou hait,
Par la volupté l'on espère
Mourir, — et ne mourir jamais !

Les Forces Eternelles

607. Je t'aime et je te hais - Ce regard est le tien

JE T'AIME ET JE TE HAIS...


Je t'aime et je te hais. Ces tristes mots renferment
La sombre passion qui ne peut s'assouvir,
Les nombreuses saisons mettront-elles un terme
A l'inimitié du désir ?

Souhaiterai-je un jour que tu vives ? Serai-je
Bonne pour toi autant que pour tous les humains,
Et faut-il que ma force en larmes te protège
Quand j'ai peur de tes lendemains !

CE REGARD EST LE TIEN..

Ce regard est le tien, et tu sais que j'en souffre
Parce qu'il est lui-même, et parfois tu voudrais
Savoir comment tes yeux possèdent le secret
De me faire osciller comme au-dessus d'un gouffre,
Par un mystérieux et délectable attrait...

Tu t'amuses, malgré ta gravité native,
A sentir ma détresse en hâte se mouvoir
Entre tous les aimants de ta grâce incisive.
Tu portes en riant cet injuste pouvoir.
Tu sais, sans le comprendre, et demeurant modeste,
Que je suis la victime insigne de ce choix
Que la nature fait pour nous, cruelle et preste :
Ensuite il faut subir l'amour qui nous échoit.
— Et, bien que nous soyons rapprochés par nos rêves,
Par nos mains, par nos voix, nos désirs et nos pas,
Nous sommes étrangers à l'instant où se lève.
Sans effort, dans tes yeux, tel un chant triste et bas,
Ce beau regard de toi que tu ne connais pas...

Les Forces Eternelles

606. Dans cette oppression
























Dans cette oppression qui lentement amène
Le cœur à confesser un amoureux secret,
Dont le désir convient, mais que l'orgueil tairait,
Écoutez-moi, Chimène !

J'ai longtemps redouté les suaves affronts
Qu'inflige au fier esprit une âme consumée,
Et j'affirmais, l'orgueil éclatant sur mon front:
« L'amour, c'est d'être aimée ! »

Je craignais le bonheur par le malheur doublé,
Ce langoureux bonheur dont les femmes expirent,
Et ces cruels désirs qui font se ressembler
La meilleure et la pire !

Plus qu'une autre j'ai vu, fixes ou passagers,
Des yeux voluptueux, battant comme des ailes,
S'efforcer de mêler dans mes graves prunelles
Mon cœur et l'étranger.

Je voyais ces regards pleins de bontés humaines,
Calices débordant de chaude charité,
Et bien que mon exil reconnût son domaine,
Je fuyais ces clartés ;

Mais ce soir mon amour est brûlant et prodigue :
Il donnerait le monde et trouve que c'est peu.
Aviez-vous cet élan, possédiez-vous ce feu,
Quand vous aimiez Rodrigue ?

Je songe à vous, Chimène, et pour mieux m'éblouir
J'entends le frais satin d'un pigeon qui s'envole;
Je vois, sur l'ambre clair du ciel pâmé, bleuir
La montagne espagnole.

La passion, Chimène, et la haute fierté
Veulent qu'on les accorde ou que l'amour périsse ;
Mais songez que peut-être il est quelque beauté
Dans l'entier sacrifice.

Peut-être a-t-on le droit, quel que soit le destin
Qui toujours met l'honneur en regard de l'ivresse,
De laisser consentir un cœur parfois hautain
Aux plus humbles caresses.

L'honneur est un tel bien que l'on ne peut, sans lui,
Ni respirer le jour ni supporter soi-même;
Mais on ne quitte pas l'honneur, on le conduit
Jusqu'au ciel quand on aime.

Aussi, lorsqu'un soupir vaste et silencieux
Animera bientôt la nuit secrète et vide.
Quand les parfums, la paix, le vent, comme un liquide.
Découleront des cieux,

Quand nous serons tout seuls, comme on voit sur la grève
Deux promeneurs errants aborder l'infini,
Quand nous nous sentirons, ainsi qu'Adam et Eve,
Isolés, rapprochés, vaincus, maudits, bénis,

Quand je ne verrai plus de l'univers immense
Qu'un peu du rosier blanc et qu'un peu de ta main,
Quand je supposerai que le monde commence
Et finit sur un cœur humain,

Quand j'entendrai chanter les astres, ces cigales
Dont l'éclat jubilant semble un bourdonnement ;
Lorsque je sentirai que l'amour seul égale
L'ordre et la paix du firmament,

Je jetterai mon front dans ta main qui m'enivre,
Je boirai sur ton cœur le baume essentiel,
Afin de n'avoir plus ce long désir de vivre
De ceux qui n'ont jamais goûté l'unique miel
Et qui ne savent pas que le bonheur délivre ;
Afin d'être sans peur, sans regrets, sans remords,
A l'heure faible de la mort...

Les Forces Eternelles

605. Le conseil


















Myro ou Moïro a vécu à Byzance.
Elle est l'épouse d'Andromaque le Philologue et la mère de Homère le Tragique.
Moïro est l'auteur de poèmes en hexamètres, d'épigrammes et de poésies.

Myro, sois déférente envers celui qui t'aime,
Ne crois pas ton doux corps par les dieux achevé,
Sans l'amant ébloui que ton œil fait rêver
Ton être vaniteux ne serait pas soi-même.

Loin du flot qui lui voue un murmurant amour
La rive d'or n'est plus qu'un sable désertique ;
Honore le désir fidèle et nostalgique
Qui fait à ta beauté un infini contour.

Lorsque tes pieds sont joints et tes mains refermées
A l'heure où le sommeil vient encercler ton lit,
Regarde, avant d'entrer dans l'éphémère oubli,
La morte que tu es quand tu n'es pas aimée...

Les Forces Eternelles

604. Le chant de Praxô

Je t'aime. J'ai trouvé le repos sur ton cœur;
Je t'aime et je te crois. Je n'étais pas heureuse,
J'interrogeais en vain la nue immense et creuse ;
Tu me suffis. Je suis ton épouse et ta sœur.

Je t'ai longtemps cherché. Les astres magnétiques,
Le chant des flûtes, l'air, le bruit mouillé des flots,
Promettaient à mon cœur, soulevé de sanglots,
Ton ardeur, à la fois tutélaire et panique !

D'où viens-je ? L'univers n'a jamais délié
Le nœud qui me retient unie au paysage.
Je suis moi-même azur, astre, torrent, feuillage,
Mais cette parenté j'ai voulu l'oublier.

Jadis le brasillant éther des matinées
Me faisait défaillir d'un bondissant amour,
J'ai vraiment retenu dans ma bouche étonnée
La saveur bleuâtre du jour !

