24/02/2012

476. Anna de Noailles, la poétesse. 7

7. A d’autres de penser qu’elle est une païenne, de la même âme que Catulle ou Properce, voluptueusement dolente même quand elle chante " mes cheveux bleus comme des prunes ".
A d’autres d’estimer qu’elle est avant tout une triste : "Pourtant, tu t’en iras un jour de moi, jeunesse". Elle n’aura pas cessé de chanter les ans qui s’enfuient. Le Larousse peut juger l’ensemble de cette seule phrase : "Un mélange poignant de volupté, d’inquiétude, de mélancolie et de détresse caractérise cette poésie qui chante la joie païenne de l’amour et la hantise de la mort".
A d’autres de juger qu’elle n’aura jamais écrit de plus belles lignes que pour chanter les douces splendeurs d’Amphion, son plus cher refuge où elle va chercher solitude et repos : "Il n’est pas un plus pur, un plus doux paysage, Un plus familier infini". Le nom provient du fils de Zeus et d’Antiope, Amphion, le poète-musicien qui aurait bâti les murs de Thèbes : les pierres venaient se placer d'elles-mêmes au son de sa lyre. Comme l’écrit Charles Du Bos, "il règne à Amphion un calme, une épaisseur et une intensité de calme, dans lequel on est pris comme en globe infrangible et tutélaire".

Voilà la beauté pure et pleine
D’un jour par les dieux composé ;
Mais, ô Nuit, comme vous brisez
Cette ineffable porcelaine...

Il en est ainsi : tout le bonheur du monde peut se trouver dans une simple "véranda rêveuse ". C’est vrai, cependant, la mort l’obsède, y compris quand elle pratique une sorte de stoïcisme plein d’orgueil.

J’écris pour que le jour où je ne serai plus
On sache comme l’air et le plaisir m’ont plu.[…]
Et le jour où je serai morte
Vous direz à ceux qui croiront
Que j’ai poussé la sombre porte
Qui mène à l’empire âpre et rond :
Je l’ai vue errer et sourire
Et s’en aller dans le soleil. "

Comme si elle répondait à un mystérieux appel, la mort vient même trop tôt au rendez-vous. En 1933, quand Anna a cinquante-sept ans. "Je meurs de moi-même", pourrait-elle chanter. Avec elle - comme en 1909 avec Swinburne - disparaît le dernier de ces grands lyriques qui, pareils à l’alouette de l’ode de Shelley, "répandent la plénitude de leur cœur dans la profusion d’accents d’un art non prémédité ".
Daniel-Rops, apprenant la nouvelle, pense à une phrase de D’Annunzio, dans Le Feu, devant l’annonce de la mort de Wagner : "Le monde parut diminué de valeur." Robert Brasillach la contemple, "jusque dans la mort conservant la chaleur du sang humain et cette dureté royale, jusque dans la mort cherchant à emporter les beaux présents de la lumière et des jardins, et à expliquer aux ombres la plénitude de la vie charnelle, les nuits de quinze ans, et l’odeur de l’été... ".