02/02/2012

362. Francis James : à Anna de Noailles

Francis Jammes

Un jour tu vins me voir dans ce pays sauvage,
Et je devinai vite alors que c'était toi,
Car tes yeux pleins de nuit ravageaient ton visage
Pâle comme la lune, et versaient leur émoi.

Près des mêmes rosiers qui te tendaient leurs lèvres
S'étend le grand silence où tu me laisses seul.
Ce soir, le rossignol qui brûlait de tes fièvres
Mourra dans cette sphère opaque du tilleul.

Et moi, loin des amis pressés à ton cortège,
Moi jaloux du printemps qu'ils jetteront sur toi,
Je ne pourrai t'offrir que ces flocons de neige
Où passe un chant funèbre entonné par ma voix.

Mais bientôt je prendrai, comme on fait au village
Alors qu'on mène un deuil, lourde comme du plomb,
La croix dont le sommet parfois touche au feuillage,
La croix qui t'étonnait, ô fille d'Apollon

Et je la porterai, troussé dans cette cape
Dont ta bouche fermée a parlé si souvent,
Et que soulèvera l'orage qui s'échappe
D'un coeur qu'ont balayé l'injustice et le vent.

Et je la planterai, ma soeur, ma bien-aimée,
Sur le calvaire étroit dominant Hasparren,
Afin que par-delà les monts et la vallée
Sa douce ombre s'étende et te rejoigne au loin.