20/11/2012

571. Méditation












L'orage est en suspens, l'espace se recueille ;
Dans le jardin où brille une vapeur de four,
Les oiseaux ont un cri fané comme une feuille.
Partout gît mollement, fardeau subtil et lourd,
La chaleur insensée qui fait aimer l'amour.
J'ai recherché Ronsard dans la bibliothèque;
Ma chambre, où les volets emprisonnent le jour
Et d'un tranchant léger et laiteux le dissèquent,
A l'obscure fraîcheur d'un tranquille vallon. .
Un blanc magnolia, froid comme une pastèque,
Épanche son parfum de neige et de melon.
Et je vois tout cela avec des yeux si tendres
Qu'ils émettent un chant que l'on devrait entendre.
La pendule, incessante autant que l'univers.
Accompagne humblement, seconde par seconde,
Le tumulte secret et céleste des mondes.
Et j'écoute l'énigme obsédante de l'air
Et ce cri des oiseaux emplis d'inquiétude...
— Se pourrait-il, ô cieux, que j'eusse l'habitude
De vivre, de goûter le suave désert
Que forme le repos songeur après l'étude !
Ne sais-je pas qu'assis, ou debout et courant.
L'homme est toujours un même et régulier mourant !
Le Sort, qui le poursuit, ne le guette pas même,
Tant le pauvre vivant est désigné : s'il aime,
Quelque chose toujours lentement se défait
Dans son bonheur craintif, sa détresse ou sa paix;
Il ne peut persister en son choix noble et tendre,
U lui faut regretter comme il lui faut attendre,
Il ne connait jamais les vœux du lendemain.
— Et pourtant, moi, le plus combattu des humains.
L'âme la plus souvent par l'orage étonnée.
Qui toujours vis les pleurs au plaisir se mêlant,
Je ne vous reprends pas ma confiance innée.
Querelleuse au beau front, secrète Destinée,
Favorable aux cœurs violents !

Les Forces Eternelles

570. Les poètes romantiques
















J'ai plus que tout aimé la terre des Hellènes,
Une terre sans ombre, un pin vert, un berger,
L'eau calme, une villa rêveuse à Mytilène,
Dans le halo d'odeurs fusant des orangers.

J'ai plus que tout béni le regard d'Antigone
Levé vers le soleil que sa prière atteint;
Mon cœur, semblable au sien et rebelle à l'automne.
Eût souhaité mourir en louant le matin.

J'ai plus que tout chanté la fougueuse jeunesse
Qui bondit et s'éboule et renaît dans ses jeux,
Comme on voit, en juillet, les chevreaux en liesse
Mêler leurs corps naïfs et leurs yeux orageux.

Certes, rien ne me plaît que tes étés, ô monde !
Ces jours luisants et longs comme un sable d'argent,
Où les yeux éblouis, tendus comme une fronde,
Font jaillir jusqu'aux cieux un regard assiégeant.

Je n'ai rien tant vanté que vos vers, Théocrite !
Je les ai récités à vos temples meurtris,
Aux ombres qu'ont laissées vos cités favorites
Dans le blé blanc, couleur de jasmin et de riz.

Enfant, au bord du lac de saint François de Sales,
Où les coteaux semblaient s'envoler par leurs fleurs,
Tant un azur ailé soulevait les pétales,
J'ai repoussé un mol et langoureux bonheur.

Mon âme, ivre d'espoir, cinglait vers vos rivages,
Platon, Sophocle, Eschyle, honneur divin des Grecs,
O maîtres purs et clairs, grands esprits sans nuages,
Marbres vivants, debout dans l'azur calme et sec !

J'ai longtemps comprimé mon cœur mélancolique,
Mais les jours ont passé, j'ai vécu, j'ai souffert.
Et voici que, le front de cendres recouvert,
Je vous bénis, divins poètes romantiques !

Poètes furieux, abattus, révoltés,
Fiers interrogateurs de l’âme et des étoiles.
Voiliers dont l'ouragan vient lacérer la voile,
Vous qui pleurez d'amour dans un jardin d'été.

Vous en qui l'univers tout respirant s'engouffre
Avec les mille aspects des fougueux éléments;
Vous, possesseurs du monde et malheureux amants,
Qui défaillez de joie et murmurez : « Je souffre ! »

De quoi ? De la forêt, du ciel bleu, des torrents.
Des cloches, doux ruchers d'abeilles argentines ?
Dans Aix, sur les coteaux pleins de ruisseaux errants,
De quoi souffriez- vous, mon tendre Lamartine ?