Je souffrais cependant. Le chuchotant espace
Ne me répondait pas quand il m'interpellait,
Et mon cœur ressemblait à ces chevreaux voraces
Qui convoitent en vain les raisins violets.

Comment t'ai-je irrité ? J'entends bien ta colère,
Quel fut mon tort ? toi qui donnes le plaisir,
Sans doute as-tu le droit, si j'ai pu te déplaire.
De reprendre la joie et de m'en dessaisir.

Que crains-tu ? Entends-moi, je ne suis pas changeante,
J'ai gardé sans ennui la maison, quand mes sœurs
S'en furent par la route aux nombreuses odeurs
Saluer, loin d'ici, Pindare d'Agrigente.

S'il me faut te quitter, cher faune, je mourrai.
L'univers moite et bleu qui fut mon clair domaine
M'est moins apparenté que la chaleur humaine
Où s'apaisent mes vœux et mon songe effaré.

Que ferai-je sans toi ? Sur les rochers des sables,
Où la mer au doux bruit vient déplier son voile,
Je ne scruterai plus l'avenir ineffable,
Sous le ciel illustré d'étoiles !

Que m'importe à présent le suave chemin
Où l'odorant figuier, au feuillage écarté,
Semblait porter vers moi le ciel des nuits d'été,
Ce n'est plus qu'à travers la bonté de tes mains
Que mon cœur gémissant rejoint l'éternité...

Les Forces Eternelles

603. Le chant du faune

Praxô, j'ai désiré me mêler à ta vie
Parce que l'univers reflète en toi ses jeux,
Et que ton corps naïf, jubilant, orageux,
Me fait, comme le monde, une éternelle envie !

Ce n'est pas tant le feu turbulent de ma chair
Qui voulait s'humecter aux fraîcheurs de ton être.
Mais mon rêve vieilli, par ta grâce, pénètre
Plus avant dans le temps et le divin éther.

Mon âge, plein d'ennui, de saisons, de désastres,
Croyait aimer la mort mais poursuivait l'espoir,
C'est ton regard, levé vers la bonté du soir,
Qui m'accordait avec les astres !

Mais quoi ! Je t'ai captée et ne suis pas heureux !
J'ai vu ton corps dansant et pareil à la source
Arrêter dans mes bras sa palpitante course,
Et ce suave don me rend sombre et peureux !

Moi, faune des coteaux brûlés de Syracuse,
Qui vis pâlir l'azur à la mort du dieu Pan,
Aujourd'hui où ton cœur sur le mien se répand,
Praxô, rêveuse enfant, je souffre et je t'accuse!

Entends-moi, je suis vieux, j'ai l'âge de ces bois.
Le soleil m'a séché, je vais bientôt rejoindre.
Tandis que l'avenir court vers toi pour t'étreindre,
Les sphères dont le chant me touchait par ta voix !

Avant de te connaître en ta fureur céleste,
Je t'aimais sans regrets et te haïssais moins,
Je ne prévoyais pas ta force ardente et leste
Qui prend, dans le plaisir, les mondes à témoin.

Comment donc oublierais-je, âme perpétuelle.
Ce grand accroissement de ton corps vers les cieux,
Et l'appel effaré qui montait de tes yeux
Vers la nuit ordonnée et les lois éternelles ?

Jamais je n'oublierai ton esprit consolé,
Ce tranquille regard possesseur du mystère,
Et cette pesanteur muette et solitaire
Qui s'emparait soudain de ton être comblé.

Autrefois, tu semblais exemplaire et secrète,
L'animale lueur ne brillait point en toi.
Je saurai désormais que ton ardeur est prête
A conquérir la paix qui succède à l'effroi.

Jamais plus tu n'auras ta pudique tristesse
Cet innocent ennui qui parait ta beauté,
Cette errante stupeur que la nature oppresse»
Qui recherche l'espace et non la volupté !

Certes, ma passion pour ta jeunesse heureuse
Avait le pourpre éclat du flamboyant pavot,
Le harcelant soupir de la mer écumeuse,
Le fier hennissement matinal des chevaux ;

Mais ne pouvais-tu donc contrarier sans cesse
Ma colère sans fiel qui ne te nuisait pas ?
M'aimais-tu ? Je ne sais. Tes grondantes caresses
Mordaient à l'univers en enlaçant mes bras.

Va-t'en, laisse-moi seul. Sur ma flûte d'érable,
A l'ombre d'un laurier que juin vient défleurir,
Je pleurerai ta chair prompte à se réjouir.
Hélas! Cruelle enfant qui me fus favorable,

Pourquoi n'as-tu pas su me haïr ?

Les Forces Eternelles

602. La nuit - Ces pudeurs de l'esprit - Tu m'aimais moins

LA NUIT


Nuit sainte, les amants ne vous ont pas connue
Autant que les époux. C'est le mystique espoir
De ceux qui tristement s'aiment de l'aube au soir,
D'être ensemble enlacés sous votre sombre nue.

Comme un plus ténébreux et profond sacrement,
Ils convoitent cette heure interdite et secrète
Où l'animale ardeur s'avive et puis s'arrête
Dans un universel et long apaisement.

C'est le vœu le plus pur de ces pauvres complices
Dont la tendre unité ne doit pas s'avouer,
De surprendre parfois votre austère justice,
Et d'endormir parmi votre ombre protectrice
Leur amour somptueux, humble et désapprouvé...

CES PUDEURS DE L'ESPRIT..

Ces pudeurs de l'esprit que le désir entame,
Ces terreurs, ces appels, ces suffocations,
Ces plaintifs tutoiements, hardiesses de l'âme,
Ces forcenés plaisirs qui jettent les amants
Dans je ne sais quel pur et saint abaissement
Où l'âme, ange éploré, maudit le corps qui tremble.
C'est cela, mon amour, que nous avons ensemble...

TU M'AIMAIS MOINS...

Tu m'aimais moins quand tu m'aimais
Qu'un jour où tu me fus féroce ;
Puisqu'on n'est rassuré jamais,
Qu'il soit béni ce jour atroce
Où, violent, injuste et sourd,
Vibrant de meurtrière envie,
Tu disais dédaigner ma vie
Et la haïr sans mon amour.
— Quel excès pourrait mieux me plaire,
Parmi tous les désirs humains,
Que ces yeux glacés de colère,
Et ce crime au fond de ta main ?

Les Forces Eternelles

601. Paroles dans la nuit

Le soir est un lac pâle ; un floconneux nuage,
Tendre comme un œillet, fleurit le bleu du ciel.
C'est l'heure inexprimable où le bonheur voyage,
Invisible, certain, obstiné, sensuel.
Il n'est de ciel vivant qu'alentour des visages :
Aimons. Laisse mon front rêver sur tes genoux,
Bientôt ces soirs si beaux ne seront plus pour nous
L'on n'y pense jamais, mais la jeunesse passe,
Et puis le temps aussi, et c'est enfin la mort.
Reste, ne bouge pas. Que rien ne se défasse
De tes yeux sur les miens, de tes doigts que je morde
De tout ce qui nous fait si serrés dans l'espace,
Allégés de souhaits, de crainte et de remords,
Et conformes, enfin, aux éternelles choses
Où tout penche, s'apaise et humblement repose.
Il n'est que de mourir pour échapper au temps,
Et je suis morte en toi. A peine si j'entends,
Dans les confus soupirs de la nuit cristalline,
Le bruit léger d'un train faufiler la colline...

