24/11/2012

600. Si le clair de lune

Si le clair de lune chantait,
Si l'eau parlait dans la fontaine,
Si quelque étoile consentait
A répondre au bruit des antennes,

Si le crissement langoureux
Des insectes dans les calices
Confiait à l'air vaporeux
Son mélancolique délice,

Si les arômes qui, le soir,
Gonflent la brise consentante,
Disaient leur ennui, leur espoir,
Et leur voluptueuse attente,

On entendrait une clameur
Exploser du sol à la nue,
Où tout soupirerait : « Je meurs,
Je vis, je suis, je continue... »

Amour, fraternité brûlante,
Excès d'âme et de charité,
Qu'elle soit foudroyante ou lente
La grave et noble volupté !

— Quand ses hymnes se seront tues,
Quand son tumulte aura cessé.
Si mon cœur las et délaissé
Bat encor, je veux qu'on me tue.

— Je mets sous l'invocation
De vos Saintes désordonnées,
Ces extases de passion,
Mon Dieu ! que vous m'avez données !

Les Forces Eternelles

599. Lorsqu'un jour sonnera

Lorsqu'un jour sonnera l'heure immense où tu meurs,
Et que, servant ton vœu fidèle à tes ancêtres,
Tes amis, épiant ta rêveuse torpeur,
Vers ton lit guideront les prêtres,

Quand, les yeux retirés de l'espace et du temps.
Ton esprit résigné dédaignera de faire
Aucun signe d'espoir à l'ingrate atmosphère
Qui rejette son assistant,

O mon unique amour, quand ton intelligence
Où le chaos du monde avait trouvé des lois,
Ne s'accointera plus que du puissant silence,
Veuille encore penser à moi !

Veuille, dans la terrible et calme solitude
De cet instant dont nul ne prendra la moitié,
Rappeler à ton cœur la tendre quiétude
De mes pieds noués à tes pieds ;

Veuille songer encor, — tandis que les prières
Bourdonneront sur toi en essaims assourdis, —
A ces grandes ardeurs, sombres et familières,
Où nos cœurs s'étaient enhardis !

Veuille te souvenir, cependant que l'on ôte
Avec l'huile funèbre et sainte tes péchés,
De cette indélébile et délectable faute
Des corps l'un sur l'autre penchés.

Songe à la nudité des membres et de l'âme
Que nous avons connue à l'heure où rien ne ment
Quel Dieu t'arracherait cette part de ma flamme ?
Ma joie est dans tes ossements !

Il suffit de l'instant turbulent où s'enlace
Un corps à l'autre corps parmi des pleurs cuisants,
Pour qu'aucun baume humain ou céleste n'efface
Ce cachet qui va s'enfonçant !

Il serait plus facile à la sorcellerie
De séparer le sel d'avec toute la mer,
L'astre d'avec les cieux, l'herbe de la prairie,
Que mon sang - de ton cœur amer !

Ainsi, ô mort comblé, tout empli de la sorte
De celle qui te fut si tendre aux jours vivants,
Lorsque tu sembleras, sur les bras qui t'emportent,
Un noir fardeau d'ombre et de vent,

Tu garderas encor, parmi les vagues forces
Qui composent sans fin le sort mouvant des morts,
L'amoureuse résine incluse dans l'écorce.
Et le long plaisir sans remords !...

Les Forces Eternelles

598. C'est après les moments - Il n'est pas un instant

C'EST APRES LES MOMENTS.


C'est après les moments les plus bouleversés
De l'étroite union acharnée et barbare,
Que, gisant côte à côte, et le front renversé,
Je ressens ce qui nous sépare !

Tous deux nous nous taisons, ne sachant pas comment,
Après cette fureur souhaitée et suprême.
Chacun de nous a pu, soudain et simplement,
Hélas ! redevenir soi-même.

Vous êtes près de moi, je ne reconnais pas
Vos yeux qui me semblaient brûler sous mes paupières;
Comme un faible animal gorgé de son repas,
Comme un mort sculpté sur sa pierre

Vous rêvez immobile, et je ne puis savoir
Quel songe satisfait votre esprit vaste et calme,
Et moi je sens encore un indicible espoir
Bercer sur moi ses jeunes palmes !

Je ne puis pas cesser de vivre, mon amour!
Ma guerrière folie, avec son masque sage.
Même dans le repos veut par mille détours
Se frayer encore un passage !

Et je vous vois content ! Ma force nostalgique
Ne surprend pas en vous ce muet désarroi
Dans lequel se débat ma tristesse extatique.
— Que peut-il y avoir, ô mon amour unique,
De commun entre vous et moi !

IL NEST PAS UN INSTANT...

Il n'est pas un instant où près de toi couchée
Dans la tombe ouverte d'un lit,
Je n'évoque le jour où ton âme arrachée
Livrera ton corps à l'oubli.

Se peut-il que se rompe une veine qui porte
Un même sang parmi deux corps,
Et que l'un des deux reste au moment que la porte
Se ferme sur celui qui sort ?