J'ai vu votre beau lac farouche, étroit, grondant,
Et la maison modeste où soupirait Elvire,
J'ai vu la chambre basse où pour vous se défirent
Ses cheveux sur son cou, ses lèvres sur ses dents.

De quoi souffriez-vous ? Je le sais, un malaise
Teinté de longs désirs, de regrets, d'infini,
Venait sur le balcon transir vos doigts unis,
Lorsque soufflait, le soir, le vent de Tarentaise.

De quoi souffriez-vous ? D'éphémère beauté,
D'un jour plein de langueur qui s'éloigne et qui sombre,
D'un triste chant d'oiseau, et de l'inanité
D'être un pauvre œil humain sous les astres sans nombre

De quoi souffriez-vous ? De rêve sensuel
Qui veut tout conserver de ce dont il s'empare;
Et, lorsque la Nature est à chacun avare,
De pouvoir tout aimer pour un temps éternel!

Hélas ! Je connais bien ces tendresses mortelles.
Cet appel au Destin, qui ne peut pas surseoir.
Je connais bien ce cri brisant de l'hirondelle.
Comme une flèche oblique ancrée au cœur du soir.

Je connais ces remous de parfums, de lumière,
Qui font du crépuscule un cap tiède et houleux
Où le cœur, faible esquif noyé par le flot bleu,
S'enfonce, en s'entrouvrant, dans l'ombre aventurière.

— Lamartine, Rousseau, Byron, Chateaubriand,
Écouteurs des forêts, des astres, des tempêtes,
Grands oiseaux encagés, et qui heurtiez vos tètes
Aux soleilleux barreaux du suave Orient,

Vous qui, évaluant à l'infini la somme
De ce que nul ne peut étreindre et concevoir,
Ressentiez cependant l'immensité d'être homme
Sous le dôme distrait et fascinant du soir,

Vous qui, toujours louant et maudissant la terre,
Lui prodiguiez sans cesse un amour superflu,
Et qui vous étonniez de rester solitaires
Comme un rocher des mers à l'heure du reflux,

Soyez bénis, porteurs d'infinis paysages,
Esprits pleins de saisons, d'espace et de soupirs.
Vous qui toujours déments et toujours les plus sages
Masquiez l'affreuse mort par d'éternels désirs !

Soyez bénis, grands cœurs où le mensonge abonde,
Successeurs enivrés et tristes du dieu Pan,
Vous dont l'âme fiévreuse et géante suspend
Un lierre frémissant sur les murs nus du monde !

Les Forces Eternelles

569. Renonciaition

J'ai cessé de t'aimer, Vie excessive et triste,
Mais tu t'agrippes à mon corps,
Mon être furieux veut mourir, et j'existe !
Et ta force me crie : « Encor ! »

Je me hausse en souffrant jusqu'au néant céleste,
Mais tes pieds d'aigle sont sur moi ;
Et plus je te combats. Destin sournois et leste,
Plus notre embrassement s'accroît.

— Quel plaisir désormais, ou quelle accoutumance
Mêlerait nos yeux ennemis ?
Je ne peux pas vouloir que toujours recommence
Une chance éclose â demi.

J'ai tout aimé, tout vu, tout su; la turbulence
M'aurait fait marcher sur les flots,
Tant le suprême excès a le calme et l'aisance
Des larges voiles des vaisseaux !

Le plaisir, — c'est-à-dire amour, force, prière, —
Eut en moi son prêtre ébloui ;
Je ne puis accepter de tâche familière,
J'étais vouée à l'inouï !

Je ne peux pas vouloir que toujours se prolonge
Un chemin qui va décroissant;
Le réel m'offensait, la tempête et le songe
Secouraient mon âme et mon sang.

Certes, j'ai bien aimé la raison, haute et nette,
Elle fut mon rocher rêveur ;
Mais ayant soutenu ses volontés secrètes,
Je cède ma force à mon cœur.

— Beau ciel d'un jour d'automne, où vraiment rien n'espère,
Ni l'azur froid, ni l'air peureux.
Accueillez dans le deuil calme de l'atmosphère
Mon chagrin candide et fougueux !

Accueillez votre enfant qu'ici plus rien ne tente,
A qui ce drame prompt survint
D'avoir bu la douleur au point d'être contente
De quitter le soleil divin !

Les Forces Eternelles

568. Le voyage























Quand les jours sont pareils sur un même horizon,
Et que le paysage étend sa même fresque,
Je songe à vous, voyage ! adieux à la maison,
Espoir de nouveaux ciels, de cinquième saison,
Projets dansants ainsi qu'une longue arabesque...
— Ah ! que vous me plaisiez, suave déraison.
Chapeaux de Walter Scott, plumage romanesque,
Les livres de Musset pris au dernier moment,
Les manteaux à carreaux, l'odeur de la valise.
L'ombrelle et l'éventail, et l'emmitouflement,
Comme si le climat qui transit ou qui grise
Commençait dans les trains ! Puis ce pressentiment
Vague, présomptueux, clandestin, créateur,
De trouver un loyal et rassurant bonheur
Au rendez-vous donné par la ville étrangère...

