17/11/2012

537. Vers écrits en Alsace ....

Vers écrits en Alsace pour un côteau de Savoie


Quand deux pays sacrés font retour a la France,
Quand mon cœur les choisit comme un plus fier séjour,
Je sens un susceptible et poétique amour
Me ramener vers vous, jardin de mon enfance,
Dispensateur de tous les biens que j'ai connus !
Je revois vos rondeurs, vos chemins bien venus,
La rose, comme un fruit d'automne, blanche et blette,
Le froid pétillement argentin des ablettes
Dans un lac, île d'eau que baignent des prés verts,
La pureté subtile, infantile de l'air
Où, même aux jours très chauds, l'on sent jouer, fondue,
La neige en vif velours, des sommets descendue,
Qui vit l'aconit bleu et le frais arnica...
Je ressens, en songeant, le bonheur délicat
De voir, de respirer, que l'on avait naguère.
Ce doux je ne sais quoi d'avant la grande guerre,
Quand le cœur n'était pas à jamais abattu
Par ce qui fut possible et qu'on n'avait pas cru.
Dans ces temps bienheureux où les étés brasillent,
Une enfant sur la route, affamée, en guenilles,
Un âne dont le faix ensanglantait le dos,
Étaient toujours pour moi un si cruel fardeau
Que j'avais le désir, tant la pitié m'oppresse,
De mourir, pour cesser d'éprouver la détresse
De ne pouvoir aider et sauver de tout mal
Cette enfant inconnue et cet humble animal...
— Et puis nous avons dû subir le sort terrible
De voir tout ce qui vit et luit passer au crible
De la hideuse mort, qui rendait en lambeaux
Tout ce qu'elle avait pris, si riant et si beau !
— Avoir fait de ces corps de si larges semailles
Que partout où l'on est, que partout où l'on aille,
L'on entende germer des morts adolescents !
— Jardin de mon enfance, il n'y a pas de sang
Parmi l'éclosion de vos plantes naïves ;
Un léger volant d'eau se défait sur la rive
Et couvre, en s'épandant, de sa fraîche clarté,
Mille petits cailloux, chassés et rapportés.
Qui font un bruit secret et glissant de rosaire.
Une joie assurée, et qui n'est pas altière.
Pénètre le tissu des sirupeuses fleurs.
Un roitelet, gonflé de moelleuse chaleur,
Menant dans un sapin sa course étroite et vive.
Semble un fruit remuant sur la branche passive.
O candide beauté des riants éléments :
L'azur, l'onde, le sol, tout est envolement !
L'abeille aux bonds chantants, vigoureusement molle,
Roule, tangue, s'abat de corolle en corolle.
Dans l'éther sans embu, et pareil au cristal.
L'oiseau sème ses cris comme un blé musical.
Les blancs pétunias créponnés, qui se fanent
Dès qu'on veut les toucher ou bien les respirer.
Semblent, dans leur faiblesse humide et diaphane,
Un défaillant bouquet de papillons sucrés.
O Nature divine et fidèle à vous-même,
Exemple du labeur, exemple de l'amour,
Puisqu'il faut que l'on vive et qu'il faut que l'on aime,
Enseignez, par l'éclat éblouissant du jour.
Les cœurs les plus étroits et les fronts les plus sourds !

Les Forces Eternelles