Qu'advient-il de' celui que le destin néglige,
De celui qu'on nomme vivant ?
Attend-il que la plaie à son côté se fige ?
De quel fiel va-t-il s'abreuvant ?

— Que valent donc les mots, les larmes, les caresses,
Le féroce accaparement
D'un un corps par l'autre corps, si ces promesses cessent
Au terrible et dernier moment ?

Qu'avons-nous souhaité dans le plaisir, cher être,
Si ce n'est d'être tour à tour
Celui qui meurt, celui qui voit l'autre renaître,
Celui qui l'assiste d'amour ?

Quand ma main sur ton cœur pieusement écoute
S'apaiser le feu du combat.
Et que ton sang reprend paisiblement sa route,
Et que tu respires plus bas,

Quand, lassés de l'immense et mouvante folie
Qui rend les esprits dévorants.
Nous gisons, rapprochés par la langueur qui lie
Le veilleur las et le mourant,

Je songe qu'il serait juste, propice et tendre
D'expirer dans ce calme instant
Où, soi-même, on ne peut rien sentir, rien entendre
Que la paix de son cœur content.

Ainsi l'on nous mettrait ensemble dans la terre,
Où, seule, j'eus si peur d'aller;
La tombe me serait un moins sombre mystère
Que vivre seule et t’appeler.

Et je me réjouirais d'être un repas funèbre
Et d'héberger la mort qui se nourrit de nous,
Si je sentais encor, dans ce lit des ténèbres.
L'emmêlement de nos genoux...



597. Similitude - Non l'univers n'est pas ...

SIMILITUDE


Nous sommes surpris tous les deux
D'être nous deux, et d'être ensemble ;
Nous devinons que nos yeux tremblent,
Errant sur le calme des cieux,
Et nous croyons, dans la faiblesse
De notre bonheur ample et coi,
Que ce beau ciel aussi nous voit,
Et que sa suave tristesse
Avec compassion s'abaisse
Sur vous qui songez près de moi...
— Ce serait un sublime échange
De tout secret essentiel,
Si la musique, comme un ciel
Qui soudain délivre ses anges.
Jaillissait de nous tout à coup.
De mes talons jusqu'à mon cou,
Épandait son langage étrange,
Ce saint langage sensuel
Que seule donne la musique ;
Et notre ardeur serait unique,
O mon amour, ma passion,
Si dans nos rêves sans remède
Nous sentions venir à notre aide
Cette ineffable explosion !...

NON, L'UNIVERS N'EST PAS..,

Non, l'univers n'est pas qu'un astre âpre et maudit;
Ame religieuse, il est des paradis.
Ne cherche pas trop loin ces conquêtes célestes,
Entre dans un jardin.
Le vent soyeux et leste
Se heurte en clapotant aux buissons luxueux.
— Suave hilarité du visage des dieux,
L'azur, émerveillé de lui-même, s'étonne !
Il exulte ! Les fleurs semblent être en cretonne
Tant leur tissu mielleux est naïf et pimpant-
Un plaisir sans déclin est partout en suspens.
Vois, contre l'ancolie obstinée et peureuse,
Voler et se buter l'abeille argumenteuse
Qui rompt, avec son bruit de grêlon et de vent,
La délicate paix des calices rêvant.
Sur la verte pelouse, où le soleil trépigne,
Un merle maladroit happe l'air et le mord ;
Un blanc magnolia, à peine éclos encor,
Sur son luisant feuillage est comme un œuf de cygne.
Qu'ils sont chauds et touffus les flocons bleus de l'air !
Entends jaillir, ainsi qu'une source au désert,
Cet hosanna d'oiseaux, ces vives accordailles,
Ces grains de voix qui sont d'argentines semailles
Dans les sillons d'azur du jubilant éther !
— Au centre d'un bosquet que la chaleur abîme,
Un rayon de soleil use comme une lime
Le pâlissant lilas, dont il vient mordiller
La tiède moelle vanillée...

— Mais si ces chauds parfums, ces azurs, ces silences,
Au plaisir de ton cœur mêlent des coups de lance,
Si dans ces paradis tu soupires encor.
Si le jour exalté te hèle et te torture,
Si tu ne peux vraiment supporter la Nature
Sans te sentir plus tendre envers un autre corps,
O cœur religieux, un corps est une église,
Un corps humain qui rêve est un temple entr'ouvert,
Il est le vase où naît et se meurt l'univers,
Il est aussi l'unique et puissante franchise
Où tu peux te guérir du triomphant été
Au prix de la tristesse et de l'humilité...