— Lorsque tu t'en allais pour quitter ton ennui,
Chère âme, à cette époque heureuse et mensongère
De la jeunesse, à qui nulle douleur ne nuit
Tant l'espoir est entier! Quand tu partais, si grave
Que Ton plaignait ton sort, que tu te croyais brave,

Ah ! tu n'ignorais pas, en ton instinct puissant.
Que la joie est toujours conseillère du sang
Pour la fortuite et sûre et perpétuelle ivresse !
Comme un pollen porté par le vent, ta détresse
Flottait sur tant d'espace ouvert et traversé !
Les cris des trains, pareils à des bras dispersés,
Ressemblaient à ton cœur; tes rêveuses prunelles
Contemplaient l'horizon, flagellé et chassé
Par le vent, qui, cherchant ton visage oppressé,
Faisait bondir sur toi ses fluides gazelles !
— Et puis on arrivait. Fiers regards imprudents
Vers le puissant hasard, qui en tous lieux attend
La douleur qui se plaint, se démasque et se nomme :
Douleur, nom du désir et du rêve des hommes !
Commencement d'un neuf et consolant exploit.
O chemins inconnus ! ô fontaines de Rome !
Fleuve du ciel gisant dans les canaux des toits.
Visages révélés, destin qui se propose...
Mais j'accepte à présent de plus austères lois ;
Je crains trop le plaisir auquel un cœur s'expose,
Partir, c'est espérer, c'est exiger, je n'ose
Souhaiter que ma vie ait cette force encor
De toujours provoquer le désir et la mort,
Et d'inviter sans fin la Nature infidèle
A vaincre un cœur plus fier et plus vivace qu'elle !...

Les Forces Eternelles



567. Tout noble coeur

Tout noble cœur souhaite et veut être constant,
Mais vous, bohémienne, ô folle Destinée,
Jouant d'un violon discordant et strident,
Vous traînez sur le temps vos dansantes nuées.

Quel que soit le pas ferme et droit de la Raison,
Le Sort vient sur sa route, et la gêne, et divague ;
Jamais un jour pareil dans la même saison.
Toujours le renflement ou le creux de la vague !

Et le désir humain, cherchant la fixité,
Et ne trouvant sa paix qu'aux choses éternelles,
N'aime enfin plus que vous, immenses jours d'été,
Qui nous donnez, avec votre clarté fidèle,

Et vos airs de bonté et de tranquillité, ,
Ce trésor d'infini, que l'âme sensuelle
N'a connu qu'en jetant des sanglots irrités.
Dans l'austère, incisive et brûlante querelle
Que s'infligent deux cœurs pendant la volupté...

Les Forces Eternelles

566. Certes vous fîtes bien - Appel - Lassitude














CERTES, VOUS FITES BIEN..

Certes, vous fîtes bien, implacable Nature,
D'envoyer à ce corps qui ne cédait jamais.
L'essence délicate et rare des tortures,
Afin que l'univers exultant que j'aimais
D'un monstrueux amour, idolâtre et servile,
N'eût plus sur mon esprit son effrayant pouvoir,
— Plus oppressant que n'est la mer autour d'une île
Et que je sois, à l'heure où commence mon soir,
Comme ces pèlerins étonnés et tranquilles.
Qui ne s'arrêtent pas en traversant les villes.
Et semblent, dans leur vague et décisif ennui,
Fuir le destin fidèle et secret qui leur nuit...























APPEL

Vous qu'étant morte j'aimerai,
Jeunes gens des saisons futures,
Lorsque mêlée à la nature
Je serai son vivant secret,
J'ai mérité d'être choisie,
— Perpétuité des humains ! —
Par votre tendre fantaisie,
Car lorsque sur tous les chemins
Je défaillais de frénésie,
Je tremblais d'amour et de fièvre,
J'ai soulevé entre mes mains
Une amphore de Poésie
Et je l'ai portée à vos lèvres !















LASSITUDE

Ce n'est pas aisément que l'on meurt. Ce souhait
D'avoir enfin fini d'espérer et d'agir
Témoigne d'un malheur persistant et parfait,
Qui, las et déchaîné, ne peut plus s'assagir.

Pourquoi me retiens-tu ? J'ai besoin de mourir...

Les Forces Eternelles