Lorsqu'un jour sonnera l'heure immense où tu meurs,
Et que, servant ton vœu fidèle à tes ancêtres,
Tes amis, épiant ta rêveuse torpeur,
Vers ton lit guideront les prêtres,
Quand, les yeux retirés de l'espace et du temps.
Ton esprit résigné dédaignera de faire
Aucun signe d'espoir à l'ingrate atmosphère
Qui rejette son assistant,
O mon unique amour, quand ton intelligence
Où le chaos du monde avait trouvé des lois,
Ne s'accointera plus que du puissant silence,
Veuille encore penser à moi !
Veuille, dans la terrible et calme solitude
De cet instant dont nul ne prendra la moitié,
Rappeler à ton cœur la tendre quiétude
De mes pieds noués à tes pieds ;
Veuille songer encor, — tandis que les prières
Bourdonneront sur toi en essaims assourdis, —
A ces grandes ardeurs, sombres et familières,
Où nos cœurs s'étaient enhardis !
Veuille te souvenir, cependant que l'on ôte
Avec l'huile funèbre et sainte tes péchés,
De cette indélébile et délectable faute
Des corps l'un sur l'autre penchés.
Songe à la nudité des membres et de l'âme
Que nous avons connue à l'heure où rien ne ment
Quel Dieu t'arracherait cette part de ma flamme ?
Ma joie est dans tes ossements !
Il suffit de l'instant turbulent où s'enlace
Un corps à l'autre corps parmi des pleurs cuisants,
Pour qu'aucun baume humain ou céleste n'efface
Ce cachet qui va s'enfonçant !
Il serait plus facile à la sorcellerie
De séparer le sel d'avec toute la mer,
L'astre d'avec les cieux, l'herbe de la prairie,
Que mon sang - de ton cœur amer !
Ainsi, ô mort comblé, tout empli de la sorte
De celle qui te fut si tendre aux jours vivants,
Lorsque tu sembleras, sur les bras qui t'emportent,
Un noir fardeau d'ombre et de vent,
Tu garderas encor, parmi les vagues forces
Qui composent sans fin le sort mouvant des morts,
L'amoureuse résine incluse dans l'écorce.
Et le long plaisir sans remords !...
Les Forces Eternelles