Les Forces Eternelles

596. Toute heure signifie























Toute heure signifie un désir, un espoir.
Qu’il est doux d'écouter, dans le calme du soir,
Quand la nuit de poussière et de rumeurs s'allège,
L’horloge du couvent, l'horloge du collège
Semer leur blé d'argent qui vient frapper le cœur !
Mais ce chant s'enfle et dit à l'homme : « voyageur,
Je suis le temps, jamais ma force ne s'arrête ;
Malgré la fraîche nuit, dont l'haleine est quiète,
Je suis le temps, porteur de l'incessant hasard.
Quoi ! tu te reposais de désirer ? Repars.
Je viens désappointer ton repos sage, intime.
Respire ! Le doux vent a l'élan maritime
Des brises au grand cœur qui poussent les vaisseaux.
Ce soir, où le feuillage est tout gonflé d'oiseaux.
Où l'on entend dans l'air, que des parfums incisent,
Sommeiller les maisons et méditer l'église.
Si tu n'étais vraiment qu'un esprit satisfait
Tu ne percevrais pas le murmure que fait
« Mon pas agitateur dans le dormant feuillage.
« Voyage par l'esprit, par le désir voyage !
« Ne reste pas soumis à ton sort quotidien.
« Les morts ne peuvent pas rompre le noir lien
" Qui les noue à la place exiguë et sans choix
« Où leur corps se défait subtilement.
Mais, toi,
« Es- tu un mort déjà pour que tu te reposes ?
« Quoi ! Tu n'attends plus rien, tu te résignes? Ose
« Repousser sourdement, par molle lâcheté,
« Le défi de bonheur qui vient des nuits d'été !
« Oui, le bonheur est dur, c'est un vent qui saccage,
« C'est la vague jouant avec le coquillage,
« C'est un ordre hardi envers un cœur guerrier...

« Mais quoi ! Lorsque j'exige ai-je l'air de prier?
« S'agit-il de convaincre et tenter ton courage ?
« Viens, esclave, je suis le séduisant orage,
« Le Destin, pour qui l'homme est un plaisant bétail:
« Qu'importent ton orgueil, ta vertu, ton travail,
" Tout ce que ta raison construit avec prudence ;
« Viens, sois aventureux, sois ivre, tremble, danse,
« Aime, souffre, provoque, admets la volupté,
« Pauvre être, collabore à mon éternité !
« O cœur toujours giclant sous une main pressante,
« Insecte que les nuits chaudes font s'allumer,
« Instinctive raison, âme phosphorescente,
« Crois-tu donc avoir fait autre chose qu'aimer ?
« Crois-tu avoir jamais écrit un seul poème,
Te fût-il inspiré par la beauté du jour,
Qui n'ait été pour toi une action d'amour,
Un cri audacieux, par quoi tu disais : « J'aime. »
J'aime, je veux, j'attends », dit ton chant vif ou lourd;
Et ta voix qui semblait fringante et souveraine,
N'est que cette lugubre et plaintive sirène
Des vaisseaux dans la nuit appelant au secours ! »
Ainsi parle la voix qui pénètre les moelles.
- Et voici que, levant alors vers les étoiles
Tes yeux qui reposaient sur un livre choisi,
N’écoutant plus le bruit délicat et transi
Que fait sous le zéphyr ma persienne de toile,
Je n'ai que du dégoût et du détachement
Pour ma calme demeure.
O nuit ! ô firmament !
Provocateurs divins, prometteurs sans relâche,
Quelle est donc nettement, longuement notre tâche,
Si l'austère devoir insulte à vos projets ?
Si l'apaisant ennui où mon cœur se rangeait
Irrite la vigueur violente des astres?
Vous aimez le plaisir, vous aimez le désastre,
Ainsi vous ramenez dans vos cruels chemins
Le troupeau effrayé et prudent des humains,
Ne devons-nous jamais atteindre enfin le havre ?
L’amour prend-il l'esprit et le sol le cadavre,
Inexorablement, jusqu'à la fin des temps ?
S'agit-il, pour l'esclave humain, d'être content ?
Est-ce là son effort unique, ardu, suprême,
L'ineffable butin à quoi tout cœur prétend ?

— Et soudain, un conseil qui monte de moi-même,
Accède, hélas, aux vœux qui me viennent du soir,
Et je murmure, avec un sombre et triste espoir.
Tandis que le vent vif a la fraîcheur de l'onde :
Je me soumets à vous, Amour, impôt du monde.
Carnassier dont le croc met sa pointe profonde
Dans tout corps respirant qui n'est que ton forçat !
Il ne se pouvait pas que la corde cassât
Qui lie à ton vouloir ma course de nomade ;
Tu es parfois distrait, mais si l'âme s'évade
Tu l'enroules, ô maître, à ton puissant poignet!
Tout être t'appartient dès le moment qu'il naît.
Et jamais plus ce cœur n'appartient à soi-même.
Je sens bien tes raisons; oui, je ressens l'extrême
Frivolité d'avoir voulu choisir la paix.
Le monde est tout entier l'agneau dont se repaît
Ton riant appétit. Non, je ne suis pas lâche.
Je le sais bien, qu'il faut que tu mordes et mâches
Tout ce qui est vivant, bondissant, fleurissant,
Pour propager le souffle animal et le sang
Avec une féroce et limpide innocence !
Mais je sais bien aussi que ta dure exigence
Est suave, que seul tu peux vaincre la mort.

