24/10/2011

314. Poème de l'Amour. 05

5. XXXIV


Le temps n'a pas toujours une égale valeur,
Tu cours et je suis immobile,
Je t'attends; cela met quelque chose en mon coeur
De frénétique et de débile !

J'entame avec l'instant un infime combat
Que départage le silence.
L'heure, qui tout d'abord semblait me parler bas,
Frappe soudain à coups de lance.

Elle semble savoir, et garder son secret,
Le destin se confie à elle;
On ne pénètre pas dans cette ample forêt
Où rien n'est promis ni fidèle !

Puisque la passion, en son sauvage trot,
Gaspille sa richesse amère,
Révérons ces instants de la vie éphémère
Dont chacun nous semblait de trop !

Attendre: épuisement sanglant de l'espérance,
Tentative vers le hasard,
Hâte qui se prolonge, indécise souffrance
De savoir s'il est tôt ou tard !

Impatience juste, exigeante et soumise,
À qui manque, pour bien lutter,
Le pouvoir défendu de refaire à sa guise
L'univers puissant et buté !

Certes, mon coeur ne veut te faire aucun reproche
Des minutes que tu perdais;
Tu me savais vivante, active, sûre et proche,
Moi, cependant, je t'attendais !

Sans doute la démente et subite tristesse
Qui se mêle aux jeux éperdus
Est le profond sanglot refoulé que nous laisse
La douleur d'avoir attendu !

313. Poème de l'Amour. 04

4. XXVI


Matin, j'ai tout aimé, et j'ai tout trop aimé;
À l'heure où les humains vous demandent la force
Pour aborder la vie accommodante ou torse,
Rendez mon coeur pesant, calme et demi-fermé.

Les humains au réveil ont besoin qu'on les hèle,
Mais mon esprit aigu n'a connu que l'excès;
Je serais tel qu'eux tous, Matin ! s'il vous plaisait
De laisser quelquefois se reposer mon zèle.

C'est par mon étendue et mon élan sans frein
Que mon être, cherchant ses frères, les dépasse,
Et que je suis toujours montante dans l'espace
Comme le cri du coq et l'ouragan marin !

L'univers chaque jour fit appel à ma vie,
J'ai répondu sans cesse à son désir puissant
Mais faites qu'en ce jour candide et fleurissant
Je demeure sans vœux, sans voix et sans envie.

Atténuez le feu qui trouble ma raison,
Que ma sagesse seule agisse sur mon coeur,
Et que je ne sois plus cet éternel vainqueur
Qui, marchant le premier, sans prudence et sans peur,
Loin des chemins tracés, des labours, des maisons,
Semble un dieu délaissé, debout sur l'horizon.

XXXII

Quand tu me plaisais tant que j'en pouvais mourir,
Quand je mettais l'ardeur et la paix sous ton toit,
Quand je riais sans joie et souffrais sans gémir,
Afin d'être un climat constant autour de toi;

Quand ma calme, obstinée et fière déraison
Te confondait avec le puissant univers,
Si bien que mon esprit te voyait sombre ou clair
Selon les ciels d'azur ou les froides saisons,

Je pressentais déjà qu'il me faudrait guérir
Du choix suave et dur de ton être sans feu,
J'attendais cet instant où l'on voit dépérir
L'enchantement sacré d'avoir eu ce qu'on veut:

Instant éblouissant et qui vaut d'expier,
Où, rusé, résolu, puissant, ingénieux,
L'invincible désir s'empare des beaux pieds,
Et comme un thyrse en fleur s'enroule jusqu'aux yeux !

Peut-être ton esprit à mon âme lié
Se plaisait-il parmi nos contraintes sans fin,
Tu n'avais pas ma soif, tu n'avais pas ma faim,
Mais moi, je travaillais au désir d'oublier !

Certes tu garderas de m'avoir fait rêver
Un prestige divin qui hantera ton cooeur,
Mais moi, l'esprit toujours par l'ardeur soulevé,
Et qu'aurait fait souffrir même un constant bonheur,

Je ne cesserai pas de contempler sur toi,
Qui me fus imposant plus qu'un temple et qu'un dieu,
L'arbitraire déclin du soleil de tes yeux
Et la cessation paisible de ma foi !

312. Poème de l'Amour. 03.

3. XXIII


Je n'attends pas de la Nature
Qu'elle ajoute à mon coeur fougueux
Par sa lumière et sa verdure,
Et pourtant le printemps m'émeut:

Ces mille petits paysages
Que forment les arbres légers
Gonflés d'un transparent feuillage
M'arrêtent et me font songer
Je songe, et je vois que ton être,
Que je n'entourais que d'amour,
Me touche bien quand le pénètre
Le subit éclat des beaux jours !

