Si nous vivions un jour dans la même maison,
Après nos longs labeurs qu'il est vain de poursuivre,
Le temps ne me serait qu'une seule saison.
Avec ses étés ou son givre.
Je pourrais repousser, dans un si noble accord,
Ce chant de l'infini qui veut qu'on lui réponde,
Après avoir, abeille aux lumineux transports,
Recomposé sur toi le monde !
Je plierais ma tempête à tes calmes conseils,
Sans même que ma flamme en soit diminuée.
— J'apaiserais en moi les chevaux du soleil
Qui me traînaient dans la nuée !
J'aimerais le moment où le puissant répit
Du sommeil accapare et baigne ton visage,
Où ton mobile esprit s'embue et s'assoupit,
Où tu dors comme le feuillage,
Comme l'humble feuillage indistinct et mêlé
Qui n'est plus qu'une part de la nuit sérieuse,
Et te voyant ainsi, sans projets, accablé,
Je pourrais enfin être heureuse !
Heureuse de ta paix de dolent animal
Où tout le grand péril des désirs humains cesse,
Et comme tout de toi m'aurait pu faire mal.
Je songerais à ta jeunesse !
A ta jeunesse avide et qui n'avait d'égards
Pour aucun corps rêveur que le destin opprime,
Et je comparerais tes dédaigneuses cimes.
A ton lent sommeil sans regard !
Je songerais à ta jeunesse combative.
Que je n'ai pas connue et dont j'aurais souffert.
Puisqu'il m'est quelquefois trop poignant que tu vives,
Surcroît de mon univers !
De mon bel univers qui n'avait que mon âge
Quand je l'ai fait jaillir, romanesque et naissant,
De la présomption de mon jeune courage
Et de la chaleur de mon sang !
Ah ! Comment saurais-tu, sombre joueur de viole,
La rage de minuit à des orgues pareil,
Ce qu'est le flamboiement d'une âme qui s'envole
Piller les vergers du soleil ?
Comment comprendrais-tu, forêt du nord qui laisses
La lune romantique en toi sonner du cor,
Une fille d'Atlas qui soulève et caresse
L'univers lié à son corps ?
Tu ne sauras jamais ce qu'est mon clair mystère :
Ce sublime remous de courage et d'azur !
Mais comme nous serions ensemble solitaires,
Tout me serait bon, net et sûr.
Et tandis que, le front courbé sur ta personne,
Je grouperais en toi tout ce que j'ai cherché,
Par la fenêtre ouverte où le lierre frissonne,
Je verrais les astres penchés,
La lune, allègre et ronde, et les astres près d'elle,
Je les verrais, penchés sur nous, et s'étonner
Que mon cœur ébloui, qui pour eux était né,
Ne leur soit pas resté fidèle !
— Et tout cela, mon Dieu! parce qu'en mon exil
Terrestre, au bord d'un lac que les mouettes paissent
Le turbulent destin a tissé fil à fil
Mon délire avec ta tristesse !
Les Forces Eternelles