— Animateur sacré, Contempteur du remords,
Je sais que tout se meut, agit, combat, endure
Pour que l'humaine vie et les jeunes verdures
Aient dans l'immense espace un éternel retour !
Je sais que l'arche altière et noble de l'amour,
Où chaque être se croit élu, libre et vivace,
Ressemble au joug qui joint et courbe sous sa masse
Les deux fronts accolés des grands bœufs au labour.
Oui, je sais tout cela. Je referme le livre
Où mon esprit calmé, sans souffrir d'être seul
Gisait.
Sur le feuillet, net et mince linceul,
Les mots écrits avaient le froid léger du givre.
C'est vrai que je cessais d'être triste et de vivre.
Mais ton œil a surpris, ô pasteur des humains,
Mon visage sans flamme appuyé sur ma main,
Et tu n'as pas permis que ta plus chère esclave
Échappât mollement à ton torrent de lave.

Que te dirai-je, ô dieu ? j'ai peur; j'ai tant souffert
De bonheur, de douleur ; le diamant, le fer
Ne sont pas plus aigus qu'un regard qui torture,
Les yeux sont les démons gardiens de la nature :
Pôles mystérieux où songent les aimants !
Que puis-je souhaiter ; je ne sais pas moi-même ;
Tout trouble, tout déçoit, tout se défait, tout ment.
Mais j'entends que mon cœur murmure faiblement.
En évoquant des morts l'austérité suprême :
« Dormir encor un soir près d'un enfant qui m’aime... »

Les Forces Eternelles


                                          A Prague

595. Si nous vivions un jour

Si nous vivions un jour dans la même maison,
Après nos longs labeurs qu'il est vain de poursuivre,
Le temps ne me serait qu'une seule saison.
Avec ses étés ou son givre.

Je pourrais repousser, dans un si noble accord,
Ce chant de l'infini qui veut qu'on lui réponde,
Après avoir, abeille aux lumineux transports,
Recomposé sur toi le monde !

Je plierais ma tempête à tes calmes conseils,
Sans même que ma flamme en soit diminuée.
— J'apaiserais en moi les chevaux du soleil
Qui me traînaient dans la nuée !

J'aimerais le moment où le puissant répit
Du sommeil accapare et baigne ton visage,
Où ton mobile esprit s'embue et s'assoupit,
Où tu dors comme le feuillage,

Comme l'humble feuillage indistinct et mêlé
Qui n'est plus qu'une part de la nuit sérieuse,
Et te voyant ainsi, sans projets, accablé,
Je pourrais enfin être heureuse !

Heureuse de ta paix de dolent animal
Où tout le grand péril des désirs humains cesse,
Et comme tout de toi m'aurait pu faire mal.
Je songerais à ta jeunesse !

A ta jeunesse avide et qui n'avait d'égards
Pour aucun corps rêveur que le destin opprime,
Et je comparerais tes dédaigneuses cimes.
A ton lent sommeil sans regard !

Je songerais à ta jeunesse combative.
Que je n'ai pas connue et dont j'aurais souffert.
Puisqu'il m'est quelquefois trop poignant que tu vives,
Surcroît de mon univers !

De mon bel univers qui n'avait que mon âge
Quand je l'ai fait jaillir, romanesque et naissant,
De la présomption de mon jeune courage
Et de la chaleur de mon sang !

Ah ! Comment saurais-tu, sombre joueur de viole,
La rage de minuit à des orgues pareil,
Ce qu'est le flamboiement d'une âme qui s'envole
Piller les vergers du soleil ?

Comment comprendrais-tu, forêt du nord qui laisses
La lune romantique en toi sonner du cor,
Une fille d'Atlas qui soulève et caresse
L'univers lié à son corps ?

Tu ne sauras jamais ce qu'est mon clair mystère :
Ce sublime remous de courage et d'azur !
Mais comme nous serions ensemble solitaires,
Tout me serait bon, net et sûr.

Et tandis que, le front courbé sur ta personne,
Je grouperais en toi tout ce que j'ai cherché,
Par la fenêtre ouverte où le lierre frissonne,
Je verrais les astres penchés,

La lune, allègre et ronde, et les astres près d'elle,
Je les verrais, penchés sur nous, et s'étonner
Que mon cœur ébloui, qui pour eux était né,
Ne leur soit pas resté fidèle !

— Et tout cela, mon Dieu! parce qu'en mon exil
Terrestre, au bord d'un lac que les mouettes paissent
Le turbulent destin a tissé fil à fil
Mon délire avec ta tristesse !

Les Forces Eternelles

594. Confession - Libération

CONFESSION


Je t'aime comme on aime vivre,
A mon insu, et cependant
Avec ce sens craintif, prudent,
Qu'ont surtout les cœurs les plus ivres !

J'ai douté de toi, mon amour.
Quelle que soit ta frénésie.
Puisqu'il faut qu'il existe un jour
Au loin, où, ni la poésie,

Ni les larmes, ni la fureur,
Ni cette vaillance guerrière
Qui criait au Destin : « Arrière ! »
N'agiront contre ce qui meurt.