Sous cet azur tu ne ressembles
Plus à toi seul, mais à mes voeux,
À ce grand coeur aventureux,
Aux voyages qu'on fait ensemble,

Aux villes où l'on est soudain
Rapprochés par le romanesque,
Où la tristesse et l'ennui presque
Exaltent le suave instinct.

J'imagine que la musique,
La chaleur, la soif, les dangers,
Rendraient le plaisir frénétique
Dans la maison des étrangers !

Il ne serait pas nécessaire
Que tu comprisses ces besoins,
Tu pourrais languir et te taire,
Dans l'amour l'un seul a des soins.

Mais si je ne dois te connaître
Que dans un indolent séjour,
Loin des palais où les fenêtres.
Montrent les palmiers dans les cours,

Loin de ces rives chaleureuses
Où, les nuits, les âmes rêvant
Prennent, dans l'ardeur amoureuse,
Les cieux constellés pour divan,

Si jamais, - bonheur de naguère,
Enfance! Attente! Volupté! -
Nous ne goûtons la joie vulgaire
Et tendre, dans les soirs d'été,

De voir que flamboie et fait rage
La foire dans un petit bourg,
Et que le cirque et son tapage
Viennent s'immiscer dans l'amour,

Je me bornerai à ta vie,
Aux limites de tes souhaits,
Repoussant le dieu qui convie
À fuir la tendresse et la paix.

311. Poème de l'Amour. 02

2. XIV


Jadis je me sentais unique,
Je vivais sous mes propres lois.
Aujourd'hui j'échange avec toi
La vie orageuse et mystique.
Songe, à ce transfert magnifique !
Par ce tendre appauvrissement
Je n'ai plus rien qui soit vraiment
Ma solitude et ma défense;
Et même quand la nuit commence,
Solitaire, avec le fardeau
De ta vague et pesante absence,
Le glissant enchevêtrement
Des sombres cheveux sur mon dos
N'appartient plus à mon repos,
Mais me rattache à toi. - Je pense
À ta suave bienfaisance,
Quand tu jettes à demi-mot,
À travers la grâce et l'offense,
Sur mon coeur bandé de sanglots,
Un chant moins long que mon écho...
XIX

La pluie est cette nuit d'été
En marche à travers le feuillage;
On perçoit son léger tapage
Pointu, dansant et velouté.
- Mon coeur rêve avec fixité,
Et déborde de ton image !
J'entends, sur mon balcon étroit,
Tomber par groupe deux et trois
De ces belles larmes timides.
Ainsi rouleraient de mes yeux
Des perles de cristal humide,
Si soudain bon, silencieux,
Dissipant la vive tristesse
Que me causent l'âme et le corps,
Tu me livrais avec paresse
(Car j'accepte tes maladresses,
Ô toi pour qui tout est effort !)
Ce baiser par quoi je m'endors...

310. Poème de l'Amour. 01

1. III


Je voudrais bien qu'on départage
Le double vœu qui me combat:
- Je souhaite ne vivre pas,
Mais je veux revoir ton visage !

Certes, la mort est le seul lieu
Qui convienne à ce corps trop triste,
Mais il faut encor que j'existe:
Je ne peux pas quitter tes yeux !

L'espace, le ciel, la nature
Me plaisent moins que le tombeau;
Je n'aime plus nulle aventure,
Mais savoir que tu vis est beau

Savoir que tu vis, être sûre,
D'être seule à le savoir tant !
Dois-je te faire la blessure
De te rendre moins existant ?

Qui veux-tu qui jamais respire
Ton être avec tant de grandeur ?
Et songe que tu me fais peur,
À moi, la meilleure et la pire !...

IV

Quand mon esprit fringant, et pourtant aux abois,
A tout le jour souffert de sa force prodigue,
L'heure lasse du soir vient m'imposer son poids;
Merci pour la fatigue !

Peut-être que la peur, l'orgueil, l'ambition
Peuvent, par leur angoisse aride et hors d'haleine,
Recouvrir un instant ma triste passion;
Merci pour l'autre peine !

Rétrécissant sur toi le confus infini,
Je ne situais plus que ton coeur dans l'espace;
Le sombre oubli des nuits te rend ta juste place;
Le sommeil soit béni !

Parfois, abandonnée à ma hantise unique,
J'ignore que le corps a ses humbles malheurs,
Mais la souffrance alors m'aborde, ample et tragique;
Merci pour la douleur !

N'octroyant plus au temps ses bornes reposantes,
Tant le désir rêveur m'offre ses océans,
Tu me désapprenais la mort; elle est présente;
Merci pour le néant...