Mais mon cœur que l’amour avait exténué.
Hélas ! sent rebondir sa guerrière cuirasse.
Le vent de l'infini sur mon front s'est rué,
Il n'est jamais bien long le temps qui me harasse.
Est-ce qu'un jour mon cœur pourra n'espérer plus ?
J'ai toujours attiré tout ce que j'ai voulu.
Vivre, aimer, endurer, c'est toujours l'espérance :
Si je ne t'aimais pas du fond de ma souffrance,
Je pourrais, mon amour, croire espérer encor
Un autre triste amant dans un autre décor.
Tu comprends, n'est-ce pas, ce que ces mots expriment,
Puisque l'amour permet que l'on rêve tout haut ?
Ne te tourmente pas, mon âme est un abime
De fidélité triste, immense et sans défaut.
Je suis le haut cyprès, debout sur la pelouse,
Dont la branche remue au pas du rossignol,
Mais qui reste immobile et qui bénit le sol.
Tu rirais de savoir combien je suis jalouse.
Dès qu'un de tes regards semble fixer au loin
Je ne sais quel espoir, par quoi tu semblés moins
Exiger ma prodigue et turbulente offrande.
Mais je t'écoute vivre, et ta faiblesse est grande
Si je compare à toi mon cœur retentissant.
Comprends-moi, l'univers, pensif ou bondissant,
Avec sa grande ardeur céleste et souterraine,
Est toujours de moitié dans mes jeux et mes peines.
Ce conciliabule ébloui où je vis
Avec l'ombre agitée et les matins ravis
M'a donné mon orgueil rêveur et solitaire.
— Rien n'a jailli plus haut du centre de la terre î —
Et parfois, retournant sur toi mes bras chargés
De ce fardeau divin, invisible, léger,
Je te parais, dardant mes yeux mystérieux,
Un monstre lapidant un homme avec les cieux !
Tu ne peux déchiffrer cette énigme qui songe.
Et pourtant, mon esprit, sans masque et sans mensonge,
N'aime que toi, ne veut, ne peut aimer que toi,
Et c'est ce qui me rend souvent chétive et triste ;
Il est beau qu'un amour obstinément persiste
Et qu'il soit comme un ciel d'automne, lisse et coi,
Et qu'il connaisse aussi les misérables transes
Que même un sur désir traine encore après soi.
Mais quoi ! Ne plus goûter la subite présence
D'un bonheur vague encor, d'un brumeux paradis,
Ne plus rêver, d'un cœur craintif qui s'enhardit,
A quelque inconcevable et neuve complaisance...
Hélas ! N'écoute pas tous ces mots que je dis.
Mais j'avais tant aimé l'espérance !

Les Forces Eternelles

24/11/2012

600. Si le clair de lune

Si le clair de lune chantait,
Si l'eau parlait dans la fontaine,
Si quelque étoile consentait
A répondre au bruit des antennes,

Si le crissement langoureux
Des insectes dans les calices
Confiait à l'air vaporeux
Son mélancolique délice,

Si les arômes qui, le soir,
Gonflent la brise consentante,
Disaient leur ennui, leur espoir,
Et leur voluptueuse attente,

On entendrait une clameur
Exploser du sol à la nue,
Où tout soupirerait : « Je meurs,
Je vis, je suis, je continue... »

Amour, fraternité brûlante,
Excès d'âme et de charité,
Qu'elle soit foudroyante ou lente
La grave et noble volupté !

— Quand ses hymnes se seront tues,
Quand son tumulte aura cessé.
Si mon cœur las et délaissé
Bat encor, je veux qu'on me tue.

— Je mets sous l'invocation
De vos Saintes désordonnées,
Ces extases de passion,
Mon Dieu ! que vous m'avez données !

Les Forces Eternelles

599. Lorsqu'un jour sonnera

Lorsqu'un jour sonnera l'heure immense où tu meurs,
Et que, servant ton vœu fidèle à tes ancêtres,
Tes amis, épiant ta rêveuse torpeur,
Vers ton lit guideront les prêtres,

Quand, les yeux retirés de l'espace et du temps.
Ton esprit résigné dédaignera de faire
Aucun signe d'espoir à l'ingrate atmosphère
Qui rejette son assistant,

O mon unique amour, quand ton intelligence
Où le chaos du monde avait trouvé des lois,
Ne s'accointera plus que du puissant silence,
Veuille encore penser à moi !

Veuille, dans la terrible et calme solitude
De cet instant dont nul ne prendra la moitié,
Rappeler à ton cœur la tendre quiétude
De mes pieds noués à tes pieds ;

Veuille songer encor, — tandis que les prières
Bourdonneront sur toi en essaims assourdis, —
A ces grandes ardeurs, sombres et familières,
Où nos cœurs s'étaient enhardis !

Veuille te souvenir, cependant que l'on ôte
Avec l'huile funèbre et sainte tes péchés,
De cette indélébile et délectable faute
Des corps l'un sur l'autre penchés.

Songe à la nudité des membres et de l'âme
Que nous avons connue à l'heure où rien ne ment
Quel Dieu t'arracherait cette part de ma flamme ?
Ma joie est dans tes ossements !

Il suffit de l'instant turbulent où s'enlace
Un corps à l'autre corps parmi des pleurs cuisants,
Pour qu'aucun baume humain ou céleste n'efface
Ce cachet qui va s'enfonçant !

Il serait plus facile à la sorcellerie
De séparer le sel d'avec toute la mer,
L'astre d'avec les cieux, l'herbe de la prairie,
Que mon sang - de ton cœur amer !

Ainsi, ô mort comblé, tout empli de la sorte
De celle qui te fut si tendre aux jours vivants,
Lorsque tu sembleras, sur les bras qui t'emportent,
Un noir fardeau d'ombre et de vent,

Tu garderas encor, parmi les vagues forces
Qui composent sans fin le sort mouvant des morts,
L'amoureuse résine incluse dans l'écorce.
Et le long plaisir sans remords !...

Les Forces Eternelles

598. C'est après les moments - Il n'est pas un instant

C'EST APRES LES MOMENTS.


C'est après les moments les plus bouleversés
De l'étroite union acharnée et barbare,
Que, gisant côte à côte, et le front renversé,
Je ressens ce qui nous sépare !