Jamais je ne fus vraiment sûre
De te voir, quand je te voyais :
Ce grand doute sur ce qui est
C'est la plus fervente blessure !

Tu sais, on ne peut exprimer
Ces instinctives épouvantes :
J'ai peur de n'être pas vivante
Dès que tu cesses de m'aimer !

LIBERATION

La nuit par sa tiédeur vient prolonger la chambre,
La fenêtre est ouverte, et l'on se sent uni
A ce scintillement chuchotant, infini,
Des étoiles d'argent et de la lune d'ambre.

J'ai détourné de vous, tumultueux ami,
Après cet esclavage où tout l'être a frémi.
Mon esprit attiré par la beauté des choses.
— Tandis que votre front contre mon bras repose.
Mon cœur, libre de vous, de soi-même dispose.
Je renoue avec l'air ma noble parenté :
Le silence savant, les cieux, l'éternité
Me conquièrent avec un verbe énigmatique.
La nuit me parle ainsi qu'à son enfant unique.
Comme la blanche étoile au bord des cieux d'ébène,
Je me sens rayonner dans l'ombre ; nulle gène
N'embarrasse ma pure et calme vanité ;
Et je me sens puissante, indolente, tranquille
Comme un profond jardin de palmiers dans une île..
— Mon douloureux Destin s'est en vous arrêté,
O nuit secrète et courte entre deux jours d'été !

Les Forces Eternelles

593. Tristesse de l'amour
















Les femmes, mon amour, craignent la rêverie.
Tu ne peux pas savoir de quel poids la langueur
Les accable. Le soir, quand la calme prairie
Émet des parfums frais comme un sorbet d'odeur,

Quand le vent noir circule, invisible danseuse,
Et semble vouloir plaire aux astres attentifs,
Quand, au bas du coteau, un train prompt et furtif
Lance comme un torrent sa force aventureuse,

Quand sur la ville calme, et que l'ombre abolit,
Tout à coup le suave et copieux silence
Noblement se construit, navigue et se balance,
Aérien vaisseau sur l'éther amolli,

Les femmes sont sans joie, et se désintéressent
Du sublime univers, plein de vœux inconnus ;
L'esprit bouleversé, ces ardentes prêtresses
S'épouvantent du rêve en leur cœur contenu.

— Amants, ayez pitié de ces bêtes divines,
Aimez ce corps qui meurt, ce corps qui va mourir.
Ces fronts contemplatifs que la beauté chagrine,
Que rien, hormis l'amour, ne pourrait secourir !

Les femmes ne sont pas romanesques, l'espace
Qui séduit leurs regards et les vient envahir,
Ne leur offre jamais aucun but qui dépasse
L'éblouissement grave et constant du désir !

Ne leur demandez pas d'être amplement sincères.
Les mots ne servent pas leur vaste vérité,
Ces rêveuses, tandis que vos bras les enserrent,
Poursuivent le divin parmi la volupté.

Ne leur demandez pas d'être humblement fidèles,
Leur cœur puissant a droit à d'infinis détours ;
Leur détresse ressemble à ces cris d'hirondelles
Qui jettent sur le soir tant d'adieux et d'amour !

Lorsque leur turbulent et confiant désordre
S'abat entre vos mains, dans leurs instants sacrés.
C'est l'immense univers qui leur donne des ordres,
Et vous n'êtes jamais qu'un répit préféré.

Rien d'autre que l'amour n'occupe ces furies,
Leur douceur, leur bonté n'est qu'un humble présent
Que leur âme attentive, anxieuse et meurtrie,
Accorde à vos désirs, moins que les leurs puissants !

Les Forces Eternelles

592. Tranquilité

Après le jour luisant d'entrain
Voici la nuit, dévote et fine,
Il semble que le ciel s'incline
Par le poids des astres sereins.
Le souffle saccadé d'un train
Transmet à la calme colline
Sa palpitation d'airain.
Dans l'ombre, les bruits qui scintillent,
— Bruits de pas, de voix, de volets, —
Semblent polis comme des billes,
Comme les grains d'un chapelet.
— O nuit, compatissant mystère !
Se peut-il, quand l'air est si doux
Et semble penser avec nous.
Qu'il y ait des morts dans la terre !

— Je n'ai besoin de rien ce soir
Grâce à ta tendresse amoureuse,
Une âme n'est vraiment heureuse
Que sans projets et sans espoirs.
Nous parlons sans cesse de l’âme,
Pourtant, après ce long plaisir,
Tout nous est paresse et loisir,
Plus rien en nos cœurs ne réclame ;
Nous pourrions vivre ou bien mourir
Contents ainsi, calmes, à l'aise.
— O mon cher compagnon, serait-ce
Qu'on ne souffre que de désir ?

Les Forces Eternelles

591. Parques, nul coeur ne sait ....















" Clotho, nommée d'un mot grec qui signifie « filer »  tient le fil des destinées humaines.
On la représente portant une couronne formée de sept étoiles, et tenant une quenouille qui descend du ciel en terre.
La couleur qui domine dans ses draperies est le bleu.

