10/10/2010

120. "Le baiser"

Le baiser (Rodin)
 Couples fervents et doux, ô troupe printanière !
Aimez au gré des jours.
Tout, l'ombre, la chanson, le parfum, la lumière
Noue et dénoue l'amour.

Épuisez, cependant que vous êtes fidèles,
La chaude déraison,
Vous ne garderez pas vos amours éternelles
Jusqu'à l'autre saison.

Le vent qui vient mêler ou disjoindre les branches
A de moins brusques bonds
Que le désir qui fait que les êtres se penchent
L'un vers l'autre et s'en vont.

Les frôlements légers des eaux et de la terre,
Les blés qui vont mûrir,
La douleur et la mort sont moins involontaires
Que le choix du désir.

Joyeux ; dans les jardins où l'été vert s'étale
Vous passez en riant,
Mais les doigts enlacés, ainsi que des pétales,
Iront se défeuillant.

Les yeux dont les regards dansent comme une abeille
Et tissent des rayons,
Ne se transmettront plus, d'une ferveur pareille,
Le miel et l'aiguillon,

Les coeurs ne prendront plus, comme deux tourterelles,
L'harmonieux essor,
Vos âmes, âprement, vont s'apaiser entre elles,
C'est l'amour et la mort

Le cœur innombrable, poèmes, Calmann-Lévy, 1901

119. Un poème à écouter : "Enfance"

Louise LAVATER lit "Enfance" de la Comtesse de Noailles. BNF Gallica. Bibliothèque numérique

118. Anna de Noailles et Amphion

Le texte qui suit est extrait de l"ouvrage de François Broche : "Anna de Noailles, un mystère en pleine lumière". Biographies sans masque. Editions Robert Laffont. 1989. ISBN 2-221-05682-5

Aux premiers jours du printemps, au plus tard juste après les fêtes de Pâques, l'on quittait l'avenue Hoche pour la Savoie. Si Grégoire et Rachel n'avaient pu venir, les trois enfants partaient, accompagnés des domestiques et des précepteurs. On prenait le train de nuit à la gare de Lyon et, au matin, on découvrait avec ravissement Ambérieu et les pentes du mont Luisandre. Le convoi s'engageait alors dans la cluse de l'Albarine, qui précédait le défilé des Hôpitaux; les enfants n'avaient d'yeux que pour ce paysage dentelé, parsemé de petits lacs et de châteaux en ruine, tel celui de Virieu, qui avait appartenu à Honoré d'Urfé.
A Culoz, on passait sur la rive droite du Rhône; on longeait le Grand Colombier et l'on parvenait bientôt à Bellegarde. La matinée s'avançait et l'on savait que l'on irait de merveille en merveille: la gorge de la Valserine et son viaduc de onze arches, le grand tunnel du Credo, le défilé de l'Écluse, le lac enfin, « apparition bénie» ! On laissait Genève à gauche; Thonon n'était plus qu'à une trentaine de kilomètres. Les bagages étaient rassemblés depuis longtemps; après l'ultime traversée de la Dranse, on arrivait enfin à Amphion (aujourd'hui: Amphion-les-Bains). La vraie vie commençait.
[…] A la fin des années 1870, le chalet« Bassaraba» à Amphion et ses alentours n'étaient qu'une friche. D'emblée, le prince avait voulu changer cela, jouant les bâtisseurs; il avait réuni les corps de métiers de la région; il ne s'était pas contenté des entreprises locales, il avait recruté d'excellents artisans dans l'arrière-pays, ce Chablais à moitié sauvage cher à Henry Bordeaux, pays de vignobles robustes et desséchés, de prairies, de taillis et de jardins incultes, qui s'étend entre le lac et une énorme barre de rochers.
Le prince de Brancovan avait commandé de grands travaux. Il ne s'agissait pas seulement de rendre le chalet plus confortable, d'aménager les dépendances, connues sous le nom de ferme Duchêne, mais aussi de construire un véritable château de style romano-byzantin, dont les plans avaient été conçus par Viollet le Duc. Il fallait également modifier le paysage, combler un étang, en creuser un autre plus grand, plus beau, aménager un petit port de plaisance, prévoir un court de tennis, planter une immense allée de platanes, des bosquets de sapins, d'ormeaux, de thuyas, des pelouses ... Grégoire voyait large et il n'avait pas l'intention de se laisser arrêter par la dépense; il y eut du travail pour tout le monde pendant trois années. Visitant les lieux quelques années plus tard, Claude Vento pourra écrire de la jolie villa d'Amphion : «C'est un bouquet de fleurs posé sur le lac, dans le site le plus ravissant de cette côte féerique».
Qui fit présent de la lyre aux mortels ? Hermès, fils de Zeus et de Maia, le messager des dieux, le dieu des marchands et des routes, ou Amphion, fils d'Antiope et de Zeus, qui avait pour Apollon une dévotion particulière ? La version généralement admise désigna Hermès, mais on oublie souvent que le fils de Maia était également un voleur et un menteur proverbial. La vérité est sans doute intermédiaire, comme il arrive souvent: sans doute Hermès inventa-t-il la lyre, mais c'est bien Amphion qui tira de l'instrument les sons les plus mélodieux que l'on entendit jamais sur les pentes de l'Olympe et alentour; c'est également lui qui eut l'intuition d'y ajouter trois cordes - innovation révolutionnaire qui lui assura une renommée universelle.
Par la suite, Amphion ne se contenta pas de charmer les hommes et même les animaux, qui accouraient des quatre coins pour l'entendre, mais aussi - et cela est encore plus extraordinaire - le vent qui cessait de souffler, les arbres qui interrompaient le bruissement de leurs feuilles et même, dit-on, les pierres qui, lorsqu'il jouait, s'assemblaient en rond autour de lui, se plaçant là où il le désirait. C'est ainsi qu'un jour, il éleva à lui seul les remparts d'une puissante ville aux sept ports, à laquelle Zethos, son frère jumeau, donna le nom de sa femme: Thébé, ou Thèbes.
La légende d'Amphion n'est pas la plus connue de la mythologie grecque, c'est sûrement l'une des plus subtiles. Le son clair de la lyre s'oppose à la stridence de la flûte venue d'Asie; la lyre est vouée à la raison et se prête au calcul, elle est pré accordée, alors que la flûte empirique réclame une combinaison du souffle et du doigté. C'est la lyre qui donna aux Grecs l'idée de la gamme fondatrice, qu'avant eux seuls les Chinois avaient entrevue.
Ce nom d'Amphion évoquera toujours pour Anna l'endroit où elle fut le plus souvent et le plus longtemps heureuse; il lui paraissait symboliser parfaitement l'accord entre l'Art - c'est-à-dire tous les arts, à commencer par ceux qu'elle chérissait le plus: la musique et la poésie - et la Nature. Que l'endroit où elle avait eu, depuis les temps les plus anciens, la conscience parfaitement claire de renaître à la vie et à l'Esprit, se nommât ainsi ne pouvait relever de la coïncidence (page 37, 38, 39).

117. Un manuscrit de la Comtesse de Noailles

116. Anna de Noailles et la revue "Annales"

115. Anna de Noailles et Rabindranath Tagore

Rencontre entre la Comtesse de Noailles et Rabindranath Tagore, chez Albert Kahn

114. Un portrait de la comtesse de Noailles