Tous deux nous nous taisons, ne sachant pas comment,
Après cette fureur souhaitée et suprême.
Chacun de nous a pu, soudain et simplement,
Hélas ! redevenir soi-même.

Vous êtes près de moi, je ne reconnais pas
Vos yeux qui me semblaient brûler sous mes paupières;
Comme un faible animal gorgé de son repas,
Comme un mort sculpté sur sa pierre

Vous rêvez immobile, et je ne puis savoir
Quel songe satisfait votre esprit vaste et calme,
Et moi je sens encore un indicible espoir
Bercer sur moi ses jeunes palmes !

Je ne puis pas cesser de vivre, mon amour!
Ma guerrière folie, avec son masque sage.
Même dans le repos veut par mille détours
Se frayer encore un passage !

Et je vous vois content ! Ma force nostalgique
Ne surprend pas en vous ce muet désarroi
Dans lequel se débat ma tristesse extatique.
— Que peut-il y avoir, ô mon amour unique,
De commun entre vous et moi !

IL NEST PAS UN INSTANT...

Il n'est pas un instant où près de toi couchée
Dans la tombe ouverte d'un lit,
Je n'évoque le jour où ton âme arrachée
Livrera ton corps à l'oubli.

Se peut-il que se rompe une veine qui porte
Un même sang parmi deux corps,
Et que l'un des deux reste au moment que la porte
Se ferme sur celui qui sort ?

Qu'advient-il de' celui que le destin néglige,
De celui qu'on nomme vivant ?
Attend-il que la plaie à son côté se fige ?
De quel fiel va-t-il s'abreuvant ?

— Que valent donc les mots, les larmes, les caresses,
Le féroce accaparement
D'un un corps par l'autre corps, si ces promesses cessent
Au terrible et dernier moment ?

Qu'avons-nous souhaité dans le plaisir, cher être,
Si ce n'est d'être tour à tour
Celui qui meurt, celui qui voit l'autre renaître,
Celui qui l'assiste d'amour ?

Quand ma main sur ton cœur pieusement écoute
S'apaiser le feu du combat.
Et que ton sang reprend paisiblement sa route,
Et que tu respires plus bas,

Quand, lassés de l'immense et mouvante folie
Qui rend les esprits dévorants.
Nous gisons, rapprochés par la langueur qui lie
Le veilleur las et le mourant,

Je songe qu'il serait juste, propice et tendre
D'expirer dans ce calme instant
Où, soi-même, on ne peut rien sentir, rien entendre
Que la paix de son cœur content.

Ainsi l'on nous mettrait ensemble dans la terre,
Où, seule, j'eus si peur d'aller;
La tombe me serait un moins sombre mystère
Que vivre seule et t’appeler.

Et je me réjouirais d'être un repas funèbre
Et d'héberger la mort qui se nourrit de nous,
Si je sentais encor, dans ce lit des ténèbres.
L'emmêlement de nos genoux...



597. Similitude - Non l'univers n'est pas ...

SIMILITUDE


Nous sommes surpris tous les deux
D'être nous deux, et d'être ensemble ;
Nous devinons que nos yeux tremblent,
Errant sur le calme des cieux,
Et nous croyons, dans la faiblesse
De notre bonheur ample et coi,
Que ce beau ciel aussi nous voit,
Et que sa suave tristesse
Avec compassion s'abaisse
Sur vous qui songez près de moi...
— Ce serait un sublime échange
De tout secret essentiel,
Si la musique, comme un ciel
Qui soudain délivre ses anges.
Jaillissait de nous tout à coup.
De mes talons jusqu'à mon cou,
Épandait son langage étrange,
Ce saint langage sensuel
Que seule donne la musique ;
Et notre ardeur serait unique,
O mon amour, ma passion,
Si dans nos rêves sans remède
Nous sentions venir à notre aide
Cette ineffable explosion !...

NON, L'UNIVERS N'EST PAS..,

Non, l'univers n'est pas qu'un astre âpre et maudit;
Ame religieuse, il est des paradis.
Ne cherche pas trop loin ces conquêtes célestes,
Entre dans un jardin.
Le vent soyeux et leste
Se heurte en clapotant aux buissons luxueux.
— Suave hilarité du visage des dieux,
L'azur, émerveillé de lui-même, s'étonne !
Il exulte ! Les fleurs semblent être en cretonne
Tant leur tissu mielleux est naïf et pimpant-
Un plaisir sans déclin est partout en suspens.
Vois, contre l'ancolie obstinée et peureuse,
Voler et se buter l'abeille argumenteuse
Qui rompt, avec son bruit de grêlon et de vent,
La délicate paix des calices rêvant.
Sur la verte pelouse, où le soleil trépigne,
Un merle maladroit happe l'air et le mord ;
Un blanc magnolia, à peine éclos encor,
Sur son luisant feuillage est comme un œuf de cygne.
Qu'ils sont chauds et touffus les flocons bleus de l'air !
Entends jaillir, ainsi qu'une source au désert,
Cet hosanna d'oiseaux, ces vives accordailles,
Ces grains de voix qui sont d'argentines semailles
Dans les sillons d'azur du jubilant éther !
— Au centre d'un bosquet que la chaleur abîme,
Un rayon de soleil use comme une lime
Le pâlissant lilas, dont il vient mordiller
La tiède moelle vanillée...

— Mais si ces chauds parfums, ces azurs, ces silences,
Au plaisir de ton cœur mêlent des coups de lance,
Si dans ces paradis tu soupires encor.
Si le jour exalté te hèle et te torture,
Si tu ne peux vraiment supporter la Nature
Sans te sentir plus tendre envers un autre corps,
O cœur religieux, un corps est une église,
Un corps humain qui rêve est un temple entr'ouvert,
Il est le vase où naît et se meurt l'univers,
Il est aussi l'unique et puissante franchise
Où tu peux te guérir du triomphant été
Au prix de la tristesse et de l'humilité...

Les Forces Eternelles

596. Toute heure signifie























Toute heure signifie un désir, un espoir.
Qu’il est doux d'écouter, dans le calme du soir,
Quand la nuit de poussière et de rumeurs s'allège,
L’horloge du couvent, l'horloge du collège
Semer leur blé d'argent qui vient frapper le cœur !
Mais ce chant s'enfle et dit à l'homme : « voyageur,
Je suis le temps, jamais ma force ne s'arrête ;
Malgré la fraîche nuit, dont l'haleine est quiète,
Je suis le temps, porteur de l'incessant hasard.
Quoi ! tu te reposais de désirer ? Repars.
Je viens désappointer ton repos sage, intime.
Respire ! Le doux vent a l'élan maritime
Des brises au grand cœur qui poussent les vaisseaux.
Ce soir, où le feuillage est tout gonflé d'oiseaux.
Où l'on entend dans l'air, que des parfums incisent,
Sommeiller les maisons et méditer l'église.
Si tu n'étais vraiment qu'un esprit satisfait
Tu ne percevrais pas le murmure que fait
« Mon pas agitateur dans le dormant feuillage.
« Voyage par l'esprit, par le désir voyage !
« Ne reste pas soumis à ton sort quotidien.
« Les morts ne peuvent pas rompre le noir lien
" Qui les noue à la place exiguë et sans choix
« Où leur corps se défait subtilement.
Mais, toi,
« Es- tu un mort déjà pour que tu te reposes ?
« Quoi ! Tu n'attends plus rien, tu te résignes? Ose
« Repousser sourdement, par molle lâcheté,
« Le défi de bonheur qui vient des nuits d'été !
« Oui, le bonheur est dur, c'est un vent qui saccage,
« C'est la vague jouant avec le coquillage,
« C'est un ordre hardi envers un cœur guerrier...