Lachésis, nom qui en grec signifie « sort » ou « action de tirer au sort », est la Moire qui met le fil sur le fuseau.
Ses draperies sont couleur de rose.
Atropos, « inévitable » en grec, coupe impitoyablement le fil qui mesure la durée de la vie de chaque mortel."

PARQUES ! NUL CŒUR NE SAIT...

Parques ! Nul cœur ne sait ce qu'il lui reste à vivre,
Ni quel jour doit le rendre à jamais oublieux.
— Fol azur tout chauffé de soleil, je m'enivre
D'autant plus âprement des cieux voluptueux !

Cieux éblouissants, ô possesseurs prodigues
D'un flot tumultueux qui ne peut pas faiblir,
Ne romprez- vous jamais l'indiscernable digue
Qui sépare de moi votre irritant plaisir ?

Hélas ! Mon Orient, mes étés, mes Espagnes,
Espace où j'ai partout voulu mettre les mains,
Habitantes des cieux, Pléiades! je m'éloigne
De vos airs fraternels et pourtant inhumains !

— Puisque je ne peux pas arracher à la nue
Cette dure beauté qui nourrit le désir
Sans le rassasier ! Puisque je m'exténue
A fasciner l'éther qu'on ne doit pas saisir,

Désespérons du ciel sur le sein l’un de l'autre,
Mon amour ! Laisse-moi retomber sur ton cœur,
Défions les transports de l'azur par le nôtre,
Opposons l'âme immense à l'univers moqueur.

La Nature a trompé ses flatteurs les plus tendres,
Jamais ses beaux jardins fleuris ne sont cléments
A deux corps inquiets que l'ardeur vient surprendre.
J'aime la pauvre chambre où rêvent deux amants...

Mais l'âpre volupté par qui l'être est exsangue
Hélas ! ne tarit pas notre désir ce soir,
Car rien, hormis la mort, ne laisse apercevoir
L'âme, ce fruit serré dans une double gangue
D'éphémère liesse et d'épais désespoir,

— Et j'aime mieux ton âme, ù donneur de caresses,
Dussé-je m'épuiser entre le pain et l'eau
Dans un cloître sans air, près d'une rude abbesse
Qui réglerait nos pas dans un étroit enclos.
Que l'indéfinissable et mortelle détresse
Qui suit le carnassier et langoureux sanglot !...

Les Forces Eternelles

590. Le reproche - Le noble éther des nuits

LE REPROCHE


Il n'aurait pas fallu que vous fussiez méchant,
Ou du moins seulement à ces moments extrêmes
Où les femmes, gisant dans un rêve oppressant,
Ne cherchent plus le cœur des hommes qu'elles aiment.

Mais j'étais ce soir-là sage et triste. Pourquoi
Ai-je vu votre injuste et brumeuse colère ?
Je ne connaissais plus vos yeux ni votre voix,
Et votre cruauté ne savait pas me plaire.

Mon esprit, recherchant la céleste amitié,
S'épouvantait ainsi qu'un vaincu qu'on désarme;
Vous n'aviez pas le droit de m'infliger des larmes
Hors du plaisir, qui n'a pas besoin de pitié !

J'accepte que votre âme âprement se soulève
Aux instants où ma vie en la vôtre s'achève
Parmi tant de fureur et d'intrépidité ;
Mais parfois le désir impétueux fait trêve,
Ces jours-là ont besoin de charme et de bonté ;
Il faut plus de bonheur à l'amour lorsqu'il rêve
Qu'il n'en faut à la volupté !

LE NOBLE ÉTHER DES NUITS..

Le noble éther des nuits, mon amour, condescend
A courber sur nous deux sa bonté qui se pâme;
Nous rêvons, et pourtant ce n'est pas innocent, '
Sans nous voir nous tremblons de nous sentir présents.
Tant la volupté vient de l'âme !

Toi prudent, moi gonflée d'un éclatant amour
Que la divine paix de t'approcher modère.
Nous regardons la sombre et ductile atmosphère
Où les astres brillants sont des fragments de jour,
J'écoute nos deux voix se taire tour à tour,
Comme on se tait quand on espère.

Le vent fait crépiter un arbre vert et brun.
Comme le blé léger rompu par la faucille.
Mes refus, dans tes bras, se défont un à un,'
Il ne reste de moi, tant mon être vacille.
Que ce qui reste encor de l'encens qui grésille
Entre la flamme et le parfum !

Mon amour, le désir qui déchire et dévoile,
Qui comble, qui saccage, et achève et détruit,
A-t-il mêlé nos corps jusqu'aux profondes moelles.
Mon âme est hors de moi, l'infini m'éblouit,
Me suis-je unie à toi, me suis-je unie à lui,
Je sens que mon cœur s'est, dans la fougueuse nuit,
Accordé avec les étoiles !

