24/02/2012

482. Anna de Noailles, la poétesse. 1

"Anna de Noailles, la poétesse"
par Arthur Conte,
in "Grandes Françaises du XX° siècle", Plon 1995.
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Journaliste, homme politique et historien, Arthur Conte s'est rendu célèbre en tant que président de l'ORTF de 1972 à 1973. Originaire des Pyrénées Orientales, fils de viticulteur, il suit des études de lettres à Perpignan puis à l'université de Montpellier. Editorialiste spécialisé dans les affaires internationales pour le quotidien régional L' Indépendant, le journaliste travaille ensuite pour la presse nationale, au Figaro et à France-Soir notamment. Il débute une carrière politique en tant que maire de Salses en 1947 sous les couleurs de la SFIO, avant de devenir député à partir de 1951. On doit à Arthur Conte, observateur assidu du monde contemporain, plusieurs ouvrages sur l'histoire du XXe siècle.
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Son étude sur Anna de Noailles est publiée ci-après en sept messages : 482 à 476
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1. Quand 1900 la rencontre, elle est la soie diaphane et exquise. Elle a vingt-quatre ans. Elle descend des Bibesco, princes valaques, étant née à Paris Anne-Elisabeth de Brancovan, fille du prince roumain Grégoire Bassaraba de Brancovan et de la grande pianiste grecque Ralouka Musurus, qu’admire Paderewski.
A dix ans, elle a pour dieu Mistral. A onze, elle compose ses premiers vers. Trois ans avant le siècle, elle épouse d’amour le comte Mathieu de Noailles. Elle est la sœur de la belle princesse Alexandra de Caraman-Chimay. Vous découvrez une petite personne délicate et frémissante. Les mains s’agitent beaucoup, mais harmonieusement, pour accompagner chaque propos. Les yeux sont violets. Madame la comtesse parle beaucoup, et le Tout-Paris le sait. Jules Lemaître l’appelle " un insecte charmant ". Il dit qu’en elle " le microscope dénonce un arsenal de scies, de pinces et d’antennes ". Maurice Barrès la désigne comme " le point le plus sensible de l’univers ". Colette est éblouie " par ces lacs d’yeux sans bornes, où boivent tous les spectacles de l’univers ".
Il faut l’imaginer chez elle, avenue Henri-Martin, recevant ses visiteurs, le plus souvent languissamment allongée sur un sofa, parmi un paysage de dentelles, de cretonne et de rubans jaunes. On aperçoit autour d’elle la princesse de Polignac, la comtesse Greffulhe, Paul Hervieu, qui ambitionne le titre de " tragique moderne " et qui vient d’accéder à l’Académie française, l’inévitable Robert de Montesquiou, les Bibesco, Maurice Barrès qui lui pardonne même de nourrir des idées démocrates et des convictions radicales.
"Que voulez-vous ! fait-il, Anna de Noailles est une princesse d’Orient pour qui le sultan garde toujours son prestige, qu’il s’appelle Waldeck-Rousseau, Clemenceau, Briand ou Caillaux." Elle est la grâce. De sa plume délicate, la voici maintenant qui se prépare à entrer dans notre Parnasse. Elle écrit des poèmes qui seront rassemblés sous un titre qui, à lui seul, la décrit toute : "Le Cœur innombrable".
Garde ton âme ouverte aux parfums d’alentour
Aux mouvements de l’onde
Aime l’effort, l’espoir, l’orgueil, aime l’amour
C’est la chose profonde.
En attendant que, du même lyrisme ardent, viennent, en 1902, L’Ombre des jours, puis toute une série de romans sensibles, La Nouvelle Espérance (1903), Le Visage émerveillé (1904), La Domination (1905), puis encore des poésies de la même veine, Les Eblouissements (1907), Les Vivants et les Morts (1913), Les Forces éternelles (1921), Honneur de souffrir (1927). Dès son premier livre, on s’émerveille de tant de flamme et, comme le dira Robert Brasillach "d’une si riche et orientale jungle". C’est aussi qu’elle innove, en faisant entrer le soleil à fenêtres ouvertes dans la littérature française. Elle chante toutes les forces de la nature.