17/11/2012

536. La naissance du printemps

C'est soudain le printemps! La verdure s'enroule
Autour des branchages foncés :
Aériens semis, verte et fine semoule,
Bourgeons crépus, frisés, froncés !

On ne sait quoi d'heureux se concerte et pullule
Dans l'azur enfin revenu.
— Invisible bonheur du printemps sans scrupules,
Et pourtant toujours ingénu,

Se peut-il qu'aujourd'hui votre brusque présence,
Solide comme un marbre bleu.
Altère ma tristesse, endorme ma prudence,
Et que je brûle avec vos feux ?

Se peut-il que, vraiment, mon ferme esprit oublie
Tous les forfaits de l'univers
Parce qu’ivre de jour un fol oiseau délie
Son bec, comme un pépin ouvert !

Quoi ! De l'azur pareil à quelque lac céleste,
Un bourdonnement de chaleur,
L'atmosphère bénigne, et qui fait de doux gestes
De bonté, d'odeurs, de couleurs,

Un silence qui semble épandre une promesse
De familière éternité,
De chauds cocons de fleurs, couvés par la caresse
De la suave immensité.

Serait-ce suffisant pour qu'on perde mémoire
Des pièges sanglants du destin,
Et pour que les sommets rougeoyants de l'Histoire
Se fondent dans un bleu matin ?

Hélas ! Que tout est beau, et que tout nous rappelle.
Sans rien d'usé, rien de terni,
Notre enfance au grand cœur, qui portait devant elle
Son rêve, que rien n'a béni !

Voilà donc ton miracle, enjôleuse Nature !
Tu reprends tes enfants grandis.
Et tu mets ces déçus, ces humaines usures,
Dans ton neuf et vert paradis !

Ils revoient aussitôt cet avenir sans terme
Par quoi l'enfant est exhorté ;
Leur espoir se rallie aux innombrables germes
De la verte nativité !

Ils retrouvent, parmi ces arômes précoces
De la saison qui contient tout.
Leur cœur jeune et puissant, gonflé comme une cosse
Que forcent les grains durs et doux.

Ils se disent : c'est nous que le futur escompte,
Qu'importent nos languissements !
Même quand nous flânons, notre route qui monte
Aboutit au bleu firmament !

Ils se disent : Les maux insignes, l'infortune
Sont pour d'autres, mais non pour nous :
La foudre perd son dard, la haine sa rancune
Dès qu'elles touchent nos genoux.

Ce qu'on n'accepte point jamais ne nous menace :
L'ardent esprit impose au sort ;
La jeunesse est l’archange enflammé, qui terrasse
L'ennui, l'évidence, la mort...

Mais les jours sont venus, ont passé ! Comment dire
Notre affreuse déception !
Seul, le silence peut prendre ce noir délire
Sous sa grande protection.

Quelle voix suffirait ! La muse Polymnie,
Les lèvres jointes, les yeux clos.
Convertissait le chant, la clameur infinie,
En silence qui parle haut ;

Et je n'aurais jamais avoué ma détresse,
O mol printemps pernicieux,
Si vous n'aviez pas fait se rouvrir ma jeunesse
Sous l'ample pression des cieux !