« Mais quoi ! Lorsque j'exige ai-je l'air de prier?
« S'agit-il de convaincre et tenter ton courage ?
« Viens, esclave, je suis le séduisant orage,
« Le Destin, pour qui l'homme est un plaisant bétail:
« Qu'importent ton orgueil, ta vertu, ton travail,
" Tout ce que ta raison construit avec prudence ;
« Viens, sois aventureux, sois ivre, tremble, danse,
« Aime, souffre, provoque, admets la volupté,
« Pauvre être, collabore à mon éternité !
« O cœur toujours giclant sous une main pressante,
« Insecte que les nuits chaudes font s'allumer,
« Instinctive raison, âme phosphorescente,
« Crois-tu donc avoir fait autre chose qu'aimer ?
« Crois-tu avoir jamais écrit un seul poème,
Te fût-il inspiré par la beauté du jour,
Qui n'ait été pour toi une action d'amour,
Un cri audacieux, par quoi tu disais : « J'aime. »
J'aime, je veux, j'attends », dit ton chant vif ou lourd;
Et ta voix qui semblait fringante et souveraine,
N'est que cette lugubre et plaintive sirène
Des vaisseaux dans la nuit appelant au secours ! »
Ainsi parle la voix qui pénètre les moelles.
- Et voici que, levant alors vers les étoiles
Tes yeux qui reposaient sur un livre choisi,
N’écoutant plus le bruit délicat et transi
Que fait sous le zéphyr ma persienne de toile,
Je n'ai que du dégoût et du détachement
Pour ma calme demeure.
O nuit ! ô firmament !
Provocateurs divins, prometteurs sans relâche,
Quelle est donc nettement, longuement notre tâche,
Si l'austère devoir insulte à vos projets ?
Si l'apaisant ennui où mon cœur se rangeait
Irrite la vigueur violente des astres?
Vous aimez le plaisir, vous aimez le désastre,
Ainsi vous ramenez dans vos cruels chemins
Le troupeau effrayé et prudent des humains,
Ne devons-nous jamais atteindre enfin le havre ?
L’amour prend-il l'esprit et le sol le cadavre,
Inexorablement, jusqu'à la fin des temps ?
S'agit-il, pour l'esclave humain, d'être content ?
Est-ce là son effort unique, ardu, suprême,
L'ineffable butin à quoi tout cœur prétend ?

— Et soudain, un conseil qui monte de moi-même,
Accède, hélas, aux vœux qui me viennent du soir,
Et je murmure, avec un sombre et triste espoir.
Tandis que le vent vif a la fraîcheur de l'onde :
Je me soumets à vous, Amour, impôt du monde.
Carnassier dont le croc met sa pointe profonde
Dans tout corps respirant qui n'est que ton forçat !
Il ne se pouvait pas que la corde cassât
Qui lie à ton vouloir ma course de nomade ;
Tu es parfois distrait, mais si l'âme s'évade
Tu l'enroules, ô maître, à ton puissant poignet!
Tout être t'appartient dès le moment qu'il naît.
Et jamais plus ce cœur n'appartient à soi-même.
Je sens bien tes raisons; oui, je ressens l'extrême
Frivolité d'avoir voulu choisir la paix.
Le monde est tout entier l'agneau dont se repaît
Ton riant appétit. Non, je ne suis pas lâche.
Je le sais bien, qu'il faut que tu mordes et mâches
Tout ce qui est vivant, bondissant, fleurissant,
Pour propager le souffle animal et le sang
Avec une féroce et limpide innocence !
Mais je sais bien aussi que ta dure exigence
Est suave, que seul tu peux vaincre la mort.

— Animateur sacré, Contempteur du remords,
Je sais que tout se meut, agit, combat, endure
Pour que l'humaine vie et les jeunes verdures
Aient dans l'immense espace un éternel retour !
Je sais que l'arche altière et noble de l'amour,
Où chaque être se croit élu, libre et vivace,
Ressemble au joug qui joint et courbe sous sa masse
Les deux fronts accolés des grands bœufs au labour.
Oui, je sais tout cela. Je referme le livre
Où mon esprit calmé, sans souffrir d'être seul
Gisait.
Sur le feuillet, net et mince linceul,
Les mots écrits avaient le froid léger du givre.
C'est vrai que je cessais d'être triste et de vivre.
Mais ton œil a surpris, ô pasteur des humains,
Mon visage sans flamme appuyé sur ma main,
Et tu n'as pas permis que ta plus chère esclave
Échappât mollement à ton torrent de lave.

Que te dirai-je, ô dieu ? j'ai peur; j'ai tant souffert
De bonheur, de douleur ; le diamant, le fer
Ne sont pas plus aigus qu'un regard qui torture,
Les yeux sont les démons gardiens de la nature :
Pôles mystérieux où songent les aimants !
Que puis-je souhaiter ; je ne sais pas moi-même ;
Tout trouble, tout déçoit, tout se défait, tout ment.
Mais j'entends que mon cœur murmure faiblement.
En évoquant des morts l'austérité suprême :
« Dormir encor un soir près d'un enfant qui m’aime... »

Les Forces Eternelles


                                          A Prague

595. Si nous vivions un jour

Si nous vivions un jour dans la même maison,
Après nos longs labeurs qu'il est vain de poursuivre,
Le temps ne me serait qu'une seule saison.
Avec ses étés ou son givre.

Je pourrais repousser, dans un si noble accord,
Ce chant de l'infini qui veut qu'on lui réponde,
Après avoir, abeille aux lumineux transports,
Recomposé sur toi le monde !

Je plierais ma tempête à tes calmes conseils,
Sans même que ma flamme en soit diminuée.
— J'apaiserais en moi les chevaux du soleil
Qui me traînaient dans la nuée !

J'aimerais le moment où le puissant répit
Du sommeil accapare et baigne ton visage,
Où ton mobile esprit s'embue et s'assoupit,
Où tu dors comme le feuillage,

Comme l'humble feuillage indistinct et mêlé
Qui n'est plus qu'une part de la nuit sérieuse,
Et te voyant ainsi, sans projets, accablé,
Je pourrais enfin être heureuse !