Les Forces Eternelles

589. Ainis, lorsque j'étais une enfant - Le silence

AINSI, LORSQUE J'ÉTAIS UNE ENFANT…..


Ainsi, lorsque j'étais une enfant qui rêvait,
Par l'azur éblouie et que l'azur étonne,
Lorsque je regardais, grave, petite et bonne.
Le frelon mol et creux flotter sur le duvet
Des chauds géraniums dont le parfum grésille;
Quand j'étais cette franche, humble petite fille.
Qui donne tout son bien aux pauvres, et qui croit
Qu'un mendiant est Dieu descendu de sa croix,
Et que je saluais lentement, jusqu'à terre,
Ce pauvre; quand j'étais une enfant solitaire
Qui regardait monter, le cœur plein de sanglots,
La fumée amicale aux toits bruns des hameaux,
Et que, l'âme toujours liée à la nature.
Ayant le doux bonheur d'errer au bord d'un lac.
Je voyais les flots clairs, sémillante froidure,
Se bercer sur la rive ainsi qu'un bleu hamac,
Tu dépensais déjà tes lascives caresses,
Homme voluptueux, sur de vaines maîtresses,
Qui, ne comprenant rien à ton esprit hautain,
S'étonnaient que tes yeux cherchassent au lointain
La passion unie à de nobles décences !
Et moi, je m'en venais, du fond de mon enfance,
Vers toi ; j'enrichissais mon cœur, fait pour t'échoir.
Des secrets dévoilés que nous livre le soir,
Quand la molle atmosphère, où les parfums s'enlisent,
A l'ample gravité rêveuse des églises.
— Et je songe aujourd'hui, avec un doux effroi.
Que ce jardin plus clair que de fraîches faïences.
Cette pudique odeur de la nuit dans les bois.
Cette ivre charité, cette sainte innocence,
Ces poétiques dons du sort tendre et courtois,
Homme passionné, me conduisaient vers toi !

LE SILENCE

Écoute, on n'entend rien. Que le silence est beau!
Il est, ainsi que l'aube et la nuit étoilée,
Sans souffle, sans projets, sans voix et sans écho...
C'est un jour chaud dormant sur une immense allée,
C'est midi terrassant de sommeil les hameaux,
C'est une grotte froide avec de l'eau verdâtre
Qui gît dans le granit comme un miroir brisé ;
C'est un chemin du soir, immobile, apaisé,
Où décroissent les pas des troupeaux et du pâtre.

— Silence ! Balcon sur la mer à minuit !
Pointe hardie, étroite et sableuse des grèves,
Qui s'en va de la terre et prolonge son rêve
Au loin, entre le ciel qui songe et l'eau qui luit!...
— Silence ! Majesté, candeur, sainte colombe
Qui couve l'on ne sait quel œuf immense et pur;
Colonne de douceur, indiscernable trombe
Faite d'âme rêveuse et d'invisible azur !...

— Et je vous dis cela, cette nuit, mon ami,
Car, lasse de bénir les lourds trésors du monde
Sur votre chère épaule où je dors à demi,
J'écoute le silence, onduleux comme l'onde.
Oui, le silence est frais ainsi que l'eau qu'on boit,
Il est prudent et fier comme un faon dans les bois,
Il paraît s'assoupir et cependant il danse !
Et j'observe, l'esprit tendu comme un chasseur,
— Tandis que je languis d'amour sur votre cœur
Dont j'entends en pleurant les mortelles cadences —
La course illimitée et pure du silence !

Les Forces Eternelles

588. Ce ne sont pas les mots - Solitude

CE NE SONT PAS LES MOTS...


Ce ne sont pas les mots les plus étincelants
Qui pourraient définir la force qui nous lie :
Les vocables : bonheur, enchantement, folie,
Ne sont pas si profonds, si vastes, ni si lents
Que cet illimité et conscient bien-être
Qui me fait respirer avec les cieux ! Peut-être
Pourrions-nous baptiser nos suaves moments
Du beau nom de plaisir et de contentement.
— Être content : splendeur, possession du monde !
Royauté d'un tranquille et bleuâtre Océan ;
Plénitude sans hâte, indolence féconde,
Qui font se ressembler l'excès et le néant.
Contentement ! Ce dont aucun humain n'est digne,
Ce dont nul ne jouit qu'avec la crainte insigne
Qu'il lui faudra bientôt, sûrement, expier
Cette fortune intruse, innocente et suprême...
Contentement : par quoi tout corps cherche à prier !
— Et je connais cela par ton amour ! Je t'aime,
Étranger qui prends tout et qui m'as tout donné,
Commencement de moi du jour où tu es né,
Toi mon sang véritable, et ma vie hors moi-même...

SOLITUDE

Je t'aime, mais je rêve, et mon être sans borne,
Quand le croissant des nuits montre sa belle corne,
Attiré vers les cieux par des milliers d'aimants,
S'élance, et va s'unir à tous les éléments.

