24/02/2012

480. Anna de noailles, la poétesse. 3

3. Elle garde toutes les grâces alanguies dont elle s’enchantait jeune fille et jeune femme. Les humbles sont aussi nombreux à porter jusqu’à son chevet de perpétuelle nostalgique leurs hommages.
Maurice Barrès : "Si j’aime un peu l’humanité, c’est qu’elle renferme quelques êtres de cette sorte, que d’ailleurs elle écrase soigneusement."
Jean Moréas : "Elle est l’abeille de l’Hymette."
Joseph Reinach : "Il existe en France trois miracles : Jeanne d’Arc, la Marne et vous."
A savoir simplement que quelques dragées portent la goutte de fiel.
Paul Claudel : "Une colombe en bois avec un œil blanc".
Léon-Paul Fargue : "La mâtine ! Elle a encore tiré dans le mille !"
François Mauriac : "Le vacarme de son dialogue tue autour d’elle toute conversation ; elle porte son feu d’artifice à domicile, toujours le même, après deux ans, je reconnais les fusées"
Les hommages sont beaucoup plus nombreux que les cruautés. Elle ne se lève qu’à l’heure du dîner. Elle reçoit dans sa chambre, rue Scheffer, assise dans son lit, ses formes suavement dessinées, bien calée sur les oreillers aux linons ocrés. Elle a griffonné dans l’après-midi une poésie ou une lettre. Elle appelle sa fidèle Sara pour lui redonner l’écritoire, répétant pour la millième fois qu’elle se meurt. Elle défaille avec une telle insistance qu’elle réveille son médecin trois fois par semaine en pleine nuit pour lui raconter ses épouvantes et ses insomnies. Puis elle se tourne vers le visiteur qui vient d’entrer, le plus souvent ce cher Jean Cocteau, peut-être Max Jacob, ou un musicien d’avant-garde. Elle semble ouvrir grand ses yeux pour en mieux révéler l’éclat violet. Le petit visage pâle cesse de se chiffonner. Les délicates narines du long nez palpitent. Il suffit de ce premier contact visuel pour qu’elle se remette à vivre. Elle devrait toujours garder Cocteau comme un caniche sur sa descente de lit. Beaucoup de peintres auront du reste saisi ce regard améthyste, ce nez fleuret, ces épaules idéalement rondes. Les plus illustres : Antonio de La Gandara, mi-Greco, mi-Watteau, peintre de nos plus belles neurasthéniques, taille raide, poil noir, peau mate, sanglé dans un dolman de velours les pieds dans des bottines vernies non boutonnées, accueillant en grand d’Espagne toute la noblesse de Paris, Tsougou-Horu Fujita, devenu l’un des rois de Montparnasse, très typé avec ses cheveux à la papou ses boucles d’oreille, ses lunettes de philosophe ébahi et ses chemises qu’il taille lui-même dans des toiles d’emballage ou des rideaux d’ameublement chez son voisin et ami le tailleur grec Pétridis, mais aussi Forain, Helleu, Zuloaga, Rodin lui même.
C’est elle qui aura été cependant le meilleur peintre d’elle-même, avec ce doigté dont elle est si fière. Voyez donc comment elle se contemple dans son propre miroir quand elle écrit les pages qui introduisent en 1928 aux Poèmes d’enfance : "J’ai le souvenir estompé et fragmenté de la vie depuis l’âge de deux ans, et je sais que peu de temps après je devins, avec conscience, cette enfant ardente, sans compagnie qui la satisfît, heureuse ou triste avec excès que le tout petit âge maintenait dans la modération.