Heureuse de ta paix de dolent animal
Où tout le grand péril des désirs humains cesse,
Et comme tout de toi m'aurait pu faire mal.
Je songerais à ta jeunesse !

A ta jeunesse avide et qui n'avait d'égards
Pour aucun corps rêveur que le destin opprime,
Et je comparerais tes dédaigneuses cimes.
A ton lent sommeil sans regard !

Je songerais à ta jeunesse combative.
Que je n'ai pas connue et dont j'aurais souffert.
Puisqu'il m'est quelquefois trop poignant que tu vives,
Surcroît de mon univers !

De mon bel univers qui n'avait que mon âge
Quand je l'ai fait jaillir, romanesque et naissant,
De la présomption de mon jeune courage
Et de la chaleur de mon sang !

Ah ! Comment saurais-tu, sombre joueur de viole,
La rage de minuit à des orgues pareil,
Ce qu'est le flamboiement d'une âme qui s'envole
Piller les vergers du soleil ?

Comment comprendrais-tu, forêt du nord qui laisses
La lune romantique en toi sonner du cor,
Une fille d'Atlas qui soulève et caresse
L'univers lié à son corps ?

Tu ne sauras jamais ce qu'est mon clair mystère :
Ce sublime remous de courage et d'azur !
Mais comme nous serions ensemble solitaires,
Tout me serait bon, net et sûr.

Et tandis que, le front courbé sur ta personne,
Je grouperais en toi tout ce que j'ai cherché,
Par la fenêtre ouverte où le lierre frissonne,
Je verrais les astres penchés,

La lune, allègre et ronde, et les astres près d'elle,
Je les verrais, penchés sur nous, et s'étonner
Que mon cœur ébloui, qui pour eux était né,
Ne leur soit pas resté fidèle !

— Et tout cela, mon Dieu! parce qu'en mon exil
Terrestre, au bord d'un lac que les mouettes paissent
Le turbulent destin a tissé fil à fil
Mon délire avec ta tristesse !

Les Forces Eternelles

594. Confession - Libération

CONFESSION


Je t'aime comme on aime vivre,
A mon insu, et cependant
Avec ce sens craintif, prudent,
Qu'ont surtout les cœurs les plus ivres !

J'ai douté de toi, mon amour.
Quelle que soit ta frénésie.
Puisqu'il faut qu'il existe un jour
Au loin, où, ni la poésie,

Ni les larmes, ni la fureur,
Ni cette vaillance guerrière
Qui criait au Destin : « Arrière ! »
N'agiront contre ce qui meurt.

Jamais je ne fus vraiment sûre
De te voir, quand je te voyais :
Ce grand doute sur ce qui est
C'est la plus fervente blessure !

Tu sais, on ne peut exprimer
Ces instinctives épouvantes :
J'ai peur de n'être pas vivante
Dès que tu cesses de m'aimer !

LIBERATION

La nuit par sa tiédeur vient prolonger la chambre,
La fenêtre est ouverte, et l'on se sent uni
A ce scintillement chuchotant, infini,
Des étoiles d'argent et de la lune d'ambre.

J'ai détourné de vous, tumultueux ami,
Après cet esclavage où tout l'être a frémi.
Mon esprit attiré par la beauté des choses.
— Tandis que votre front contre mon bras repose.
Mon cœur, libre de vous, de soi-même dispose.
Je renoue avec l'air ma noble parenté :
Le silence savant, les cieux, l'éternité
Me conquièrent avec un verbe énigmatique.
La nuit me parle ainsi qu'à son enfant unique.
Comme la blanche étoile au bord des cieux d'ébène,
Je me sens rayonner dans l'ombre ; nulle gène
N'embarrasse ma pure et calme vanité ;
Et je me sens puissante, indolente, tranquille
Comme un profond jardin de palmiers dans une île..
— Mon douloureux Destin s'est en vous arrêté,
O nuit secrète et courte entre deux jours d'été !

Les Forces Eternelles

593. Tristesse de l'amour
















Les femmes, mon amour, craignent la rêverie.
Tu ne peux pas savoir de quel poids la langueur
Les accable. Le soir, quand la calme prairie
Émet des parfums frais comme un sorbet d'odeur,

Quand le vent noir circule, invisible danseuse,
Et semble vouloir plaire aux astres attentifs,
Quand, au bas du coteau, un train prompt et furtif
Lance comme un torrent sa force aventureuse,

Quand sur la ville calme, et que l'ombre abolit,
Tout à coup le suave et copieux silence
Noblement se construit, navigue et se balance,
Aérien vaisseau sur l'éther amolli,

Les femmes sont sans joie, et se désintéressent
Du sublime univers, plein de vœux inconnus ;
L'esprit bouleversé, ces ardentes prêtresses
S'épouvantent du rêve en leur cœur contenu.

— Amants, ayez pitié de ces bêtes divines,
Aimez ce corps qui meurt, ce corps qui va mourir.
Ces fronts contemplatifs que la beauté chagrine,
Que rien, hormis l'amour, ne pourrait secourir !

Les femmes ne sont pas romanesques, l'espace
Qui séduit leurs regards et les vient envahir,
Ne leur offre jamais aucun but qui dépasse
L'éblouissement grave et constant du désir !

Ne leur demandez pas d'être amplement sincères.
Les mots ne servent pas leur vaste vérité,
Ces rêveuses, tandis que vos bras les enserrent,
Poursuivent le divin parmi la volupté.

Ne leur demandez pas d'être humblement fidèles,
Leur cœur puissant a droit à d'infinis détours ;
Leur détresse ressemble à ces cris d'hirondelles
Qui jettent sur le soir tant d'adieux et d'amour !

Lorsque leur turbulent et confiant désordre
S'abat entre vos mains, dans leurs instants sacrés.
C'est l'immense univers qui leur donne des ordres,
Et vous n'êtes jamais qu'un répit préféré.

Rien d'autre que l'amour n'occupe ces furies,
Leur douceur, leur bonté n'est qu'un humble présent
Que leur âme attentive, anxieuse et meurtrie,
Accorde à vos désirs, moins que les leurs puissants !

Les Forces Eternelles

592. Tranquilité

Après le jour luisant d'entrain
Voici la nuit, dévote et fine,
Il semble que le ciel s'incline
Par le poids des astres sereins.
Le souffle saccadé d'un train
Transmet à la calme colline
Sa palpitation d'airain.
Dans l'ombre, les bruits qui scintillent,
— Bruits de pas, de voix, de volets, —
Semblent polis comme des billes,
Comme les grains d'un chapelet.
— O nuit, compatissant mystère !
Se peut-il, quand l'air est si doux
Et semble penser avec nous.
Qu'il y ait des morts dans la terre !