Pourtant c'est toujours toi que mon désir réclame,
Mais comment pourrais-tu dominer sur mon âme,
Si tu ne peux bannir de mon cœur ébloui

Ce pouvoir d'espérer par quoi je te trahis ?

Les Forces Eternelles

587. Chant de Daphnis - Chant de Chloe

Daphnis et Chloé est présenté sur les manuscrits comme un ensemble de « pastorales de Longus ». Tout ce que nous savons de Longus figure dans son œuvre : celui-ci se présente comme un chasseur découvrant par hasard, à Lesbos, un tableau dans un sanctuaire représentant l'allégorie de l'Amour. Il se le fait expliquer par un guide local, et décide aussitôt de composer un récit sur le même sujet.
Le roman, fortement inspiré par la poésie bucolique, et également par les Idylles de Théocrite, se déroule sur quatre livres. Le sujet de Daphnis et Chloé se distingue des autres romans grecs par son décor bucolique et l’ironie constante qui préside au déroulement de l’action. Celle-ci a lieu dans la campagne, près de la cité de Mytilène. Daphnis est un jeune chevrier, enfant trouvé. Chloé, quant à elle, une bergère, également enfant trouvée. Ils s’éprennent l’un de l’autre mais de multiples rebondissements les empêchent d’assouvir leur amour. C'est avant tout leur éducation sentimentale qui est décrite tout au long de ces péripéties. À la fin du roman, chacun retrouve ses véritables parents, et la noce peut avoir lieu. (Source Wikipédia)
























CHANT DE DAPHNIS

Ne reste pas distraite ainsi. Le plaisir veut
Que lentement l'esprit l'observe et le conçoive,
Et que le pied soyeux, l'épaule et les cheveux
Autant que le regard et les lèvres le boivent.

C'est un dieu susceptible et fier que le désir.
Sa suprême bonté de feu ne se hasarde
Que vers l'esprit soumis qui se laisse envahir,
Et dans son miel cuisant languissamment s'attarde.

Pauvres humains, fuyez les faibles vanités,
N'engagez pas vos jours dans de vaines parades,
Que resto-t-il aux morts, sinon d'avoir été
Un moment de la vie et de l'éternité,
Quand le corps attentif et l'âme par saccades
Atteignent à la volupté ?























CHANT DE CHLOE

Un brûlant frelon vient se pendre
Au mol clocheton d'une fleur.
Ils s'unissent : on peut entendre
Un bruit volant, vibrant, ronfleur.
C'est un baiser cuisant et tendre,
Et la fleur feint de se défendre
Contre la flambante rumeur
Qui distend sa grâce ténue...

Puis le frelon, léger, repart.
On croit voir voler dans la nue
L'âme jaspée du léopard,
Cependant que, dans son calice
Remué, déchiré, rêveur,
La docile et constante fleur
Retient un meurtrier délice.

L'insecte n'a pas tant d'ardeur
Que cette fleur qu'il vient de fendre.

O mon amour, peux-tu comprendre
Ce que c'est que la profondeur ?...

Les Forces Eternelles 

586. La douleur est pressée - Quand enfin votre esprit

LA DOULEUR EST PRESSEE.


La douleur est pressée et ne peut pas attendre,
Il lui faut un subit et vaste apaisement;
Je ne sais où j'ai lu ces mots plaintifs et tendres :
« Souffrir est un très long moment. »

Bondissant comme un cerf qu'un chasseur assassine,
Le turbulent désir ne peut être prudent.
C'est vous qui le criez, princesse de Racine :
« Je meurs si je vous perds, mais je meurs si j'attends ! »

Ces paroles de feu, ce pantelant dilemme.
Que jette à votre amant votre esprit irrité,
C'est le puissant soupir de l'être, dès qu'il aime.
Sombre Amour, composé d'âme et de volupté,

Puisque jamais l'instant de vivre n'est propice
A ton avide espoir, prompt et vertigineux,
Puisque tout désir court vers un sûr précipice.
Et pour être éternel veut être ruineux,

Quel est donc le souhait de ces deux corps qui tremblent
Enlacés, se faisant plus serrés, plus étroits,
Comme pour se tapir dans le néant ? Il semble
Qu'ils cherchent un tombeau, dans leur suave effroi.
Et la volupté n'est, peut-être, je le crois.
Que l'essai de mourir ensemble...

QUAND ENFIN VOTRE ESPRIT...

Quand enfin votre esprit devient distrait et vague,
Après l'immense amour dont vous m'entreteniez,
Mon ardeur se défait et sur vous vient régner
Comme l'écume sur la vague.

Le jour d'été s'éteint dans l'espace endormi ;
Vous parlez d'une voix que j'entends à demi ;
Étant heureux et doux, vous me croyez contente.
Vous ne pouvez savoir quel infini me tente,
Ni quels divins secrets j'échange avec le soir.
Ma fraternelle main sur votre front s'allonge,
Vous contemplez mes yeux comme un calme miroir,
Et nous sommes baignés d'un vaporeux mensonge,
Vous étant confiant et moi celle qui songe...

Les Forces Eternelles