— Je n'ai besoin de rien ce soir
Grâce à ta tendresse amoureuse,
Une âme n'est vraiment heureuse
Que sans projets et sans espoirs.
Nous parlons sans cesse de l’âme,
Pourtant, après ce long plaisir,
Tout nous est paresse et loisir,
Plus rien en nos cœurs ne réclame ;
Nous pourrions vivre ou bien mourir
Contents ainsi, calmes, à l'aise.
— O mon cher compagnon, serait-ce
Qu'on ne souffre que de désir ?

Les Forces Eternelles

591. Parques, nul coeur ne sait ....















" Clotho, nommée d'un mot grec qui signifie « filer »  tient le fil des destinées humaines.
On la représente portant une couronne formée de sept étoiles, et tenant une quenouille qui descend du ciel en terre.
La couleur qui domine dans ses draperies est le bleu.

Lachésis, nom qui en grec signifie « sort » ou « action de tirer au sort », est la Moire qui met le fil sur le fuseau.
Ses draperies sont couleur de rose.
Atropos, « inévitable » en grec, coupe impitoyablement le fil qui mesure la durée de la vie de chaque mortel."

PARQUES ! NUL CŒUR NE SAIT...

Parques ! Nul cœur ne sait ce qu'il lui reste à vivre,
Ni quel jour doit le rendre à jamais oublieux.
— Fol azur tout chauffé de soleil, je m'enivre
D'autant plus âprement des cieux voluptueux !

Cieux éblouissants, ô possesseurs prodigues
D'un flot tumultueux qui ne peut pas faiblir,
Ne romprez- vous jamais l'indiscernable digue
Qui sépare de moi votre irritant plaisir ?

Hélas ! Mon Orient, mes étés, mes Espagnes,
Espace où j'ai partout voulu mettre les mains,
Habitantes des cieux, Pléiades! je m'éloigne
De vos airs fraternels et pourtant inhumains !

— Puisque je ne peux pas arracher à la nue
Cette dure beauté qui nourrit le désir
Sans le rassasier ! Puisque je m'exténue
A fasciner l'éther qu'on ne doit pas saisir,

Désespérons du ciel sur le sein l’un de l'autre,
Mon amour ! Laisse-moi retomber sur ton cœur,
Défions les transports de l'azur par le nôtre,
Opposons l'âme immense à l'univers moqueur.

La Nature a trompé ses flatteurs les plus tendres,
Jamais ses beaux jardins fleuris ne sont cléments
A deux corps inquiets que l'ardeur vient surprendre.
J'aime la pauvre chambre où rêvent deux amants...

Mais l'âpre volupté par qui l'être est exsangue
Hélas ! ne tarit pas notre désir ce soir,
Car rien, hormis la mort, ne laisse apercevoir
L'âme, ce fruit serré dans une double gangue
D'éphémère liesse et d'épais désespoir,

— Et j'aime mieux ton âme, ù donneur de caresses,
Dussé-je m'épuiser entre le pain et l'eau
Dans un cloître sans air, près d'une rude abbesse
Qui réglerait nos pas dans un étroit enclos.
Que l'indéfinissable et mortelle détresse
Qui suit le carnassier et langoureux sanglot !...

Les Forces Eternelles

590. Le reproche - Le noble éther des nuits

LE REPROCHE


Il n'aurait pas fallu que vous fussiez méchant,
Ou du moins seulement à ces moments extrêmes
Où les femmes, gisant dans un rêve oppressant,
Ne cherchent plus le cœur des hommes qu'elles aiment.

Mais j'étais ce soir-là sage et triste. Pourquoi
Ai-je vu votre injuste et brumeuse colère ?
Je ne connaissais plus vos yeux ni votre voix,
Et votre cruauté ne savait pas me plaire.

Mon esprit, recherchant la céleste amitié,
S'épouvantait ainsi qu'un vaincu qu'on désarme;
Vous n'aviez pas le droit de m'infliger des larmes
Hors du plaisir, qui n'a pas besoin de pitié !

J'accepte que votre âme âprement se soulève
Aux instants où ma vie en la vôtre s'achève
Parmi tant de fureur et d'intrépidité ;
Mais parfois le désir impétueux fait trêve,
Ces jours-là ont besoin de charme et de bonté ;
Il faut plus de bonheur à l'amour lorsqu'il rêve
Qu'il n'en faut à la volupté !

LE NOBLE ÉTHER DES NUITS..

Le noble éther des nuits, mon amour, condescend
A courber sur nous deux sa bonté qui se pâme;
Nous rêvons, et pourtant ce n'est pas innocent, '
Sans nous voir nous tremblons de nous sentir présents.
Tant la volupté vient de l'âme !

Toi prudent, moi gonflée d'un éclatant amour
Que la divine paix de t'approcher modère.
Nous regardons la sombre et ductile atmosphère
Où les astres brillants sont des fragments de jour,
J'écoute nos deux voix se taire tour à tour,
Comme on se tait quand on espère.

Le vent fait crépiter un arbre vert et brun.
Comme le blé léger rompu par la faucille.
Mes refus, dans tes bras, se défont un à un,'
Il ne reste de moi, tant mon être vacille.
Que ce qui reste encor de l'encens qui grésille
Entre la flamme et le parfum !

Mon amour, le désir qui déchire et dévoile,
Qui comble, qui saccage, et achève et détruit,
A-t-il mêlé nos corps jusqu'aux profondes moelles.
Mon âme est hors de moi, l'infini m'éblouit,
Me suis-je unie à toi, me suis-je unie à lui,
Je sens que mon cœur s'est, dans la fougueuse nuit,
Accordé avec les étoiles !

Les Forces Eternelles

589. Ainis, lorsque j'étais une enfant - Le silence

AINSI, LORSQUE J'ÉTAIS UNE ENFANT…..


Ainsi, lorsque j'étais une enfant qui rêvait,
Par l'azur éblouie et que l'azur étonne,
Lorsque je regardais, grave, petite et bonne.
Le frelon mol et creux flotter sur le duvet
Des chauds géraniums dont le parfum grésille;
Quand j'étais cette franche, humble petite fille.
Qui donne tout son bien aux pauvres, et qui croit
Qu'un mendiant est Dieu descendu de sa croix,
Et que je saluais lentement, jusqu'à terre,
Ce pauvre; quand j'étais une enfant solitaire
Qui regardait monter, le cœur plein de sanglots,
La fumée amicale aux toits bruns des hameaux,
Et que, l'âme toujours liée à la nature.
Ayant le doux bonheur d'errer au bord d'un lac.
Je voyais les flots clairs, sémillante froidure,
Se bercer sur la rive ainsi qu'un bleu hamac,
Tu dépensais déjà tes lascives caresses,
Homme voluptueux, sur de vaines maîtresses,
Qui, ne comprenant rien à ton esprit hautain,
S'étonnaient que tes yeux cherchassent au lointain
La passion unie à de nobles décences !
Et moi, je m'en venais, du fond de mon enfance,
Vers toi ; j'enrichissais mon cœur, fait pour t'échoir.
Des secrets dévoilés que nous livre le soir,
Quand la molle atmosphère, où les parfums s'enlisent,
A l'ample gravité rêveuse des églises.
— Et je songe aujourd'hui, avec un doux effroi.
Que ce jardin plus clair que de fraîches faïences.
Cette pudique odeur de la nuit dans les bois.
Cette ivre charité, cette sainte innocence,
Ces poétiques dons du sort tendre et courtois,
Homme passionné, me conduisaient vers toi !

LE SILENCE

Écoute, on n'entend rien. Que le silence est beau!
Il est, ainsi que l'aube et la nuit étoilée,
Sans souffle, sans projets, sans voix et sans écho...
C'est un jour chaud dormant sur une immense allée,
C'est midi terrassant de sommeil les hameaux,
C'est une grotte froide avec de l'eau verdâtre
Qui gît dans le granit comme un miroir brisé ;
C'est un chemin du soir, immobile, apaisé,
Où décroissent les pas des troupeaux et du pâtre.

— Silence ! Balcon sur la mer à minuit !
Pointe hardie, étroite et sableuse des grèves,
Qui s'en va de la terre et prolonge son rêve
Au loin, entre le ciel qui songe et l'eau qui luit!...
— Silence ! Majesté, candeur, sainte colombe
Qui couve l'on ne sait quel œuf immense et pur;
Colonne de douceur, indiscernable trombe
Faite d'âme rêveuse et d'invisible azur !...

— Et je vous dis cela, cette nuit, mon ami,
Car, lasse de bénir les lourds trésors du monde
Sur votre chère épaule où je dors à demi,
J'écoute le silence, onduleux comme l'onde.
Oui, le silence est frais ainsi que l'eau qu'on boit,
Il est prudent et fier comme un faon dans les bois,
Il paraît s'assoupir et cependant il danse !
Et j'observe, l'esprit tendu comme un chasseur,
— Tandis que je languis d'amour sur votre cœur
Dont j'entends en pleurant les mortelles cadences —
La course illimitée et pure du silence !

Les Forces Eternelles

588. Ce ne sont pas les mots - Solitude

CE NE SONT PAS LES MOTS...


Ce ne sont pas les mots les plus étincelants
Qui pourraient définir la force qui nous lie :
Les vocables : bonheur, enchantement, folie,
Ne sont pas si profonds, si vastes, ni si lents
Que cet illimité et conscient bien-être
Qui me fait respirer avec les cieux ! Peut-être
Pourrions-nous baptiser nos suaves moments
Du beau nom de plaisir et de contentement.
— Être content : splendeur, possession du monde !
Royauté d'un tranquille et bleuâtre Océan ;
Plénitude sans hâte, indolence féconde,
Qui font se ressembler l'excès et le néant.
Contentement ! Ce dont aucun humain n'est digne,
Ce dont nul ne jouit qu'avec la crainte insigne
Qu'il lui faudra bientôt, sûrement, expier
Cette fortune intruse, innocente et suprême...
Contentement : par quoi tout corps cherche à prier !
— Et je connais cela par ton amour ! Je t'aime,
Étranger qui prends tout et qui m'as tout donné,
Commencement de moi du jour où tu es né,
Toi mon sang véritable, et ma vie hors moi-même...

SOLITUDE

Je t'aime, mais je rêve, et mon être sans borne,
Quand le croissant des nuits montre sa belle corne,
Attiré vers les cieux par des milliers d'aimants,
S'élance, et va s'unir à tous les éléments.

Pourtant c'est toujours toi que mon désir réclame,
Mais comment pourrais-tu dominer sur mon âme,
Si tu ne peux bannir de mon cœur ébloui

Ce pouvoir d'espérer par quoi je te trahis ?

Les Forces Eternelles

587. Chant de Daphnis - Chant de Chloe

Daphnis et Chloé est présenté sur les manuscrits comme un ensemble de « pastorales de Longus ». Tout ce que nous savons de Longus figure dans son œuvre : celui-ci se présente comme un chasseur découvrant par hasard, à Lesbos, un tableau dans un sanctuaire représentant l'allégorie de l'Amour. Il se le fait expliquer par un guide local, et décide aussitôt de composer un récit sur le même sujet.
Le roman, fortement inspiré par la poésie bucolique, et également par les Idylles de Théocrite, se déroule sur quatre livres. Le sujet de Daphnis et Chloé se distingue des autres romans grecs par son décor bucolique et l’ironie constante qui préside au déroulement de l’action. Celle-ci a lieu dans la campagne, près de la cité de Mytilène. Daphnis est un jeune chevrier, enfant trouvé. Chloé, quant à elle, une bergère, également enfant trouvée. Ils s’éprennent l’un de l’autre mais de multiples rebondissements les empêchent d’assouvir leur amour. C'est avant tout leur éducation sentimentale qui est décrite tout au long de ces péripéties. À la fin du roman, chacun retrouve ses véritables parents, et la noce peut avoir lieu. (Source Wikipédia)
























CHANT DE DAPHNIS

Ne reste pas distraite ainsi. Le plaisir veut
Que lentement l'esprit l'observe et le conçoive,
Et que le pied soyeux, l'épaule et les cheveux
Autant que le regard et les lèvres le boivent.

C'est un dieu susceptible et fier que le désir.
Sa suprême bonté de feu ne se hasarde
Que vers l'esprit soumis qui se laisse envahir,
Et dans son miel cuisant languissamment s'attarde.

Pauvres humains, fuyez les faibles vanités,
N'engagez pas vos jours dans de vaines parades,
Que resto-t-il aux morts, sinon d'avoir été
Un moment de la vie et de l'éternité,
Quand le corps attentif et l'âme par saccades
Atteignent à la volupté ?























CHANT DE CHLOE

Un brûlant frelon vient se pendre
Au mol clocheton d'une fleur.
Ils s'unissent : on peut entendre
Un bruit volant, vibrant, ronfleur.
C'est un baiser cuisant et tendre,
Et la fleur feint de se défendre
Contre la flambante rumeur
Qui distend sa grâce ténue...

Puis le frelon, léger, repart.
On croit voir voler dans la nue
L'âme jaspée du léopard,
Cependant que, dans son calice
Remué, déchiré, rêveur,
La docile et constante fleur
Retient un meurtrier délice.

L'insecte n'a pas tant d'ardeur
Que cette fleur qu'il vient de fendre.

O mon amour, peux-tu comprendre
Ce que c'est que la profondeur ?...

Les Forces Eternelles